Appel à l’abrogation de la circulaire 73 interdisant le mariage des Tunisiennes à des non-musulmans et appel plaidoyer en faveur de l’égalité à l’héritage, Béji Caïd Essebsi a marqué un sacré coup en cette journée nationale de la femme. Il a renoué ainsi avec le vivier électoral qui l’a fait élire et monté les enchères face à ses adversaires politiques. S’agit-il d’une conviction programmatique ? Les faits ne nous portent pas à le croire. Depuis son élection il y a bientôt trois ans, il n’a rien entrepris dans ce sens. Pourtant, la question sociétale et la consolidation des acquis en matière de droits des femmes a été au cœur de sa rhétorique durant la campagne qui l’a mené à Carthage.

Réformes sociétales, retour après désertion

Si nulle avancée portée par la présidence ou le parti de Nida Tounes au niveau des droits des femmes n’a été enregistrée jusqu’ici, Béji Caïd Essebsi n’a pris aucune initiative pour procéder à des réformes sociétales depuis le début de son mandat à l’exception de l’amendement de la Loi 52 portant sur les stupéfiants. Et encore, son plaidoyer pour l’abroger et promulguer une nouvelle loi a échoué et s’est retrouvé réduit à un simple amendement, adopté en avril 2017, accordant aux juges un pouvoir discrétionnaire. Nolens volens, bien que les déclarations d’intention de Béji Caïd Essebsi constituent une expression de la volonté de faire un pas de plus vers l’égalité et la justice sociale, elles ne peuvent qu’être observées et assimilées dans leur cadre circonstanciel : la longue crise de Nida Tounes, l’ascension de Chahed, le tacle de Ghannouchi, le rapprochement entre Nida Tounes et Ennahdha et l’échec de l’initiative législative présidentielle relative à la « réconciliation économique et financière » après un marathon entamé depuis juillet 2015. Bref, Béji Caïd Essebsi a besoin de convoquer toute la classe politique autour de la table du débat sociétal, son terrain favori mais abandonné depuis son élection.

Parti gangréné et bloc affaibli à l’ARP

Le parti qu’il a fondé est gangréné par l’affairisme, infecté jusqu’à l’os par ses relations avec des barons de la corruption à l’instar de Chafik Jarraya. Borhen Bsaies, virus démagogique contracté par Nida Tounes lors d’un mercato politique, en sait quelque chose. Sofien Toubel, chef du groupe parlementaire du parti, aussi. Et la liste est non-exhaustive. D’ailleurs, le bloc du Nida à l’Assemblée des Représentants du Peuple (ARP) régresse sans cesse. Après avoir perdu sa position de premier groupe parlementaire en faveur d’Ennahdha en janvier 2016, son effritement se poursuit. Rien que depuis cette date, Nida Tounes a perdu 8 députés, passant ainsi de 65 à 57 sièges face à Ennahdha qui se maintient avec 69 députés. Béji Caïd Essebsi ne bénéficie plus du soutien parlementaire qu’il avait quand il a été élu fin 2014. Malgré cette situation, Hafedh Caïd Essebsi, son fils à la tête du parti, se permet des ambitions dont il n’a pas les moyens.

En réaction aux ambitions affichées de Ghannouchi

Le président de la République se retrouve ainsi cloitré au Palais de Carthage. Un semblant de perturbation dans ses relations avec la Kasbah l’a poussé à dépêcher son conseiller Ridha Chalghoum à déménager auprès du chef du gouvernement, Youssef Chahed. Pour sa part, le jeune poulain a pris du galon. Sa « guerre contre la corruption » lui a accordé une identité politique propre à lui après avoir été vu comme un simple exécutant. Or, même le poulain en plein essor a été attaqué par des feux supposés être « amis ». Ceux de Rached Ghannouchi qui l’a appelé, le 1er août sur Nessma, à s’engager à ne pas se présenter aux élections présidentielles de 2019. Le président d’Ennahdha a rappelé ainsi son poids politique porté par le groupe parlementaire de son parti. Lors du même passage médiatique, Ghannouchi a taclé Chahed en déclarant qu’il ne « faut pas tendre sa main sur l’argent des gens sans décision de justice » en réaction aux gels des avoirs opérés par le chef du gouvernement dans sa « guerre contre la corruption ». Une position entérinée par des responsables de Nida Tounes dont Khaled Chouket. Le protégé de Caïd Essebsi est donc menacé y compris par son propre parti.  L’heure est grave, assez pour tirer un joker et serrer le peu de rangs disposé à se mobiliser.

D’ailleurs, l’absence de Rached Ghannouchi qui ne s’est fait remplacer par quelconque délégué lors de la cérémonie du 13 août indique de probables tensions ouvertement exprimées entre les deux cheikhs. Des frictions qu’Ennahdha chercherait à cacher en justifiant cette absence dans une publication Facebook austère informant que « le cheikh Rached Ghannouchi a voyagé samedi 12 août 2017 à l’étranger dans une visite privée qui durera quelques jours ». Le « consensus national » prôné par Caïd Essebsi et Ghannouchi est plus que jamais fragile.