Au cœur de ce que l’on nomme communément le processus de transition démocratique réside la Justice transitionnelle. De la réalisation de cette dernière dépend la réussite ou l’échec sur le moyen et le long terme de la révolution tunisienne. Révolution devant permettre -faut-il le rappeler- la réalisation d’une authentique démocratie politique.
La Justice transitionnelle permet, en effet, de réaliser -entre autres- les trois éléments suivants indispensables à la démocratisation :
– la prévention des plaies du passé par la déconstruction des mécanismes ayant permis, couvert et entretenu de graves crimes et délits portant atteinte aussi bien aux droits des personnes qu’à ceux de l’État… surtout l’argent public ;
– la purge du passé, non pas via l’impunité, mais via des processus, lesquels, non seulement ne malmène en aucun cas les procédures judiciaires, mais doivent aboutir en définitive à renforce plutôt la manière dont est rendue la Justice ;
– Veiller à une pratique de la Justice qui soit applicable à tous, de la même façon, de quelque «rang» social, politique ou économique, fût-on.
En somme, il s’agit d’une façon civilisée de solder le passé tout en renforçant la nouvelle donne démocratique.
Or, qu’en est-il du projet de la loi sur la réconciliation économique et financière du président de la République ?
Sur le plan de la symbolique, le projet de la loi, tel que formulé, incarnerait, s’il est voté, la consécration du tournant institutionnel vers le retour progressif à la situation qui prévalait avant le 14 janvier 2011.
Il convient, par ailleurs, de relever la chose suivante :
Depuis l’effondrement du système Ben Ali, la toute jeune -et relative- démocratie tunisienne poursuivait sa transition, tant bien que mal, grâce à un exercice des rapports de forces entre les différentes composantes de la société tunisienne tel qu’il empêchait une mainmise sur l’État. Cet exercice des rapports de forces, plus ou moins équilibrés, bride la tendance de tout exécutif, comme de toute force politique dominante, à «s’approprier» l’État et ses institutions. Et c’est cet exercice des rapports de forces qui a dessiné les contours et la façon dont se sont déroulées les différentes élections qu’a connues le pays depuis le 14 janvier… et non l’inverse. Et c’est ce même exercice de rapports de forces qui a moulé –bien plus que les lois et la Constitution– la manière avec laquelle la Tunisie fut gouvernée depuis.
Sur le plan de la pratique de la démocratie, si le projet du président de la République venait à passer, ce fait révélerait un indicateur fort préoccupant au niveau desdits rapports de forces qui sont en train d’évoluer à l’avantage de ceux qui ont fait les maux de la Tunisie depuis les 30 dernières années, tant sur le plan politique qu’économique. D’où la crainte d’un réel retour en arrière.
Au-delà des griefs exposés par les détracteurs du projet de loi sur la réconciliation, c’est de l’avenir de la démocratie tunisienne qu’il s’agit et de son processus de transition démocratique. Et les griefs, à l’instar de ceux pertinemment formulés par l’Association des Magistrats Tunisiens (15/07/2016), donnent une idée assez significative sur la gravité de la situation.
Dans le même sens, nous publions ci-dessous l’intégralité des interventions ayant eu lieu au cours de la conférence de presse de l’initiative «Ma Yet’addech» [Il ne passera pas ! – ما_يتـعـدّاش#]. Il s’agit d’une initiative de plusieurs composantes de la société civile tunisienne fermement opposées au projet de loi relatif à la réconciliation économique et financière. Ladite conférence fut donnée le vendredi 15 juillet 2016 afin d’exposer les lourds griefs, tout aussi pertinents que ceux de l’AMT, contre ledit projet (une vidéo non segmentée se trouve également sur ce lien).
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