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"Microcosme", Assemblée Nationale de la Constituante, Le Bardo. 10 décembre 2011. Photographie Hamideddine Bouali

Décidément, on aura tout vu à l’Assemblée Constituante ! Parmi les frasques de ces députés élus par un pays souffre et ne demande à ses représentants que de le servir en le dotant au plus vite le pays d’une constitution à la hauteur de l’intelligence de son peuple, on a vu certains s’offrant un pèlerinage et d’autres des vacances au plus mauvais moment qui soit, comme si le peuple les avait choisis et les paye grassement pour mener à ses frais la belle vie !

Et voici d’autres qui, non seulement violent la confiance placée en eux et dans le parti sur la liste duquel ils ont été élus en le quittant, mais en changent carrément, allant jusqu’à oser prétendre vouloir représenter un parti qui ne s’est même pas présenté à l’élection! C’est le comble du dévergondage politique, pour ne pas dire autre chose. Car pareil tourisme politique s’assimile à du tourisme sexuel, désormais réprimé de par le monde civilisé.

Je n’ai rien contre le talentueux Béji Caïd Essebsi, puisque la dernière pantalonnade ayant lieu à l’Assemblée Constituante concerne son parti; mais je trouve que ce qui se fait en son nom est une honte pour la démocratie.

Certes, BCE et ses partisans peuvent toujours arguer n’agir que pour l’intérêt de cette démocratie que d’autres violent; le hic est que ceux qu’ils traitent (et peut-être à raison) d’ennemis de la démocratie ont été légalement élus et ont, jusqu’à preuve du contraire, la légitimité pour eux, et ce malgré tout ce qu’on peut penser de leur action, de leur idéologie ou de leur politique actuelle.

De plus, peut-on agir au nom de la démocratie en la violant? Car, oser créer un groupe parlementaire aux couleurs d’un parti qui ne s’est pas présenté à l’élection revient tout simplement à un pronunciamiento juridique.

Sans avoir à discuter de la question de savoir si, moralement, le parti Nida Tounes a le droit de se présenter aux élections, du fait de son étroite liaison avec le parti RCD déchu, il est indubitable que n’ayant pas été présent lors de celles du 23 octobre 2011, il ne peut qu’attendre les suivantes pour s’y présenter. C’est non seulement la légalité qui le commande, mais aussi et surtout la morale politique. Or, sans morale, il n’est nulle politique légitime.

Légalement, certes, le nomadisme électoral, qui consiste à changer d’allégeance partisane en cours de mandat, n’est pas inconnu des démocraties et l’attitude diffère à son égard selon les pays, allant de l’interdiction pure et simple à la tolérance eu égard à son insignifiance. Je ne m’étendrai pas ici sur l’expérience des uns et des autres, car ce qui m’intéresse est ce qui se passe en notre pays hic et nunc.

Il n’en reste pas moins qu’au-delà des diverses expériences de par le monde, un jugement revient comme un leitmotiv : l’aspect immoral de pareille transhumance et la violation avérée d’un contrat moral, notamment quand il s’agit d’une élection au scrutin de liste comme cela a eu lieu chez nous.

C’est que pareil scrutin ne donne aucune autonomie ni prééminence à la personnalité de l’aspirant député sur celle du parti au nom duquel il se présente. Aussi, si le député faillit à assumer son devoir à représenter ses électeurs en tant que membre d’une liste d’un parti il doit céder sa place à son suppléant et, à défaut, ouvrir la voie à une nouvelle élection. En tout cas, il n’est plus apte, au moins moralement, à représenter ceux qui l’ont élu sans qu’ils aient eu à lui renouveler leur confiance. C’est ce que commande la morale politique, mais aussi la légalité observée au pied de la lettre.

Dans notre système électoral, toute démission du parti sur la liste duquel on a été élu suppose, dans un premier temps, le remplacement ipso facto du député élu par son suppléant et, dans un second temps, une nouvelle élection (dans le cas du député solidaire du choix du titulaire du mandat, par exemple).

Et il est important de noter qu’il s’agit ici des députés élus de partis ayant participé à l’élection qui a eu effectivement lieu. Aussi, il va de soi que la défection du député d’un parti pour opter pour un autre qui n’a pas participé à cette élection est non seulement une aberration juridique, mais bien plus, un coup de force légal. Car il ne s’agit en l’occurrence que de se substituer au peuple et de lui imposer un choix partisan le dotant d’élus sans avoir été consulté.

Comment continuer dans ce cas de parler de souveraineté nationale? A qui appartient le pouvoir de désignation à l’Assemblée constituante : au peuple ou aux officines partisanes?

Pour être exhaustif et en réponse à l’avance à certaines voix offusquées qui ne manqueront pas de se lever ici et là pour contester ce qui précède, ajoutons que si le phénomène dénoncé ici comme une forfaiture à la démocratie est toléré dans certaines démocraties, c’est qu’il demeure limité à certains cas d’exception et n’emporte pas de conséquences majeures sur la vie même de la démocratie. Aussi, dans les pays qui admettent pareille pratique de certains députés isolés, cela se fait au nom de la liberté de conscience du parlementaire considéré comme représentant avant toute la Nation.

Or, quand pareil phénomène n’est plus si isolé que cela, devenant un phénomène de groupe, comme on le voit chez nous, il est bien moins facilement admis dans les démocraties eu égard à ses effets déstabilisants pour la démocratie même sans parler de la violation de son esprit et l’éthique qu’elle impose comme déontologie à tout politique..

Dans ces pays, et à juste titre, on considère que les députés en rupture avec leur parti d’origine qui leur a valu l’élection, s’étant présentés sous ses couleurs, défendant ses principes et son programme, rompent tout simplement le « contrat moral » qui les lie aux citoyens en renient leurs présumées convictions telles que manifestées lors de l’élection.

Il s’agit ici, sinon de trahison, du moins de cynisme politique, même si pareils députés peuvent toujours arguer qu’ils ne font que défendre leurs vraies convictions. Or, le député ne fait qu’incarner les convictions du parti et c’est celui-ci qui les détermine et en assure la nature et l’authenticité. En cas de conflit, l’honneur commande qu’il démissionne du parti et lui rende le mandat obtenu en son nom. Rien de moins; tout autre comportement relève, au mieux, de l’opportunisme politique.

Aujourd’hui, face à la donne politique qui se profile, il est légitime que l’Assemblée Constituante mette le holà à pareille stratégie du fait accompli dont veulent user certains députés aventuriers, jouant aux condottieri d’une dictature revenant au galop en se jouant de notre démocratie naissante,

Il est urgent qu’une séance plénière de l’Assemblée Constituante statue toutes affaires cessantes sur les questions suivantes, qui sont autant juridiques que politiques et éthiques; il y va de l’honneur de la démocratie en Tunisie :

– La “possession” du mandat : Qui, du parti ou du député, conserve le siège du député nomade ? Doit-on le faire remplacer le député touriste par son suppléant ?

– La déchéance du mandat : Doit-on considérer le député nomade comme ayant perdu son siège devenu ainsi vacant et, en l’absence de remplacement par son suppléant, tenir une élection partielle pour combler le siège ? Et dans la situation actuelle au pays, comment y procéder en l’absence d’instance adéquate et eu égard aux autres priorités du pays?

-Le recours à une mesure exceptionnelle : avec la confirmation du rejet du principe de libre mandat du député, doit-on instituer provisoirement une règle du retour au statu quo ante et ce en sommant les députés nomades de retrouver leurs partis faute de quoi ils s’excluent d’eux-mêmes de l’Assemblé Constituante, mais sans ouverture d’élections partielles dans l’immédiat eu égard aux circonstances exceptionnelles que vit le pays?

Autant de questions qui se posent urgemment à l’Assemblée constituante. Y répondre au plus vite, c’est arrêter la gangrène dont on voit pointer les prémices et qui est encore bien plus grave que ce qu’on peut voir de similaire dans les dérives obscurantistes chez les plus zélés de nos élus au nom d’un islam intégriste incompatible avec les principes de tolérance si vivaces en notre Tunisie. Car, d’un côté, il s’agit d’une dérive issue des urnes, donc légale et, dans l’autre, d’une dérive illégale. Or, la légalité se contre légalement dans un État de droit tandis que l’illégalité une fois installée c’est le requiem pur l’État de droit.

Farhat Othman