Hier, mardi le 14 février, la chancelière allemande Angela Merkel a insisté pour accélérer l’expulsion des Tunisiens demandeurs d’asile déboutés. Youssef Chahed, en visite officielle à Berlin s’est montré ferme en estimant que se sont les autorités allemandes qui ralentissent la procédure d’expulsion. Derrière ce dialogue de sourds, les tensions d’une gestion sécuritaire, et depuis peu, militaire des flux migratoires.
Selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), plus de 181.000 migrants sont arrivés en Europe par la route de la Méditerranée centrale (le passage de la Libye vers l’Italie) en 2016. Les signataires européens de la Déclaration de Malte du 3 février 2017 reconnaissent la croissance ahurissante du nombre de morts et des disparus en mer depuis 2013. Les chiffres enregistrés par l’OIM témoignent des limites de l’approche européenne dans la gestion des flux migratoires. Moins d’un ans après l’adoption d’un nouvel Agenda européen en matière de migration, les représentants des pays membres du Conseil de l’Europe se sont réunis à La Valette, la capitale maltaise, pour « prendre des mesures supplémentaires pour réduire considérablement les flux de migrants le long de la route de la Méditerranée centrale et pour casser le modèle économique des passeurs ».
Lors du sommet, la Commission européenne propose d’éventuelles actions à court- et long-terme au delà des initiatives déjà en cours sous l’Agenda européen et le Cadre de partenariat en matière de migration. Pour Federica Mogherini, haute représentante de la Commission, il s’agit de « gérer les flux migratoires » et « sauver des vies ».
Le 8 février, Mogherini était au siège de l’EUNAVFOR Opération Sophia, une initiative sécuritaire de l’Union européenne. Un rapport fuité en février 2016 met en évidence l’approche militaire de l’Union contre la migration irrégulière. Le lendemain, la représentante européenne se rend à Washington où elle rencontre des représentants de la nouvelle administration. Le 10 février, au siège du think-tank Atlantic Council, elle répond aux questions d’un public inquiet sur l’avenir des relations US-EU suite à l’élection du Président Trump. Mogherini veut rassurer son public, évoquant les valeurs communes et les intérêts économiques et sécuritaires partagés, malgré les déclarations du président américain sur « l’obsolescence de l’OTAN », qui s’est engagé depuis juillet 2016 à soutenir les efforts européens contre la migration irrégulière, et ce à travers une nouvelle Opération Sea Guardian.
Dévoilé à la dernière conférence de l’OTAN à Varsovie le 9 juillet, cette opération de l’OTAN promet de « compléter » l’EUNAVFOR de l’Union européenne à travers sa capacité de « renseignement, de surveillance et de reconnaissance, et par la fourniture d’un soutien logistique: par une contribution au développement des capacités des gardes-côtes de la marine de la Libye ».
Missions « déclaratoires » : Limites, failles, effets inverses (selon l’OTAN)
En décembre 2016, un rapport du Collège de défense de l’OTAN sur La mise en place de la stratégie en Méditerranée : l’opération Sea Guardian explique de manière détaillée la complémentarité des deux opérations au niveau géographique et logistique. Une carte (ci-dessus) illustre les territoires maritimes des opérations européens, Sophia et Triton dans le centre-sud, Poseidon dans la mer Egée, superposées par celles de l’OTAN qui dispose d’une présence permanente dans l’Egée et, depuis la mise en place de Sea Guardian en novembre 2016, dans la Méditerranée centrale.
Toute en détaillant la complémentarité des missions de l’Union et de l’OTAN, le rapport n’exclut pas leurs limites voire leurs effets inverses. En 2015, l’OIM a enregistré 132.071 migrants arrivés et 2,622 morts sur la route sud-centrale vers l’Italie, par rapport à 130.561 arrivés et 2,766 morts en 2016. L’auteur estime que « l’effet dissuasif de l’Opération Sophia est en discussion : la mission n’a pas pas empêché les gens de faire la traversée maritime, elle n’a pas eu non plus un effet notable dans la rupture des réseaux des trafiquants » et va jusqu’à avancer que « l’effet dissuasif de l’activité de l’OTAN dans l’est de la Méditerranée aurait généré un contre-effet pour l’Opération Sophia ».
Une étude du même Collège publiée en janvier 2017 sur l’Insécurité en Afrique du Nord et la Méditerranée, retrace l’évolution des intérêts et des engagements européens et américains dans la région. « Il est difficile de ne pas conclure que la politique de l’Union vis-à-vis du Printemps arabe a peu fait pour améliorer la sécurité méditerranéenne ou pour y garantir ses propres intérêts en matière sécuritaire ». Et encore : « les suppositions faciles de l’Occident concernant l’efficacité d’une politique déclaratoire se sont avérées tout simplement une rhétorique vide, tandis que la réalité a révélé l’importance du déploiement sur le terrain, tant militaire qu’économique ».
Depuis le sommet à La Valette, le nouveau plan d’action proposé par le Conseil européen, dont les initiatives les plus controversées incluent la mise en place des « structures et des conditions d’accueil adaptées pour les migrants en Libye » ainsi que « l’intensification considérable » des « mesures d’aide au retour volontaire » des migrants, a provoqué autant de réserves sur les deux côtés de la Méditerranée. En visite cette semaine à l’Allemagne, où des partis de l’opposition ont vivement critiqué la proposition de renvoyer des réfugiés vers leurs pays d’origine au lieu de s’inquiéter des raisons de leur départ, le chef du gouvernement Youssef Chahed a rencontré la chancelière Angela Merkel qui a clairement appelé à précipiter l’expulsion de 1.500 Tunisiens demandeurs d’asiles déboutés. Chahed estime que les autorités allemandes doivent fournir la documentation adéquate pour faciliter le retour des ressortissants tunisiens au pays, et qu’une solution à la crise migratoire dépend plutôt de la Libye.
Migrants ≠ refugiés !!