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La semaine du 15 au 21 avril est marquée par ce qui constitue en partie une survivance de l’ancien régime. Un vestige de l’ère bénaliste se rappelle au bon souvenir des Tunisiens : en l’absence d’intérêt de la jeunesse pour le débat politique, le football capte et cristallise une fougue et une énergie potentiellement insurrectionnelles.

Bizerte rit jaune

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Symboles de l’Etat vandalisés, émeutes, séparatisme et même drapeaux indépendantistes hissés sur la ville d’« al jalaâ », difficile à concevoir pour les non footeux qu’un différend sportif puisse prendre de telles proportions.

Lundi, une décision administrative complexe doit départager 3 équipes qui se tiennent dans un mouchoir de poche au terme de la saison de Ligue 1. Comme pressenti, la Fédération tunisienne de football écarte le CAB des playoffs, un outsider qui n’avait pas démérité face aux clubs de la capitale, l’Espérance et le Club Africain.

Dans un contexte de suspicion de politisation accrue des moindres dispositions y compris sportives, les supporters nordistes s’estiment doublement lésés. Les spéculations fusent : on aurait préféré en haut lieu sacrifier Bizerte plutôt que de risquer l’embrasement à Tunis.

S’en suit un paysage de guérilla urbaine, attisé par l’envoi de police anti-émeute en provenance de Bouchoucha.

L’Histoire retiendra que le drapeau national fut profané à deux reprises après la révolution : la première pour l’idéologie d’ultra droite salafiste, la seconde brûlé pour le foot. Autant dire que nous ne sommes pas dans le schéma « désacralisateur » anti fasciste ou encore altermondialiste, mais dans ce qui ressemble davantage à un déficit d’idéaux. Une forme d’anarchisme dépourvu de subversion.

Une jeune génération, déjà privée de stade, répond à l’autorité par un refus de se voir privée de spectacle. Désœuvrement et chômage font le reste, quoique un casseur sur deux était un lycéen.

Que le football devienne à ce point le catalyseur de la grogne sociale ne semble pas gêner outre mesure la classe politique. A commencer par Mehdi Ben Gharbia, concerné au premier chef en tant qu’élu et président du CAB. L’homme s’est certes démené dans les médias pour appeler à la retenue, mais sur le fond, il n’a pas contesté la légitimité du déchaînement de violence.

En somme Ben Gharbia a fait de la politique. Et il n’est pas le seul. Slim Riahi et Hafedh Caïd Essebsi aussi. Respectivement « homme politique wannabe » récent propriétaire du CA, et vice-président de l’EST, ils partagent la même vision pragmatique de la politique, à mi-chemin entre celle du gourmand Bernard Tapie des années 80 et du cynique Silvio Berlusconi des années 2000.

En Tunisie aussi, la politique devient lentement mais sûrement une affaire de gros sous.

Les déconvenues du dialogue national

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La semaine fut aussi marquée par la reprise de l’agonisant dialogue national, initié par la présidence de la République dès janvier 2013, pour être interrompu par diverses crises.

Deux semaines auparavant, cette initiative de Moncef Marzouki, pensée telle une alternative homonyme et concurrente du projet de l’UGTT, renaissait de ses cendres par une rencontre passée quasiment inaperçue entre Béji Caïd Essebsi et Aziz Krichen, figure historique de la gauche tunisienne et ministre conseiller du président chargé des affaires politiques.

Étrange signal d’une présidence CPR qui à défaut de pouvoir convier le Front Populaire se tourne vers les moins révolutionnaires des partis, en faisant des appels du pied à Nidaa Tounes et à al Moubadara, un parti que Hamma Hammami appelle ironiquement « le RCD », « assis à la même table qu’Ennahdha ».

Le Front populaire évoque un vice de forme pour justifier sa politique de la chaise vide, n’ayant reçu qu’une double invitation pour le Watad et le Parti des Travailleurs, mais pas d’invitation au nom du Front.

La vraie raison du boycott sera cependant livrée par Hammami : le président Marzouki n’a plus vocation à initier pareil dialogue « étant donné le caractère clairement partisan de ses dernières prises de position ». Des sorties qui ne représentent plus l’institution de la présidence de la République autant que le futur candidat Mazouki, selon le porte-parole du Front.

Sans la famille politique de Chokri Belaïd ni d’autres partis représentés à l’ANC comme le mouvement Wafa qui refuse de s’attabler aux côtés de Nidaa Tounes, le dialogue national se condamne en l’état à émettre des décisions bancales, loin du consensus escompté.

D’autant que les formations radicales ne sont plus les seules à bouder les réunions de Dar al Dhiafa : une nouvelle brèche se fait jour en effet, cette fois au cœur de la coalition Union pour la Tunisie, avec le boycott également par el Massar. Une absence remarquée qui révèle les limites du « non à l’exclusion », le pluralisme étant aussi affaire de divergences parfois inconciliables.

Plus anecdotique, le dialogue national a enfin eu pour conséquence le courroux des LPR qui exécutèrent un « très pacifique » sit-in devant le siège d’Ennahdha à Montplaisir, les ligues étant indignées du rapprochement du parti islamiste avec une contre-révolution ainsi normalisée.

Seule consolation pour Marzouki, il est désigné par le prestigieux Time Magazine parmi les 100 personnalités 2013 les plus influentes au monde.

Affaire des primes rétroactives : l’ANC s’enfonce

Crédit photo : Seif Soudani

Annoncée jeudi par le ministre du Commerce Abdelwahab Maâter, l’intervention tardive du gouvernement pour juguler l’inflation a bien du mal à faire oublier ce qui est perçu par l’opinion publique comme la dérive cupide de l’Assemblée.

Les réductions des prix des denrées alimentaires les plus consommées, de 5% à 43%, considérées comme des mesurettes par la plupart des économistes, semblent dérisoires par rapport aux primes qui donnent le tournis : 8000 dinars en moyenne par élu, et plus de 30 000 pour la vice-présidente de l’ANC.

L’affaire est révélée par l’élu FP Mongi Rahoui dans les colonnes du quotidien Achourouk, pour être réglée houleusement le lendemain dans l’enceinte de l’ANC. Rahoui accuse le bloc Ennahdha de s’acharner à casser un jugement du Tribunal administratif datant de 2012 sur l’illégalité de nouvelles primes logement destinées aux élus. Dans les couloirs de l’Assemblée, des élues islamistes ripostent en des termes parfois orduriers.

Le spectacle provoque des réactions indignées allant de nouveaux appels à dissoudre l’ANC à des rassemblements au Bardo pour jeter symboliquement des pièces de 5 millimes « aux crèves-la-faim ».

On ne gardera enfin que l’aspect « exercice démocratique » de la motion contre Sihem Badi. La ministre de la Femme reste en poste, le vote relatif au retrait de confiance n’ayant pas atteint la majorité absolue.

L’autre motion de censure à l’encontre du président faisait quant à elle l’objet de pressions, selon des élus du bloc démocratique qui dénoncent des tentatives du cabinet présidentiel en vue d’obtenir des retraits de signatures.

Vilipendé, théâtre des luttes intestines politiciennes, l’Assemblée constituante accélère le processus de sa vocation première, en arrêtant samedi la liste définitive de l’instance des experts chargés de finaliser la rédaction de la Constitution. Un accouchement dans la douleur, prévu pour la fin du mois.

Seif Soudani