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Crédit photos : Seif Soudani.

 

Lorsqu’ont eu lieu en 2013 les assassinats de Belaïd et Brahmi, beaucoup avaient pointé du doigt « la responsabilité politique » de l’ex troïka, celle d’avoir « instauré un climat de violence verbale » propice à de tels actes. Aujourd’hui le débat fait rage s’agissant de la responsabilité morale et politique dans les deux évènements majeurs que sont l’arrestation de Yassine Ayari et l’obstruction de la Garde présidentielle face à l’Instance Vérité & Dignité. En incombe-t-elle à un pouvoir sortant aux abois, ou au nouveau pouvoir déjà virtuellement aux affaires depuis un certain temps ?

Tour de vis sécuritaire

La plume des laudateurs reprend du service dans divers médias tunisiens. La géopolitique n’est pas en reste : des « experts » algériens, au régime syrien de Bachar al Assad, le climat est marqué par la réjouissance des nostalgiques de la stabilité fictive caractéristique de l’ère pré révolutions arabes.

D’une autre époque, c’est aussi l’expression qui vient à l’esprit pour qualifier la comparution du civil Yassine Ayari devant un tribunal militaire. Quand bien même on admettrait l’outrage à l’institution militaire, quelle est donc l’étendue de l’audience du blogueur, comparée à celle des médias de masse ? De quel genre d’armée disposons-nous pour que ses unités soient « déstabilisées » par Facebook ?

Voilà des mois que Nidaa Tounes, parti fondé sur l’idée du sauvetage patriotique, fait campagne sur le thème la suprématie de la lutte antiterroriste, une lutte associée au nécessaire retour de l’autorité de l’Etat. « Inchallah l’Etat reviendra ! », lança notamment Béji Caïd Essebsi devant les caméras, en visite au domicile endeuillé de l’officier Socrate Cherni, l’une de ses dernières étapes de campagne au Kéf, là où il allait réaliser un score entre 70 et 80% selon les délégations.

Cette « guerre contre le terrorisme » va de pair avec une sacralisation accrue de l’institution militaire, elle qui est régie par un code de procédure datant de 1957. Les exemples ne manquent pas de régimes autoritaires ou semi militaires tirant leur légitimité de la perpétuation d’un état de guerre réel ou feint.

Se sentant investis d’une mission sacrée, l’armée tunisienne et son bras judiciaire avaient entamé une relecture de l’histoire récente en émettant des verdicts particulièrement cléments en appel dans la condamnation des responsables sécuritaires de l’ère Ben Ali en avril dernier, dont trois ans de prison pour Ali Seriati, soit autant que la peine requise contre Yassine Ayari…

Au même moment au Maroc, depuis mars 2014 une réforme de la justice militaire interdit désormais aux tribunaux militaires de juger des civils, là où la Tunisie suit les pas de l’Egypte d’al Sissi qui a élargi depuis octobre dernier le champ d’action de la justice militaire. Dans ces deux pays où une restauration respectivement lisse et violente suit son cours, les juges militaires sont sans doute sensibles à une opinion publique qui leur est pour l’instant globalement favorable.

Mais quelle que soit l’issue du procès du 6 janvier prochain, l’institution militaire aura péché par excès de confiance en incarcérant une figure comme Yassine Ayari, fils d’officier martyr qui a le droit d’être en colère contre une institution ayant échoué à protéger son père, souligne aujourd’hui sa défense. Si la prison ferme est confirmée, le nouveau président, déjà contesté, entamera son mandat dans une ambiance délétère, avec des conséquences politiques désastreuses en termes d’image à l’international. Yassine a par conséquent déjà gagné.

Mini coup d’Etat de la Garde présidentielle

« Une République bananière où des officiers de police font la loi », c’est en substance la réaction sans détour d’Ayachi Hammami à l’incident ayant opposé une faction de la Garde présidentielle aux membres de l’Instance Vérité et Dignité.

En clair, les cinq membres du syndicat de la sûreté présidentielle qui ont fait barrage avec leurs véhicules pour empêcher la saisie des archives, au-delà d’un crime passible de 6 mois de prison, se sont livrés à un acte de rébellion.

Le communiqué publié la même journée par la présidence de la République sonne en effet comme un aveu d’impuissance, en précisant que la volonté politique et décisionnelle du président Marzouki était sans ambiguïté dans la coordination avec l’IVD.

Certes la cérémonie de passation des pouvoirs n’aura vraisemblablement lieu que le 31 décembre, mais une fois de plus nous sommes en présence d’individus qui, sentant le vent tourner, sont dans la tentation de plaire aux futurs dirigeants.

Et ça marche ! Les officiers frondeurs pourront espérer une promotion puisque le très bavard Hafedh Caïd Essebsi sur les réseaux sociaux a chaleureusement félicité la Garde présidentielle « pour sa fermeté », en la remerciant en chœur avec l’establishment médiatique qui a titré « bravo la police ».

Tandis que la désinformation s’intensifie autour de la justice transitionnelle, la machine médiatique est en passe de gagner la bataille de la communication là où nul ne pose la question du conflit d’intérêt : ainsi peut-on laisser des archives dans un lieu où le futur principal occupant est mis en cause en tant qu’ancien ministre de l’Intérieur ? D’autant qu’en 2011, les archives de l’ATCE et de plusieurs ministères avaient pu être détruits dans l’indifférence générale.

Plus encore que la symbolique de la rébellion d’un corps armé et la problématique de syndicats politisés non dédiés à la défense de droits économiques et sociaux, nous sommes face à des exécutants qui s’arrogent un pouvoir discrétionnaire, se permettent d’étudier « la pertinence politique » du transport des archives et d’arbitrer là où personne ne leur demande de le faire.

Les signaux envoyés en ce premier test sont ceux des prémices du retour à une hyper présidence, une voyoucratie qui ne se soumet pas à une instance indépendante mise en place par la constituante.

A compter du 26 décembre et jusqu’à la passation des pouvoirs, le président Marzouki, encore en exercice, peut de facto se considérer comme étant non protégé par sa propre garde présidentielle.