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Cette semaine a vu s’accomplir un fait quasi miraculeux : le départ « réellement effectif » du dialogue national, vendredi 25 octobre. Les deux principales forces que le gouvernement accusait d’entraver l’entame du dialogue, l’extrême gauche et le salafisme djihadiste, se sont illustrées le 23 octobre, respectivement à Tunis et à Sidi Bouzid. Mais la pression de la rue et le terrorisme précipitent finalement un dialogue de la « dernière chance ». Pour autant, cynisme et intéressement politiques y sont toujours de mise.

Le mercredi 23 octobre 2013 est à marquer d’une pierre blanche comme étant l’une de ces folles journées où le pouvoir vacille. La date devait marquer le coup d’envoi du dialogue national, telle une mise sous tutelle d’un pouvoir cancre, incapable de conduire seul la fin de la transition.

A partir de la mi-journée, les évènements vont se bousculer à un rythme effréné, éloignant la perspective d’un speech convenu où Ali Larayedh devait annoncer, à reculons, la tenue d’une première session du dialogue national.

Il y a d’abord eu les étranges manifestations « scriptées » marquant une année d’expiration de la légitimité parlementaire, avec en filigrane l’inquiétant leitmotiv du « regret d’avoir voté ».

Comme pour ne pas prêter le flanc à la controverse, Nidaa Tounes s’y est éclipsé au profit de ses alliés d’al Joumhouri, al Massar et al Jabha, surreprésentés par une foule de drapeaux aux couleurs des partis à l’Avenue Bourguiba. Un encadrement qui agace les quelques rares militants apolitiques qui ne boycottaient pas la marche.

Scène plutôt inattendue dans les mouvements de contestation, la manif se transforme en congratulation de la police, très applaudie en hommage aux efforts de la Garde nationale à Goubellat théâtre d’une double perte d’un officier et d’un agent.

La foule n’a pas le temps d’arriver à la Kasbah que le front de la lutte antiterroriste refait parler de lui d’une façon tragique. Stupeur générale lorsque tombent les nouvelles en provenance de Sidi Ali Ben Aoun : 6 gendarmes tués au cours d’une descente au fief salafiste.

Dans ces conditions, le chef du gouvernement ne sort de son mutisme avec 5 heures de retard que pour invoquer une nécessaire hiérarchisation des priorités, l’impératif sécuritaire suspendant tout le reste.

« Bien trop commode » pour l’opposition, qui y voit au contraire un motif de départ supplémentaire d’un exécutif aux abois qui « envoie ses troupes au casse-pipe », en l’absence d’une stratégie antiterroriste globale.

Première conséquence sur le plan syndical : 5 sanctions administratives allant jusqu’à la suspension à l’encontre de membres des forces de l’ordre sont annulées. Ce qui ne suffit pas à freiner les ardeurs de plus en plus politiques du Syndicat national des forces de sécurité intérieure.

Réuni à Sousse le 25 octobre, il menace de poursuites judiciaires le Premier ministre qu’il tient pour responsable de la multiplication d’incidents meurtriers, et réclame la réintégration de cadres limogés après la révolution.

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Le rôle trouble des médias ou les larmes de dinosaures

Les tensions politiques à leur paroxysme coïncident avec une polémique autour du déficit éthique des médias du secteur privé, plus partisans et bipolarisés que jamais.

Lors de l’un de ses rares rappels à l’ordre depuis sa création, l’autorité de régulation du secteur, la HAICA, est montée au créneau contre les « pratiques déloyales et racoleuses » de certains médias qui « orientent et manipulent l’information ».

Elle met en garde, sans les nommer, les chaînes de télévision incriminées en rappelant que lesdites pratiques tombent sous le coup des articles 29 et 30 du décret-loi 116 daté du 2 novembre 2011.

Tout au long de la semaine, Nessma TV s’est adonnée à une campagne acharnée alternant spots et questions oratoires sur la fin des institutions issues de la révolution, tout en dressant un tableau catastrophiste de famine à venir et de pays en ruines.

L’opération est couronnée en fin de semaine par l’intervention mi interview mi tribune de Béji Caïd Essebsi où il adopte, visiblement à bout de patience, un discours ouvertement putschiste. Une petite larme zoomée est même versée par l’octogénaire.

De leur côté les chaînes al Moutawasset et Zitouna assuraient une campagne pro pouvoir non moins partisane.

Premières heures du dialogue, premières discordes

C’est fait ! A la faveur d’une once de volonté politique, en 24 heures à peine, le dialogue national a nommé ses porte-paroles et la liste des experts désignés dans la nuit de vendredi à samedi.

La classe politique ne doit en réalité ce déblocage qu’à une levée partielle de l’ambiguïté des positions des uns et des autres. Les déclarations des adversaires politiques sont en effet à peine plus claires d’un point de vue sémantique.

Ali Larayedh ne fait que « renouveler » jeudi ses engagements, conformément aux délais mentionnés dans la feuille de route (soit une démission dans les 3 semaines, mais sous réserve de la bonne marche parallèle du processus constitutionnel), et les élus d’opposition s’engagent à revenir sur les bancs de l’ANC le même jour, en vertu de cette déclaration qu’ils jugent « satisfaisante ».

Ce qu’une partie d’entre eux a fait dès samedi, reçue par un Mustapha Ben Jaâfar optimiste.

En cette 2ème journée du dialogue, les belligérants entraient dans le vif du sujet, ce qui obsède tant la classe politique et passionne les médias : le casse-tête du choix de la personnalité qui présidera le futur gouvernement de compétences.

Depuis, chaque parti y va de sa sélection de candidats. Les listes fusent, des noms les plus consensuels, aux plus improbables.

Ahmed Mestiri, Chedly Ayari et Lotfi Ben Jeddou auraient la préférence d’Ennahdha, tandis que Mustapha Kamel Nabli serait l’homme de Nidaa Tounes. Dans un cas comme dans l’autre, il est peu probable que Mestiri soit approuvé par Nidaa Tounes, tout comme Nabli, incarnation de l’establishment « des familles », n’est pas vu d’un bon œil par le tandem Ennahdha – CPR.

Plus étonnant dans le contexte post révolution de la dignité, le nom de Jelloul Ayed est récurrent, notamment en tant que candidat proposé par l’Alliance Démocratique. Champion de la privatisation, l’homme est un ultra libéral convaincu, apôtre d’une politique de droite économique en guise de solution à la crise.

Il n’est pas la seule figure pressentie pour le poste et issue des gouvernements Mohamed Ghannouchi 1 et 2, voire de l’ère Ben Ali, à l’image de Sadok Rabeh, plusieurs fois ministre entre 1988 et 2004 ou encore Abdelkrim Zbidi, soutenu par le Front Populaire.

« Personne ne veut du poste » selon certaines fuites, surtout ceux qui y voient une patate chaude nécessitant un certain sens du sacrifice. Wided Bouchamaoui n’en voudrait pas non plus, selon ses proches. Il eût été assez cocasse que le patronat préside la transition d’une révolution…

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ANC : Reconfigurations des blocs parlementaires

A l’Assemblée, les élus s’agitent déjà en prévision de la réception des résultats du dialogue. C’est sans doute l’aspect le plus artificiellement politicien des mutations en cours au niveau de divers blocs.

Samedi, c’est le trio al Joumhouri, Afek, et al Massar qui montre la voie en se séparant du jadis puissant Bloc Démocratique, drainant avec lui les quelques élus étiquetés Nidaa Tounes. En clair, la nouvelle entité pourrait s’appeler « Bloc Nidaa – Cheval de Troie », tant il est vrai que les 3 partis en question ne pèsent pas lourd face à la vague Nidaa en dehors de l’Assemblée.

Le groupe scelle en outre de façon humiliante son divorce avec l’Alliance Démocratique comme mouton noir peu fiable, Mohamed Hamdi n’ayant pas été mis au courant de la manœuvre.

Au-delà des prétextes de l’efficacité et du pragmatisme, il existe un lien idéologique de plus en plus avéré entre les composantes du nouveau-né parlementaire.

Idem pour la nouvelle alliance Wafa – CPR – al Mahabba et affiliés qui, via Abderraouf Ayadi, se prévaut désormais d’être le 2ème plus important bloc à l’ANC. De quoi compromettre sérieusement les avancées en provenance du Dialogue, en y faisant obstruction.

Sur le plan « com’ », Zied Ladhari remplace Ajmi Lourimi au porte-parolat d’Ennahdha, signe que le parti est soucieux de se donner une image plus policée.

La semaine marque par ailleurs le retour de Hamadi Jebali sur le devant de la scène. L’ex Premier ministre est très critique sur l’insistance avec laquelle l’opposition demande le départ de son prédécesseur à la mi-novembre, elle qui se montre indulgente quant au reste du calendrier de la feuille de route.

Mardi devrait être consacré en séance plénière à l’amendement de la loi portant création de l’ISIE. C’est le premier volet polémique d’un dialogue national qui en compte plusieurs.

Si les protagonistes s’enlisent davantage dans des querelles d’égos et de logistique, c’est la classe politique dans son ensemble qui sera alors menacée de discrédit. Toutes composantes confondues, elle n’aura pas été à la hauteur de la séquence historique, entre les tentatives de récupération des nostalgiques du sécuritarisme et l’apathie des actuelles 3 présidences.