Communiqué FIDH –

En moins de 48 heures, la justice tunisienne a condamné à des peines de prison ferme 3 activistes pacifiques et un artiste. Plusieurs personnes dont des journalistes ont par ailleurs été arrêtées et sont aujourd’hui l’objet de poursuites après avoir protesté contre ces décisions de justice sévères. La FIDH dénonce cette nouvelle vague de mesures répressives qui s’inscrivent dans un contexte d’atteintes répétées aux libertés individuelles.

Le 13 juin 2013, le tribunal de Ben Arous (banlieue de Tunis) condamnait Alaa Yaacoub, rappeur tunisien connu sous le nom de Weld El 15 à deux ans de prison ferme pour avoir insulté la police dans une chanson. Condamné par contumace en mars 2013 à la même peine, Alaa Yaacoub s’était ensuite livré à la justice qui a ré-ouvert le procès. Début 2013, le rappeur avait diffusé sur YouTube un clip intitulé Boulicia Kleb (Les policiers sont des chiens). Il a été condamné pour «complot visant à commettre des violences contre des fonctionnaires» et «outrage à la police», crimes passibles de peines de prison dans le code pénal tunisien.

Alors que des cris se sont élevés dans la salle d’audience après le prononcé du verdict à l’encontre d’Alaa Yaacoub, la police est intervenue brutalement pour évacuer des artistes, des journalistes et amis du rappeur. Des actes de violences ont été perpétrés à l’extérieur du tribunal par les forces de l’ordre et plusieurs personnes dont la journaliste Hind Meddeb ont été arrêtées. Libérées le 14 juin, Hind Meddeb et 6 autres personnes comparaîtront devant un juge d’instruction le 17 juin. Des heurts ont également été constatés dans la capitale tunisienne lors de protestations spontanées en réaction à cette décision de justice.

Le 12 juin 2013, 3 militantes féministes européennes appartenant au mouvement Femen, ont par ailleurs été condamnées à 4 mois de prison ferme pour atteinte aux bonnes mœurs et à la pudeur après avoir manifesté seins nus devant le Palais de justice de Tunis, le 29 mai 2013. Ces trois militantes s’étaient rendues à Tunis pour exprimer leur soutien à Amina Sboui « Tyler », accusée de partager le combat des Femen, détenue depuis le 19 mai, et poursuivie notamment pour « association de malfaiteurs » et « profanation de sépulture » pour avoir inscrit le mot « Femen » sur le mur d’un cimetière de Kairouan. Amina Sboui avait déjà été condamnée à une amende de 300 dinars tunisiens par le tribunal de première instance de Kairouan pour détention d’un aérosol lacrymogène de défense.

« Ces condamnations à des peines de prison ferme sont totalement disproportionnées. Elles accréditent nos craintes de voir la justice instrumentalisée pour restreindre l’espace démocratique et l’exercice des libertés en particulier, la liberté d’expression » a déclaré Karim Lahidji, Président de la FIDH.

Dans son observation générale de 2011 concernant l’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, article portant sur la liberté d’expression, le Comité des droits de l’Homme des Nations unies dis pose que « [les restrictions à la liberté d’expression doivent] répondre aux critères stricts de nécessité et de proportionnalité ». Celui-ci ajoute que des motifs telle la moralité publique ne peuvent « jamais être invoqués pour justifier des mesures tendant à museler un plaidoyer en faveur (…) des valeurs démocratiques et des droits de l’Homme ».

La FIDH appelle à la libération des personnes condamnées et détenues dans le cadre de ces affaires. Elle demande en outre, aux autorités tunisiennes de se conformer pleinement à leurs engagements internationaux de protection des droits de l’Homme et en particulier, à respecter et garantir les libertés d’opinion et d’expression.

La FIDH appelle par ailleurs les autorités à inviter en Tunisie dans les plus brefs délais les Rapporteures spéciales de la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples sur les droits des femmes et la liberté d’expression pour des missions de contact et de promotion des droits humains.