Six ans après la révolution, le défi du chômage n’est toujours pas relevé. Plusieurs mécanismes éphémères d’employabilité sont apparus depuis 2011, au gré du branding politique. Quelques mois après sa nomination, Youssef Chahed a improvisé le lancement du « contrat de la dignité ». Un contrat censé encourager le secteur privé à embaucher des diplômés chômeurs. Il soulève autant de questions que de critiques. Même avant le début de son application, ses défaillances ont provoqué le mécontentement des diplômés chômeurs, surtout dans les régions.

Le 28 septembre, Youssef Chahed a annoncé que, sur une période de deux ans, 50.000 diplômés chômeurs seraient intégrés au marché du travail du secteur privé grâce au « contrat de la dignité ». Les bénéficiaires doivent être inscrits depuis au moins deux ans au sein des bureaux de l’emploi. Le salaire de ce contrat est fixé à 600 dinars : 400 dinars financés par l’État et 200 dinars versés par la société qui recrute. Contrairement aux explications de Youssef Chahed, ce contrat n’oblige en rien le recruteur à renouveler le contrat de travail avec les employés subventionnés par l’Etat. « Le seul et unique bénéficiaire de ce programme est le secteur privé, qui aura accès, sans aucune charge sociale, aux compétences des diplômés sans programme d’insertion professionnelle ni aucun engagement de sa part », nous explique Cherif Kherafi, membre du bureau exécutif de l’Union des diplômés chômeurs.

Le 15 mars 2017, le ministre de l’Emploi et de la formation professionnelle, Imed Hammami, a donné le coup d’envoi du programme. L’Agence nationale pour l’emploi et le travail indépendant (ANETI) a ouvert l’appel aux candidatures pour l’inscription au « contrat de la dignité » du 15 mars au 7 avril. Sur la base de la parité, chaque gouvernorat a droit à 1042 bénéficiaires, dont 42 postes consacrés aux handicapés. Au 30 mars, selon Imed Hammami, Gafsa comptait le plus grand nombre d’inscriptions (12169), suivie de Tunis (10241), Kasserine (8637) et Jendouba (7951).

Selon l’Institut national de la statistique, le taux de chômage est de 15,6 % au niveau national et grimpe jusqu’à 39,1 % chez les diplômés chômeurs. Selon Cherif Kheraifi, ce nombre élevé de chômeurs ne sera pas absorbé par le contrat de la dignité, surtout dans les régions de l’intérieur où le secteur privé est quasi-absent. « Nous avons vu des offres d’emplois venant de restaurants de fast-food et de cafés populaires. Les diplômés chômeurs en langue, en ingénierie ou autres domaines accepteront-ils de travailler dans de tels secteurs ? Et si c’est le cas, quelle sera la valeur ajoutée pour la carrière ou pour l’économie nationale ? » s’indigne Cherif, avant d’ajouter : « le quota fixé pour les gouvernorats n’est pas compatible avec la réalité. Alors que 1042 postes ne sont pas suffisants pour Tunis, Sfax ou Ben Arous, d’autres gouvernorats comme Tataouine, Le Kef ou Kasserine ne sont pas capables d’offrir assez de postes dans le secteur privé ».

Hamadi Jeljeli, membre du comité du pilotage et coordinateur du pôle dédié à l’insertion socio-professionnelle et à l’économie sociale et solidaire du programme « Soyons actifs et actives », affirme que le contrat de la dignité est « une pure improvisation parachutée par le chef du gouvernement sur les programmes d’insertion et d’encadrement déjà établis par l’État et ses partenaires de la société civile ». Selon lui, à Bizerte, par exemple, les programmes de stages d’initiation à la vie professionnelle (SIVP), d’économie sociale et solidaire et du programme « Mon opportunité » [فرصتي] sont abandonnés par les diplômés chômeurs et les entreprises au profit du contrat de la dignité. « Les gens cherchent le profit rapide et le contrat est plus rentable à court terme que les autres programmes d’insertion professionnelle et de développement », assure Hamadi Jeljeli.

Avant le contrat de la dignité, aucune évaluation des programmes établis depuis 2011, ni même de ceux d’avant la révolution, n’a été réalisée. En 2011, le gouvernement de Ghannouchi et celui de Béji Caid Essebssi ont créé la subvention « Amal », qui consistait en une prime de 200 dinars par mois pour chaque chômeur qui s’inscrivait dans un programme de formation et d’insertion professionnelle. En 2012, Hammadi Jebali a annulé la prime Amal, mais Ali Larayedh l’a reprise en 2013, en augmentant le nombre de bénéficiaires. « Concrètement, Amal s’est limitée à la subvention car l’ANETI n’a pas les moyens et les ressources humaines suffisantes pour former et intégrer le grand nombre des bénéficiaires de Amal. D’autant plus que l’État a encore du mal à déléguer ces taches à la société civile, pourtant spécialisée dans ce secteur », explique Hamadi Jeljeli. En 2013, Mahdi Jomaa, a créé le programme de l’amélioration de l’employabilité.

En 2016, sous le gouvernement Habib Essid, Zied Ladhari alors chargé de l’Emploi, a lancé le programme « Mon opportunité ». Un programme qui vise l’insertion professionnelle de 120 mille chômeurs à travers des formations professionnelles et l’aide dans la recherche d’emploi ou le lancement de projets privés. Depuis son lancement, début janvier 2016, aucune évaluation n’a été faite. Le ministère précise que le programme est toujours en cours malgré les difficultés d’exécution dans les régions de l’intérieur.