La première semaine de février a été marquée par un défilé de personnalités au Palais de Carthage. Officiellement, la présidence de la République affirme qu’il s’agit d’une série de consultations en vue du lancement d’une « vaste initiative nationale de sauvetage économique » censée amorcer une sortie de crise. Mais derrière les apparences de sagesse et de consensualisme, les dessous de ces tractations révèlent qu’une présidence rancunière s’entête à appliquer bientôt les mêmes recettes libérales récemment rejetées par une majorité de Tunisiens.
« Certains se sont révoltés contre moi parce que j’ai lancé une initiative pour l’intérêt du peuple et de la Tunisie, et non pour mon propre intérêt. Ils s’y sont opposés, ils n’en veulent pas de cette réconciliation économique, c’est leur droit, sauf qu’ils veulent descendre dans la rue… ». Ces propos sont ceux de Béji Caïd Essebsi (17ème minute) dans un entretien télévisé accordé à la Wataniya 1. Il y fait référence au Front Populaire, pour ensuite établir un lien plutôt incongru avec les récents mouvements sociaux partis de Kasserine. Le lien est incongru en ce qu’il illustre un réflexe complotiste, un entêtement à tenir l’opposition de gauche pour responsable d’un grabuge qui aurait été longuement médité.
Ahmed Néjib Chebbi, Mohamed Nouri Jouini, Mondher Zenaidi, Mehdi Jomâa, Mongi Hamdi, et Mansour Moalla… Telle est la liste officielle du ballet de personnalités reçues en une semaine par le président de la République, resté discret sur l’ordre du jour de ces rencontres inhabituelles. Ce qui a ouvert la voie à diverses spéculations, tant la liste ressemble à s’y méprendre à un casting de favoris, type dialogue national, pour remplacer un Habib Essid toujours hospitalisé à l’hôpital militaire suite à « un surmenage » selon les médias officiels. Interrogé par Elyes Gharbi à ce propos, Essebsi répondra non sans une certaine fausse modestie : « Je les ai rencontrés après avoir constaté que je me trouvais sous le feu des critiques. Je me suis alors remis en question. Ces gens sont expérimentés, ce sont des hommes d’Etat… Je les ai consultés… La plupart m’ont dit que j’avais raison dans mes choix ».
A l’issue de la rencontre avec Mansour Moalla, censée couronner le défilé des figures nationales au Palais, le service communication de la présidence a cru bon de publier un extrait vidéo de l’entrevue. A la 10ème minute le président y murmure : « En politique il faut être humble, faut pas être… Quand on ne sait pas quelque chose, on demande à ceux qui savent, et alors..? ». La conclusion est précédée par une longue allégorie, issue des souvenirs d’enfance du président qui finira par une métaphore entre un troupeau de moutons et « le commerce des hommes »… Les manifestants apprécieront.
A sa sortie, Mansour Moalla, 86 ans, déclarera qu’il a soumis au président « une initiative qui viendra à bout du chômage, échelonnée sur les trois prochaines années, à raison de 70 000 créations d’emploi par an », pour endiguer un chômage touchant 600 000 personnes, dont 250 000 diplômés du supérieur.
L’enregistrement de la conversation -étonnamment francophone- entre les deux hommes renseigne d’ores et déjà sur les contours de l’initiative en question. On y entend Béji Caïd Essebsi dire : « Je me dis qu’il nous reste 4 ans, mettons-les dans ce cadre-là. Nous devons expliquer aux gens que ce problème (le chômage, ndlr), c’est notre principale préoccupation, mais que nous ne pouvons pas le résoudre tout de suite… A mon avis, il faut que nous sortions de la rengaine de l’Etat et du budget de l’Etat en lien avec ces problématiques. Quels que soient les résultats, il ne faut pas impliquer l’Etat dans cette affaire… », « Il faut l’impliquer indirectement », rétorque alors Moalla. C’est là qu’une joyeuse mélodie au piano couvrira le reste de l’entretien. Nous n’en serons pas davantage. Mais ce que ces propos révèlent, c’est néanmoins le caractère résolument libéral des orientations présidentielles.
Au-delà du fait que le président agit ici virtuellement comme dans un parfait régime présidentiel, sur-communiquant et s’appropriant les politiques gouvernementales en matière d’économie et d’emploi qu’il entend résoudre lui-même, son souhait d’un désengagement total de l’Etat en dit long sur la politique de droite qui s’apprête à être déployée, en parfaite harmonie avec le credo du patronat.
Si elle s’inspire du projet de Moalla, la panacée consisterait à inciter les grandes entreprises à recruter un nombre de personnes sans emploi égal à 15% du total de la main d’œuvre exerçant dans l’entreprise. Probablement un vœu pieux, déjà critiqué, au moment où la plupart des PME tunisiennes sont en difficulté.
Vexé par le double rejet de « son » projet de loi de réconciliation avec les auteurs de crimes financiers, une première fois au sein de l’opinion, une seconde fois via les recours déposés par l’opposition contre la loi de finance, le président Essebsi entend donc revenir à la charge. Cette fois ce sera à travers une initiative encore imprécise, mais que l’on devine, dans son esprit, dans la droite ligne de l’amnistie fiscale, d’autant que des fuites indiquent que des hommes d’affaires dont les frères Mabrouk ainsi que Slim Chiboub ont été reçus par Ridha Belhaj juste avant son départ du cabinet présidentiel (56ème minute).
L’économie n’est pas le seul versant où une fuite en avant conservatrice est à craindre. La droite au pouvoir entend toujours s’atteler également au dossier des martyrs et blessés de la révolution. Un bref communiqué annonçait vendredi 5 février la création d’une « Instance générale pour les martyrs et les blessés de la révolution et les opérations terroristes », placée sous l’égide du ministère des Relations avec les instances constitutionnelles, de la société civile et des droits de l’homme de Kamel Jendoubi. L’annonce a été suivie immédiatement d’une campagne de dénigrement contre les martyrs et les blessés, assurée par le jeune Hamza Belloumi.
Apparu avec le secrétariat d’Etat de Majdouline Cherni (l’égérie en guerre contre les droits de l’homme) qui a fait long feu, le confusionnisme entre révolution et terrorisme continue. Il opère à travers un certain révisionnisme historique, une insidieuse confusion idéologique entre martyrs et blessés de la révolution d’un côté, et ceux du terrorisme de l’autre. Il s’agit en réalité d’une volonté de hiérarchisation ou de concurrence mémorielle. Gageons que l’Etat, qui garde des réflexes survivances de l’Etat policier, privilégiera toujours “les siens”.
La fuite en avant est la culture des régimes en faillite.
Là nous sommes devant une culture présidentielle qui se veut préoccupée du quotidien immédiat des citoyens. Ce n’est pas la chose qu’on demande au président via l’actuelle constitution. Sauf que Mr le président a besoin de se faire montrer dans cette posture … Et puis vu les personnes rencontrées, les solutions proposées ne pourront que le conforter dans ses premières idées, comme il l’a bien dit. Peut-être il a besoin d’être rassuré que la solution libérale est toujours la bonne !?
Monsieur le président NA aucune prérogative si ce n’est seulement le blabla des visiteurs du palais des mille-et-une nuits. Une partie des citoyens a voté pour un vieillard de 90 ans qui a servi 2 dictateurs passés, que voulez qu’il fasse en 2016 aujourd’hui dans un monde futur. On ne peut pas demander d’être compétent et sincère dans son habit de roi …