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Le néologisme est né au lendemain des attentats du 11 septembre 2001. Par hyper-terrorisme on entend des opérations spectaculaires, d’une envergure nouvelle, qui relativisent le caractère asymétrique de l’affrontement post guerre-froide que certains idéologues qualifient de « civilisationnel ». Pourtant, ce gigantisme signale, comme dans le cas des attaques du vendredi 13 novembre à Paris, une composante géopolitique que l’on aurait tort d’ignorer.

Commenter des évènements tragiques, moins de 48 heures après les faits, c’est prendre un risque : celui de s’écarter des sentiers battus de l’indignation et de l’injonction d’écrire autre chose que « nous sommes en guerre ». Ce risque, tout commentateur de l’actualité se doit de le prendre, aussi rationnellement que possible, à l’abri des passions et des intimidations.

Il existe en l’occurrence un tabou, c’est celui d’admettre que l’attaque concertée du vendredi dernier à Paris trouve sans doute ses origines dans le massacre de la Ghouta, perpétré par le régime de Bachar al Assad qui avait bombardé à l’arme chimique cette banlieue de Damas le 21 août 2013, faisant plus de 1400 morts.

À la conférence des ambassadeurs qui s’était tenue à Paris quelques jours plus tard, le président François Hollande avait déclaré que « La France est prête à punir ceux qui ont pris la décision infâme de gazer des innocents », et que « tout porte à croire que c’est le régime qui a commis cet acte abject qui le condamne définitivement aux yeux du monde ».

« L’arbitraire lâchage des rebelles syriens »

Les Nations unies avaient aussitôt étudié la possibilité d’une intervention, dans le cadre d’une coalition menée par la France. Les porte-avions se mettent en branle, on pense alors que des frappes sont imminentes. Mais un incroyable renversement de situation, dû en partie à un cuisant échec diplomatique français auprès des Etats-Unis, ainsi qu’aux tractations de la Russie en faveur d’al Assad, aboutissent à un statu quo auquel le régime syrien doit depuis sa survie.

« It didn’t go unnoticed »… commente un chef rebel syrien. Car depuis la France ne s’est pas contenté de cette reculade : deux ans plus tard, un incohérent revirement conduit l’Elysée à annoncer le 27 septembre 2015 que l’armée française avait effectué ses premières frappes en Syrie avec succès contre l’Etat islamique, rasant notamment le camp d’entraînement de Deir Ezzor.

Ethiquement problématique, ce choix de passer en l’espace de deux ans d’une volonté de faire chuter le régime baathiste, à une volonté de défendre indirectement son maintien en procédant à des frappes exclusivement contre Daech, est perçu comme une ahurissante volte-face par l’opposition syrienne la plus radicale et ses soutiens du Golfe.

Le tabou aujourd’hui, c’est d’affirmer que le changement de politique étrangère du pouvoir socialiste français l’a exposé à des représailles. La France, qui est devenue entre-temps le deuxième exportateur mondial d’armements, via la vente du Rafale au régime autoritaire égyptien d’al Sissi.

Le procès en « culture de l’excuse » est-il ici valide ?

En France, c’est en revanche sans aucun complexe que l’extrême droite, la droite sarkozyste, et une partie de la gauche autoproclamée non angéliste s’érigent plus que jamais en va-t-en-guerre depuis 48 heures, contrairement à l’après attaque de Charlie Hebdo où les velléités belliqueuses ne faisaient pas l’unanimité.

Sous couvert d’unité nationale, la récupération politique va en réalité bon train. On le savait, Marine Le Pen avait déjà gagné le premier tour des présidentielles de 2017 avant ces dernières attaques. Elle est peut-être en passe de devenir favorite au second tour, à voir la popularité de son dernier discours.

Alain Juppé, jusqu’ici sur une ligne chiraquienne non interventionniste, dit avoir révisé son avis sur Bachar : « J’étais sur la ligne du gouvernement, ni Daech ni Bachar. Aujourd’hui il y a des hiérarchies », estime l’ancien Premier ministre. « Nous nous sommes enfermés dans un cercle vicieux », tempère quant à lui Dominique de Villepin.

A gauche, une idée martelée depuis vendredi consiste à avancer que « l’ennemi ne vous attaque pas pour ce que vous faites, en réalité il vous attaque pour ce que vous êtes ».

Ce diagnostic, généralement suivi d’une injonction de choisir son camp (lumières VS obscurantisme), mérite que l’on s’y attarde. Oui, il est vrai qu’à prendre acte de la revendication publiée samedi par l’Etat Islamique, qui décrit Paris comme « un haut lieu de débauche », il apparait légitime de penser que ces récents évènements se résument à une poignée d’intégristes qui tentent d’imposer leur mode de vie à l’« Occident impie ».

Mais c’est omettre que ces vidéos de revendication sont aussi des vidéos de propagande adressées en premier lieu aux puristes et aux jeunes locaux susceptibles de prendre les armes demain par naïveté ou idéalisme manichéen. D’où la nécessité d’y mettre en avant de telles considérations morales transcendantes et superstitieuses plutôt que la lutte de pouvoir sur le plus trivial théâtre des opérations en Syrie.

S’ils utilisent certes évidemment les moyens de la barbarie, considérer que les extrémistes n’agissent uniquement que par puritanisme sociétal réactionnaire, c’est verser dans une sorte d’essentialisme inversé : cela nie en effet les demandes politiques des rebelles syriens, et les définit selon ce qui serait leur essence. C’est donc être à son tour dans l’idéologie.

Ce déni de la colère des peuples est à son paroxysme lorsque Bachar al Assad lui-même déclare cyniquement que « la France a connu ce que nous vivons en Syrie depuis 5 ans ». Ce même type de déni aboutit aussi à la hiérarchisation qui a poussé le président tunisien Béji Caïd Essebsi à être le premier chef d’Etat à se déplacer en France pour être au chevet de son homologue français.

A Sidi Bouzid, le cousin d’un jeune berger décapité le même jour par des djihadistes locaux a dénoncé qu’aucun officiel n’a daigné se présenter au domicile de la victime.