Je ne suis pas un fanatique de la transparence mais lorsque les démocrates à temps partiel qui nous gouvernent se prennent de vouloir introduire des restrictions à l’accès à l’information, j’éprouve de vraies difficultés à refreiner mes inquiétudes. J’ai cependant la réflexion lente et passablement embrouillée. Aussi, vous ne m’en voudrez pas si, pour aboutir à quelques conclusions d’une grande évidence, je fasse un détour par un passé qui n’est pas si lointain.

Il y a quelques mois à peine, vous vous en souvenez, Rached Ghanouchi, qui n’a pas la réputation d’être un humoriste hilarant, a comparé la Tunisie à un bel oiseau dont une des ailes serait Nidaa Tounes et l’autre le parti Ennahdha. Il ne nous a pas dit si le Front populaire en était le croupion ni, surtout, qui en était à la tête. Car, assurément, à un oiseau, il faut une tête. Même s’il est né de l’amour cloacal d’une révolution en débandade et d’une contre-révolution à la virilité policière. En vérité, sur la question de la tête, Ghanouchi n’est pas resté complètement silencieux. Car si l’oiseau dont il parle a deux ailes comme il se doit, il aurait aussi, a-t-il suggéré, deux têtes ; non pas les deux têtes d’un aigle impérial, mais deux têtes fripées, dont l’une se prétend constitutionnellement au-dessus de tous les Tunisiens et l’autre se rêve spirituellement au-dessus de tous les Tunisiens.

Pour ma part, comme je suis un intellectuel, j’ai longuement réfléchi à la métaphore ghanouchesque. Je me suis notamment demandé à quelle espèce appartenait ce volatile étrange, censé nous assurer, avec plus de sécurité, le calme et la satiété. J’ai tout de suite pensé à quelque chose qui tienne du ptérodactyle, vu l’âge des deux leaders que vous savez et la voracité de tous les bureaucrates et hommes d’affaires qui règnent sur nos destinées. Mais ça ne marche pas. Non pas parce que le ptérodactyle n’est pas un oiseau mais un reptile mais plus probablement parce que, malgré les apparences, ni Ghanouchi ni Béji Caïd Essebsi ne sont des animaux préhistoriques. Chacun à sa manière, et n’en déplaise à de nombreux imbéciles, ils sont tous les deux modernes. Et puis le ptérodactyle vole alors que nos deux dirigeants sont en principe honnêtes et qu’en tous cas, l’oiseau cher à Ghanouchi, s’il a deux ailes, reste tristement cloué au sol.

Je sais qu’il en existe d’autres similaires dont les ailes inutiles se transforment petit à petit en moignons aussi dérisoires que ridicules mais je ne suis pas ornithologue. Alors j’ai pensé à un kangourou qui n’est pas un oiseau mais qui a une poche. Or, comme, semble-t-il, le régime issu des dernières élections a pour ambition principale de remplir les poches de ceux qui ont déjà les poches bien pleines, nul doute que l’oiseau dont nous parlons doit avoir une parenté avec les marsupiaux. Cet oiseau a certainement une quantité astronomique de poches à l’instar de ces vestons sans manches que se doit de porter un reporter-photographe digne de ce nom, même quand il prend sa douche. Sauf que, pour impressionner les gamines, les poches du reporter doivent être aussi visibles que nombreuses tandis que celles du nouveau régime sont intérieures comme celles d’un vulgaire kleptomane.

C’est cela qui m’inquiète dans la loi sur l’accès à l’information bien que les députés de la majorité semblent avoir pris en compte certaines critiques de l’opposition concernant une part des dispositions prévues. Et la conformité d’une loi avec la Constitution n’est sûrement pas une garantie suffisante. Or, on sait que, chez nous, les restrictions à l’information concernant les relations internationales ont bien souvent pour objet de masquer des accords honteux avec une grande puissance et d’autres accointances suspectes, que celles qui ont trait à la sécurité camouflent parfois l’arbitraire policier ; quant à la protection des intérêts économiques de l’Etat, on peut se demander si la nouvelle loi n’a pas pour finalité de dissimuler les vases communiquants grâce auxquels l’argent public file incognito dans la poche des rapaces et néo-rapaces qui forment non pas les ailes mais la chair et le sang du nouveau régime.

Chaval, un grand dessinateur d’humour qui opérait au mitan du XXème siècle a réalisé un film d’animation assez curieux, intitulé « Les oiseaux sont des cons » et s’est suicidé au gaz. Sur la porte de son appartement, il a affiché un avis : « Attention, Danger d’Explosion. »