Manifestation pour “la légitimité” place de la Kasbah, samedi 3 août 2013. Le nombre de manifestants à fait l’objet d’une bataille de chiffres. Source image : Page officielle du Parti Ennahdha.

Avec les manifestations et les sit-in qui s’enchaînent depuis l’assassinat le 25 juillet du leader de gauche Mohamed Brahmi, la guerre sur le nombre des manifestants fait rage.

Dernière bataille en date : celle sur le nombre de manifestants présents samedi soir 3 août à la Kasbah pour la “meliounya” (mot désignant une manifestation d’un million de personnes) pour “la légitimité”, organisée par le Parti Ennahdha.

Entre les chiffres des organisateurs, ceux de la police et ceux des opposants à cette manifestation, les écarts sont très importants.

La bataille des chiffres

Les pages Facebook proches du parti Ennahdha sont restées très prudentes sur les chiffres, mais parlent de plusieurs milliers de personnes. En fin de soirée, le parti revendique quelque 200 000 manifestants rassemblés place de la Kasbah, pour défendre sa légitimité au pouvoir et dénoncer les violences politiques. Dans une envolée lyrique, Rached Ghannouchi, leader du parti, visiblement satisfait de la mobilisation, a même comparé ce rassemblement à la conquête de la Mecque par le prophète Mohamed.

Côté police, rien d’officiel. Plusieurs médias ont publié via des sources policières des estimations qui varient entre 30 000 pour le site Businessnews et 90 000 sur le site Tuniscope. Ce dernier s’est même essayé à un calcul mathématique, estimant les manifestants en fonction de la superficie de la place de la Kasbah. Il en conclut que la place ne pouvait pas contenir plus de 44 000 personnes, avec une densité de 4 personnes au mètre carré.

Pour Businessnews, ils n’étaient pas plus que 15 000 personnes, chalands compris. Un chiffre invraisemblable, même pour les plus hostiles à Ennahdha, et avec toute la mauvaise foi du monde.

Que disent les mathématiques ?

Pour tenter d’obtenir des chiffres moins « passionnels », le meilleur calcul à faire reste celui entre la surface occupée et la densité supposée au mètre carré. Les spécialistes du comportement des foules estiment entre 1,5 et 3 le nombre de personnes par mètre carré dans une manifestation.

Il peut bien sûr y avoir le double de personnes sur un mètre carré, mais aussi beaucoup moins par endroits en raison des espaces pris par les arbres, bancs publics et autres infrastructures, comme le monument à la mémoire des martyrs qui se trouve au milieu de la place de la Kasbah. Il y a aussi l’espace occupé par l’estrade et le matériel de sonorisation. A cela, on peut ajouter les rues alentours comme une extension de la place.

En se basant sur les images de la couverture médiatique de la manifestation, il est possible d’établir un périmètre dans lequel les manifestants se sont regroupés. Avec un outil comme Google Planimeter, on peut alors calculer la superficie de l’espace déterminé en se basant sur le service de cartographie de Google.

Carte générée par Google Planimeter.

Comme on le voit sur cette image, la superficie couverte par les manifestants à la Kasbah est d’environ 23 650 m². C’est une estimation large, puisqu’on a intégré la rue du 20 mars et la petite place entre l’esplanade de la Kasbah et la place du gouvernement.

Ce qui amènerait à un chiffrage de 35 475 manifestants dans la fourchette basse, et 70 950 dans la fourchette haute. On peut affiner ces chiffres en se basant sur le témoignage de nos reporters sur place, qui parlent d’une densité élevée près de l’estrade, et moyenne voire faible au fur et à mesure qu’on s’en éloigne. L’estimation la plus juste serait donc de 50 000 manifestants, en se basant sur une densité de 2 personnes par mettre carré.

Bien évidemment, ces chiffres représentent le nombre de manifestants présents à un moment donné, et ne prennent pas en compte le flux des manifestants qui quittent la place et de ceux qui la rejoignent.

Sans qu’ils aient à rougir de l’affluence, samedi dernier, à la place de Kasbah, on est loin du million espéré par Ennahdha pour la “meliounya de la légitimité”. Avec le bras de fer qui continue depuis plus d’une semaine au Bardo, le parti est-il capable de mobiliser autant de manifestants sur une longue durée ?

Pour l’instant, l’affluence au Bardo des pro-légitimité reste modeste, comparée aux manifestations pour la chute de l’assemblée et du gouvernement. Entre 4 000 et 6 000 personnes au moment le plus fort de leur présence. Deux à trois fois plus coté sit-ineurs.

Une infériorité numérique qui risque de s’aggraver demain soir, 6 août, avec les appels à la commémoration de l’assassinat de Chokri Belaid.