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Levée de boucliers généralisée contre la mouture finale du projet de Constitution. A l’Assemblée, la majorité peut se prévaloir d’avoir livré sa copie en cette fin avril, conformément à ses engagements en terme de calendrier. Mais ce sera à peu près tout dans le registre du satisfecit. Formations d’opposition, composants de la société civile, et éminents constitutionnalistes se liguent contre ce qu’ils estiment être « une Constitution qui ne les représente pas, tandis qu’hier samedi la présidence de l’Assemblée réagit en évoquant une « campagne de dénigrement hystérique ».

Constitution : Attaques légitimes ou manœuvres politiciennes ?

C’est fait. Le projet final de la nouvelle loi fondamentale tunisienne peut enfin passer à la phase du vote devant l’assemblée générale de l’ANC jusqu’en juillet prochain… du moins théoriquement, puisque la rue menace désormais d’entrer dans un bras de fer avec le pouvoir à partir du 1er mai.

A quel prix a-t-on procédé à cette accélération jugée suspecte, inhabituelle de la part d’élus passés maîtres en procrastination ? Dès mardi, les représentants du Bloc démocratique en commissions dénoncent un bâclage commode : la commission mixte de coordination et de rédaction de la Constitution est accusée par plusieurs ténors de l’opposition de vouloir passer en force, « en douce » sur certains points polémiques mais censés avoir été réglés antérieurement.

Chapeautée par le tandem Mustapha Ben Jaâfar – Habib Khedher, cette commission aux méthodes autoritaires est d’autant plus sur la sellette qu’elle tente visiblement d’engranger un gain politique : tout sourire, Ben Jaâfar convoque une conférence de presse où il se montre généreux en superlatifs : « meilleure Constitution au monde », « texte avant-gardiste »… La toile demande à voir !

Pourtant plusieurs points litigieux demeurent dans la 3ème version du destour, et pas des moindres.

Citons en vrac les droits ignorés des minorités, regrette Salma Baccar, le droit de grève non garanti, « bafoué » selon l’UGTT, et plus généralement une Constitution ne répondant pas aux aspirations de la révolution, qui socialement parlant « part toujours du haut vers le bas, les constituants n’ayant pas saisi le message adressé par les jeunesses révolutionnaires », résume le juriste Kaïs Saïd.

Ce dernier se gausse au passage d’une de ses formules absconse dont il a le secret et qui restera dans les annales : « Je crains que la Constitution n’ait été engloutie par un âne ! ».

Effondrée à l’antenne d’Express FM, Samia Abbou craque, parle de « volte-face », de « coup de poignard dans le dos destiné assoir une potentielle nouvelle tyrannie ». En cela elle est emblématique d’une gauche plutôt angélique, dont l’alliance avec la droite religieuse est aujourd’hui source d’amertume.


La fronde des experts

En l’état, le texte reste donc bien un « champ de mines », selon l’éminent constitutionnaliste Yadh Ben Achour. Lui et ses disciples, Ghazi Ghrairi et Chafik Sarsar, opposent une fin de non-recevoir à l’administration de l’ANC qui leur demande leur aval dans le cadre d’un conseil des sages censé apporter les dernières touches.

En faisant défection, ils lâchant la troïka avec un message clair : nous ne servirons pas de caution à un projet partisan et politisé.

Ben Achour va jusqu’à parler de « germes de la théocratie qui se prépare ». Cependant sa neutralité est mise à mal par ses présences répétées aux meetings de Nidaa Tounes, un choix que ne manquera pas d’exploiter Ennahdha pour étayer la thèse de la cabale politique.

Si l’on fait abstraction de l’inconnue du 1er mai et de la réponse de la rue, il semble qu’on se dirige à grands pas vers un referendum, avec de féroces campagnes précoces pour le Oui et le Non.

Dialogue national, l’autre champ de la discorde

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Pour son 5ème round, le dialogue national semblait presque se dépeupler à vue d’œil à Dar Dhiafa. En cela, il est l’écho des déboires de l’ANC par rapport à laquelle il est taxé d’être « une autorité parallèle et non légitime », disent les partis boycotteurs.

L’autre grief qu’invoque notamment Nidaa Tounes pour justifier son départ de la table des négociations, c’est la mise à l’écart de l’UGTT sans laquelle « rien ne se fera ». Le parti de Béji Caïd Essebsi se découvre ainsi une âme de syndicaliste…

Mais c’est la nature du futur régime politique du pays qui reste au centre des plus intenses tractations. Ce qui fait dire à certains observateurs que l’échec de cette initiative de dialogue réside dans une approche type « partage du pouvoir ». C’est du moins ainsi que ces réunions sont perçues par l’opinion publique.

L’étrange hibernation du gouvernement Laarayedh

Pendant ce temps-là le gouvernement était aux abonnés absents. La consigne du Premier ministre visant à réduire l’apparition des ministres dans les médias n’explique pas tout.

Pour Hamma Hammemi, « depuis l’arrivée d’Ali Laaryedh, il n’y a plus de gouvernement ». « Nous sommes face à un gouvernement fantôme, inexistant », assène le porte-parole du Front Populaire cette semaine. Face aux revendications sociales, l’attente était forte d’un gouvernement de crise, « au lieu de ça il y a, au mieux, un accompagnement des crises, dans la continuité du gouvernement précédent », ironise Hammami.

Khalil Zaouia, ministre des Affaires sociales, tenait cela dit une conférence de presse jeudi, histoire de sortir de ce mutisme ambiant. Il y relativise l’impact des grèves : « Les mouvements sociaux ont augmenté de 14% par rapport à la même période en 2012, mais moins de travailleurs y participent ». Une façon en somme de voir le verre de la grogne sociale à moitié vide.

L’UGTT fera quoi qu’il en soit cavalier seul, avec la relance de sa propre initiative de dialogue début mai.

L’IRVA, comité de l’espoir

Crédit photo Seif Soudani

Cette semaine le chef du gouvernement était interrogé en sa qualité d’ex ministre de l’Intérieur par le juge d’instruction chargé de l’affaire Chokri Belaïd.

Samedi, le quotidien Achourouk publie un aperçu des déclarations de Laarayedh, plutôt amnésique. Celui-ci avance en effet qu’il n’avait pas été mis au courant par la présidence de la République des menaces de mort qui pesaient contre Belaïd.

C’est en partie contre ce mauvais feuilleton d’une enquête dans l’impasse que s’est constituée l’Initiative pour la Recherche de la Vérité sur l’Assassinat de Chokri Belaïd, sorte d’organisme de veille composé de 9 hommes et femmes d’horizons divers, dont la veuve du martyr, la toujours aussi stoïque Besma Khalfaoui.

Ces figures publiques reprennent les rennes d’une instruction parallèle et passent à la vitesse supérieure, 79 jours après l’assassinat. Sans l’ombre d’une piste sur les commanditaires, la transition démocratique reste sérieusement compromise.

Seif Soudani