Un tribunal de Tunis a décidé mercredi de reporter au 12 juin la prochaine audience du procès des trois activistes européennes du mouvement Femen qui restent en prison, a appris l’AFP auprès de leurs avocats. – Fethi Belaid/AFP

Le procès des trois Femen, venues à Tunis la semaine dernière pour soutenir Amina, a eu lieu aujourd’hui au Tribunal de Première Instance de Tunis. A Kairouan, Amina comparaissait aussi devant le juge une seconde fois. Leur sort n’a toujours pas été fixé et les quatre Femen restent en prison.

A Tunis, seuls les journalistes étaient présents pour le procès des trois Femen arrêtées sur la base des articles 226 et 226 bis du code pénal tunisien. Accusées «d’atteinte à la pudeur », les trois Femen avaient été mises en prison après s’être dénudées devant le Tribunal de Première Instance de Tunis le mercredi 29 mai, en soutien à Amina, la Femen tunisienne dont le procès avait lieu le lendemain. Le juge a finalement décidé de reporter le procès au 12 juin prochain, laissant Marguerite, Pauline et Joséphine en prison contrairement à la demande de mise en liberté conditionnelle de leur avocat, Souheib Bahri :

« C’est la partie adverse qui a demandé le report de l’audience. De notre côté nous voulions en finir assez vite. Il y a donc bien eu un procès mais les plaidoiries sont reportées. » Pour cet avocat, c’est une décision normale car la défense n’avait pas forcément eu le temps de consulter le dossier. « Pour l’instant le procès se déroule normalement. Mes trois clientes se sont montrées assez coopératives. »

Les trois femmes se sont présentées au procès vêtus d’un safsari, l’habit traditionnel tunisien. Deux avocats français ont été autorisés lors du procès, en tant qu’observateurs. Parmi eux, Maître Patrick Klugman, avocat français, connu pour avoir plaidé dans des affaires assez médiatisées en France et qui est également l’avocat de Caroline Fourest, essayiste française qui défend fermement les Femen. Il a déclaré à la radio Mosaïque FM que le corps des Femen n’était pas un « objet d’exhibition » mais un « message politique » et donc, qu’elles ne peuvent être inculpées pour « incitation à la débauche ».

Du côté d’ Amina, le procès s’est déroulé à Kairouan le même jour. La jeune fille s’est entretenue avec le juge d’instruction pendant plus de deux heures. Elle a été jugée la semaine dernière sur la base du décret du 18 juin 1894 relatif à la « détention d’outils et d’instruments incendiaires sans autorisation » et a écopé de 300 dinars d’amende. Mais d’autres charges sont retenues contre elles comme celles de « profanation d’un tombeau » ou d’atteinte à la pudeur lui font toujours risquer la prison ferme.

Amina en sefsari lors de son audience aujourd'hui au tribunal de première instance de Kairouan. Photo via FB

Selon son avocate, Radhia Nasraoui, elle s’est « bien défendue ».

« Elle a expliqué en quoi son action à Kairouan ne visait pas à être un acte d’atteinte à la pudeur. Elle ne s’est pas dénudée et elle a aussi accusé les témoins dans son procès d’avoir donné de faux témoignages. Elle a aussi déclaré que son objectif à terme reste de défendre la cause des femmes »

a déclaré l’avocate à son retour de Kairouan. La jeune fille n’a pourtant pas encore obtenu sa mise en liberté puisque le juge d’instruction n’a pas émis de jugement.

« Cela peut prendre jusqu’à trois jours. Je trouve cela inadmissible. Elle devrait être relâchée puisque les charges qui pèsent sur elles sont sans preuves. Il n’y a pas eu « association de malfaiteurs » par exemple, elle ne s’est pas dénudée. C’est du grand n’importe quoi, cela me rappelle vraiment les procès Ben Ali »

Du côté de son comité de soutien les membres s’inquiètent également de la tournure que prend le procès « définitivement politique » selon une des membres. « Même si d’après son père et son avocate qui ont pu la voir en prison, son moral est bon, l’affaire est en train de devenir trop politisée. Même l’action des Femen la semaine dernière semble avoir créé un mal pour un bien en médiatisant encore plus son cas. »

La mobilisation du groupe des Femen pour appeler à la libération d’Amina et des trois autres femmes s’est faite sentir dans les jours précédent le procès. Hier soir, une des leaders des Femen, Alexandra Schevschenko, a été arrêtée dans l’hôtel dans lequel elle résidait à Tunis puis expulsée par les officiels tunisiens. Aujourd’hui à Paris, un groupe de Femen a exécuté une simulation de prière musulmane devant l’ambassade de Tunisie. Le groupe de dix Femen en bas résilles et talons était mené par Aliaa Elmahdy, la blogueuse égyptienne qui avait posé nue en octobre 2011 sur son blog.

Inna, une des leaders des Femen, basée à Paris, et jointe par téléphone, a revendiqué cette imitation de la prière pour « dénoncer les causes politiques et religieuses derrière le procès. »

Le ministre des Affaires étrangères français Laurent Fabius a également appelé à la « clémence » dans le jugement des trois Femen.

A Tunis, ni la société civile ni la classe politique ne se sont prononcées ouvertement sur le cas de Amina et des autres Femen. Seule l’ONG Amnesty international a appelé à la libération d’Amina Sboui :

« Punir son comportement d’une peine de prison, même s’il est possible que certains le considèrent choquant, serait disproportionné et fondamentalement incompatible avec les obligations internationales de la Tunisie en matière de droits humains, en vertu desquelles ce pays est tenu de respecter et de protéger la liberté d’expression » a écrit Hadj Sahraoui, directrice adjointe du programme Moyen Orient et Afrique.

L’ONG craint, tous comme les proches d’Amina, que la justice soit motivée par des « considérations politiques » et « soumise à la pression populaire » :

« Il est par ailleurs extrêmement inquiétant qu’elle soit accusée d’appartenir à une organisation criminelle, car on recourait à ce type d’accusation contre les opposants politiques non violents à l’époque du président Ben Ali. Nous voyons en outre de plus en plus souvent les autorités invoquer de manière abusive le chef d’atteinte aux bonnes mœurs pour sanctionner des blogueurs, des opposants, des artistes et des journalistes qui se sont exprimés de manière pourtant pacifique. »

Mardi 4 juin, treize associations tunisiennes auraient, par contre, porté plainte contre les Femen selon le site Kapitalis. Du côté des Femen, elles ne semblent pas abandonner. Inna a déclaré qu’elles reviendraient en Tunisie.

” Ce n’est que la première étape. Personne n’écoute notre vision des choses dans ce procès, nous sommes très en colère et je tiens à faire savoir que désormais nous ferons une démonstration contre tout officiel tunisien qui se déplacera en Europe ou ailleurs. ” Celle-ci faisait à référence aux deux précédentes actions des Femen: une en avril contre le président Moncef Marzouki à l’Institut du Monde Arabe à Paris pour appeler à libérer Amina, une autre le 1er juin lors d’un discours de Hamadi Jebali au Canada.