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Alors que l’évènement politique de la semaine du 13 au 19 mai, le Dialogue national sous l’égide de l’UGTT, se solde par une promenade de santé aussi expéditive que peu passionnante, tous les regards sont tournés vers Kairouan, ville en état de siège, capitale malgré elle de ce qui constituera, quoi qu’il advienne aujourd’hui dimanche, un tournant historique : entre Ennahdha et la mouvance salafiste-djihadiste, la rupture est consommée.

Ansar al Charia et la folie des grandeurs

« Il est plus facile de parvenir clandestinement à Lampedusa qu’à Kairouan »
,ironisent les pages salafistes.

En une semaine, les bruits de bottes sur Kairouan auront changé de camp. L’Histoire retiendra que la mi-mai fut le théâtre d’un long roulement de tambours. Comme d’autres factions djihadistes, Ansar al Charia aime à rouler des épaules. Jeudi 16 mai, Seifeddine Erraïes n’est pas peu fier de convoquer la presse, en porte-parole à peine moins virulent qu’Abou Iyadh, leader réduit à la clandestinité.

Fait inédit en Tunisie, une mosquée abrite une conférence de presse en bonne et due forme, la mosquée Errahma de la Citée el Khadhra, QG réquisitionnée donc à des fins clairement politiques.

Autre nouveauté : pour la première fois, la branche djihadiste du salafisme dit songer au pouvoir, « à condition de participer à des élections entre partis islamiques uniquement », elle qui se prévaut de pouvoir mobiliser dans la rue « plus de partisans que tous les partis politiques réunis ». Une mégalomanie qui fait sourire dans l’audience.

La tonalité est savamment dosée. Menaçant, Erraïes recourt à toutes sortes de figures du langage pour faire passer son message de défiance, tout en ne tombant pas sous le coup de la loi, notamment à travers l’usage d’une métaphore équivoque :

« La puissance de l’explosion sera proportionnelle à la force des pressions gouvernementales que nous subissons »…

Un palier est franchi dans le mépris affiché des institutions de l’Etat.

La veille, 7 cheikhs, dont l’imam de la Grande Mosquée de Kairouan, visiblement plus royalistes que le roi, avaient déposé une demande écrite auprès du gouvernorat en vue de la tenue du rassemblement du 19 mai, prétendument au nom d’une petite association coranique.

Mais Ansar al Charia n’a que faire des lois d’ici-bas. Via son porte-parole, le mouvement, lui-même non reconnu par les autorités, dément toute demande d’autorisation, s’estimant exempt de démarches « profanes » de ce type.

Notons le rôle trouble joué pat le gouverneur de Kairouan, Abdelmajid Laghouen, apparaissant plusieurs fois dans les médias pour affirmer toute la bienveillance des autorités locales à l’égard d’un meeting « source de bonnes retombées économiques pour toute la région ».

Un discours étonnamment en porte-à-faux avec celui de Rached Ghannouchi, qui organisait mercredi 15 mai sa 2ème conférence de presse en une semaine, pour mettre en garde cette fois nommément Ansar al Charia contre toute tentation d’affrontement.

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Cagoules contre niqabs

L’interdiction formelle tombe vendredi. Via un communiqué du ministère de l’Intérieur qui réitère « l’entière disponibilité de ses forces armées pour faire appliquer la loi ». Histoire de sauver la face, une partie des organisateurs campe officiellement sur sa détermination, tandis qu’une autre parle de report.

Comme pour répondre aux démonstrations d’arts martiaux de la 2ème édition du meeting djihadiste de 2012, des images d’entrainements spectaculaires des unités spéciales de Bouchoucha défilent dans les JT de 20h.

Cependant le traitement du « tout sécuritaire » se solde par un coût politique élevé.

En choisissant la répression préventive, le parti au pouvoir permet tardivement à l’Etat de redorer son prestige, mais Ennahdha y laisse quelques plumes auprès de son aile droite, et même auprès de nombreux démocrates qui au nom de la liberté d’expression son mécontents de cette interdiction.

Où se situe la ligne de de démarcation entre libertaires et angélistes ? Sur les réseaux sociaux, le débat fait rage entre ceux qui applaudissent le ministre de l’Intérieur Ben Jeddou, et les adeptes d’une ligne voltairienne, par principe hostiles à toute censure. Force est de constater qu’il y a débat lorsqu’une mouvance fasciste vise en permanence davantage la démonstration de force belliciste qu’une tribune pour ses idées.

En plein effort de réforme, les forces de sécurité ne sont pas exemptes elles non plus de certaines dérives individuelles, comme lorsqu’elles se permettent, drapeau national à la main, de suggérer aux journalistes sur place de « faire plutôt des sujets sur la bonne santé du tourisme ».

Sur le plan de la communication politique, cette passe d’armes, longtemps repoussée à plus tard par le leadership d’Ennahdha, est pourtant une aubaine : après l’ouverture à l’extrême droite, c’est l’ouverture au centre-droit.

Pour Rached Ghannouchi, c’est l’occasion de s’affirmer, par effet de comparaison, en tant que « centriste raisonnable », ultra conservateur, mais soucieux de l’intérêt supérieur de la nation, lui qui il y a quelques mois encore recevait des leaders djihadistes, traités en alliés objectifs, pour leur reprocher simplement un agenda trop précipité.

Restent les faits : la franchise al Qaïda est désormais bel et bien implantée en Tunisie, comme en attestent les messages d’encouragements reçus par Ansar al Charia de la part d’autres branches de l’internationale djihadiste.

En attendant, le pouvoir exécutif est déjà ailleurs : Ali Larayedh s’est envolé pour le Qatar, tout un symbole ! Consciemment ou pas, le message est que Kairouan reste une formalité, et que le Forum de Doha « c’est là que ça se passe ».

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Le Dialogue national et son clone

Trois petits tours et puis s’en vont… Telle pourrait être la devise du second round du dialogue national (ré)initié par l’UGTT mercredi, tant on y a renoué avec les sempiternels effets d’annonce.

Initié en octobre 2012 pour être relancé 7 mois plus tard, que retenir de ce sommet sinon que ses travaux ont été phagocytés, court-circuités par l’initiative rivale de la présidence de la République à Dar Dhiafa.

Les 3 présidences, des dizaines de partis et d’ONG, tout ce beau monde a, l’espace d’une seule journée très protocolaire, défilé aux micros du Palais des congrès, posé pour la photo de famille, et émis un communiqué final dont on nous assure cette fois qu’il sera consolidé par des mécanismes de suivi.

Pour se justifier de cette impression de déjà-vu, l’élu Ettakatol Mouldi Riahi affirme : « nous sommes venus avec un panier d’accords issus de nos réunions à Carthage, ce sommet avait pour but de transformer l’essai ». Or, la feuille de route émise le 14 mai ressemble plus à un résultat définitif qu’à un brouillon de préparation, la centrale syndicale ayant manifestement été réduite à un vague cadre cosmétique d’arbitrage.

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Au final les mêmes cafouillages persistent au sujet de la question de la violence des Ligues de protection de la révolution (approche légaliste au cas par cas mais pas de mesure politique), la même imprécision demeure quant aux dates des prochaines échéances électorales. Le sujet qui fâche, celui de l’enquête sur l’assassinat de Chokri Belaïd, a même provoqué le départ indigné de la délégation Ennahdha, accusée par Zied Lakhdhar de responsabilité politique.

Tout au plus est-on parvenu à une entente au sujet du code électoral, quelques points polémiques du projet de Constitution (renoncement a priori à la primauté des particularismes identitaires sur l’universel), et plus de fermeté dans la lutte antiterroriste.

Finalement c’est Moncef Marzouki qui vola la vedette aux autres acteurs du débat, en tenant, une fois de plus, des propos controversés sur la nécessité de permettre aux étudiantes en niqab de passer leurs examens. Iconoclaste pour ceux qui découvrent le personnage, le président provisoire endosse peu à peu le costume de président conservateur.