Comme chaque année, RSF a publié son rapport sur l’état de la liberté de la presse dans le monde pour 2012. Ce document très médiatisé se veut une photographie de la situation de la profession pays par pays. Cette année, la Tunisie connait un recul conséquent de 4 places en se classant 138e alors que d’autres pays du Printemps arabe progressent.
2011 : un printemps arabe porteur d’espoirs
Le rapport RSF est basé sur plusieurs critères censés refléter les conditions d’exercice des métiers de l’information, notamment par le recensement des atteintes aux journalistes et l’examen des législations entravant ou limitant la liberté de la presse. Or, cette année, la Tunisie recule, après avoir progressé en 2011.
Dans le précédent rapport, RSF faisait état d’une sensible amélioration de la liberté de la presse tunisienne. Le pays avait gagné 20 places en 2011 par rapport à 2010, de quoi faire dire que la chute de Ben Ali commençait à libérer les plumes et à délier les langues. Dans le même temps, l’Égypte plongeait de 39 places avec le verrouillage des médias instauré par le pouvoir militaire du Conseil suprême des forces armées (CSFA), qui a pris les rênes du pays dès février 2011 pour ne le rendre aux civils qu’après les élections de 2012.
Il aura fallu plus longtemps à la Tunisie pour se doter d’un gouvernement stable. Entre janvier et les élections du 23 octobre 2011, les gouvernements successifs ne pourront pas mettre en place un verrouillage similaire, ce qui explique l’amélioration des conditions d’exercice du journalisme.
Les gouvernements démocratiquement élus ennemis de la presse ?
Le recul de la liberté de la presse en Tunisie en 2012 peut sembler étrange vu de l’extérieur, le pays étant entré dans une transition démocratique par des élections jugées relativement transparentes. La réussite des premières élections démocratiques présageait du début d’un cercle vertueux dans lequel une presse gagnant peu à peu sa liberté grâce à des lois protectrices renforcerait à son tour le processus de démocratisation de la vie politique.
Alors, comment expliquer la stagnation à la 138e place — très loin des meilleurs élèves européens — du premier pays arabe à faire sa révolution, si ce n’est justement par la volonté du gouvernement issu des urnes d’entraver le processus démocratique, ou du moins de le détourner en sa faveur ? Le rapport condamne les exactions dont sont victimes journalistes, blogueurs et organes de presse aussi bien de la part des forces de l’ordre que des groupuscules religieux radicaux, avec la bienveillance des responsables politiques.
Malgré son instabilité chronique et une insécurité rampante, la Libye voisine passe cette année devant la Tunisie en se hissant à la 131e place (+23). Cette amélioration donne une idée du chemin à parcourir pour voir émerger durablement une presse libre. De son côté, après une année 2011 noire pour la presse, l’Égypte gagne 8 places en se classant au 158e rang, pas encore suffisant pour affirmer que la victoire des Frères musulmans aux élections ait permis aux journalistes de travailler sereinement.
RSF inquiète de la situation de la presse en Tunisie
Avant même la parution de son rapport, RSF avait plusieurs fois exprimé par voie de communiqués son inquiétude quant à la judiciarisation galopante du métier de journaliste. Dans le dernier en date, l’ONG affirmait suivre avec attention la procédure judiciaire entamée contre la blogueuse Olfa Riahi, dont les révélations avaient provoqué le « Sheratongate ». La jeune femme a finalement été auditionnée comme témoin et non comme accusée, mais fait toujours l’objet d’une interdiction de voyager, ce que condamne RSF.
Reporter sans frontières demande par la même occasion la dépénalisation des délits de presse en Tunisie, une entrave importante à la liberté d’expression selon l’ONG. En effet, de nombreux procès impliquant des journalistes sont en cours, et certains encourent des peines de prison ferme pour des faits liés à leur profession.
Auparavant, RSF avait salué l’annonce faite par le gouvernement tunisien, d’appliquer les décrets-lois 115 et 116 encadrant le travail des professionnels de l’information. L’ONG avait également réclamé l’application rapide du 115 et des garanties en consacrant le caractère exclusif de cette loi spéciale pour éviter que dans certaines situations des dispositions générales du Code pénal ou d’une autre loi soient appliquées.
Rached Cherif
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