Le nombre de projets de loi portés par les parlementaires entre octobre 2016 et août 2017 n’a pas dépassé les 17 projets, comme rapporté sur le site de l’Assemblée des Représentants du Peuple (ARP). Ce chiffre traduit un recul du rendement législatif des députés en comparaison au nombre de lois proposées au cours de l’année parlementaire qui s’est étendue du 20 octobre 2015 jusqu’au 31 juillet 2016, avec 25 projets de loi introduits par les députés. Deux groupes parlementaires, Nidaa Tounes et Ennadha, ont dominé les propositions de cette année, avec une proposition chacun. Les autres propositions étaient conjointes jointes entre différents blocs aux alliances circonstancielles. Nidaa Tounes était présent dans 13 projets de loi communs, alors qu’Ennahdha a pris part dans 9 projets de lois communs.

Quant aux groupes parlementaires restants, les propositions se sont réparties comme suit: le Bloc Démocratique, l’Union Patriotique Libre (UPL) et le Front Populaire étaient, chacun, présents dans 4 projets de loi communs. Afek Tounes et le Bloc Al Horra étaient quant à eux présents dans 3 propositions communes chacun. Et l’on remarque l’incapacité de ces blocs à présenter un projet de loi propre à eux.

Majoritaire en compétition, opposition hors-jeu

Ces chiffres indiquent, en premier lieu, la faiblesse du rendement de l’opposition parlementaire. Mise à part son incapacité à présenter des projets de loi liés aux problématiques en cours (notamment la conformité des anciennes lois avec la nouvelle philosophie législative), le rôle de l’opposition, surtout au sein des régimes parlementaires, ne se limite pas, à s’opposer aux projets de loi sujets de débat et de vote mais aussi de proposer des lois. Pour l’instant, les groupes parlementaires opposants sont: le Bloc Démocratique et le Front Populaire. Cependant, tous les projets de loi ont été présentés par les députés du gouvernement et de l’opposition ensemble, révélant ainsi l’absence de propositions ou de visions pour réformer le travail gouvernemental, que ce soit par la pression ou l’ajustement.

Quant aux projets de loi proposés par Ennahda et Nidaa Tounes, il s’agit du projet de loi concernant les conflits d’intérêts, introduit par le groupe parlementaire Ennahdha le 13 juillet 2017 et qui propose d’instaurer une obligation de déclaration pour les officiels de l’Etat des postes, possessions et privilèges occupés et acquis au cours des 5 dernières années lors de leur nomination, et ce dans l’optique d’éviter un conflit d’intérêts entre leurs intérêts personnels et la nature de leur fonction étatique. Pour sa part, Nidaa Tounes a présenté un projet de loi concernant la déclaration de revenus et l’application de l’article 11 de la Constitution dont les mesures concerneraient les responsables étatiques évoqués dans l’initiative législative d’Ennahdha. Et l’on remarque que chaque groupe parlementaire s’est employé à introduire son propre projet de loi en lui donnant une appellation différente afin de se démarquer des autres propositions, malgré la grande ressemblance entre les projets de loi proposés. Ceci reflète une compétition politique au sein du parlement entre les deux grands groupes parlementaires pour faire voter des lois qui leur seront imputées dans le futur.

Le reste des projets de loi sont des propositions communes entre députés de différents groupes parlementaires: 1 projet de loi pénale, un projet de loi sur la drogue, 2 projets de loi sur la réconciliation, la gestion financière et les biens saisis, un projet de loi sur les sondages et les enquêtes d’opinion, un projet de loi sur le code des assurances, un autre sur les affaires militaires et un dernier sur la responsabilité sociale des sociétés.

Influence de la coalition gouvernementale

En comparant les projets de loi introduits par le gouvernement et la présidence au cours de l’année parlementaire passée, dont le nombre s’élève à 15 contre 17 propositions des parlementaires, il y a une quasi-équivalence entre l’impact du gouvernement et celui de l’ARP sur le domaine législatif. Rappelons que le rôle principal du parlement est de légiférer et d’exercer un contrôle sur le travail du gouvernement. Dans le cas présent, c’est le gouvernement qui s’est emparé du rôle législatif en tentant de faire voter ses propres projets de loi. Ceci fait apparaître l’ARP comme une institution annexe de la présidence du gouvernement et non pas un pouvoir originel indépendant: le pouvoir législatif.

Dans ce contexte, le problème est l’influence de la coalition sur le parlement. Il est clair, en effet, que le comportement politique des députés au sein de l’ARP ne s’est pas encore départi d’une logique partisane stricte. Ainsi, l’alliance connue sous l’appellation du « gouvernement d’unité nationale », qui tire sa légitimité de l’Accord de Carthage, domine clairement les mouvances législatives au sein du parlement, en concordance avec l’agenda des deux partis chefs de file: Ennahdha et Nidaa Tounes. Cela sous-entend que la majorité au sein de l’ARP veut faire voter les projets de loi gouvernementaux en priorité suivant une logique politicienne et non pas constitutionnelle (l’article 62 dispose de l’obligation de voter sur les projets de loi gouvernementaux en priorité). De ce fait, l’alliance partisane en dehors du parlement nuit au rendement législatif. En effet, cette tendance donne place à des législations qui traduisent une volonté politique plutôt que l’expression de la volonté réelle du peuple en fonction des axes programmatiques plaidés par les élus avant le scrutin.

Le rendement mitigé des parlementaires peut donc être imputé à l’interventionnisme gouvernemental et présidentiel dans le législatif, au vu des alliances politiques entre les deux partis qui dominent en dehors du parlement (alliance des deux cheikhs). Néanmoins, la politique des alliances qui a dominé lors de l’élaboration de la Constitution a préparé le terrain pour la domination de l’exécutif sur les travaux du législatif, notamment à cause du flou entourant l’identité du système politique tunisien, entre « régime présidentiel ajusté », « régime parlementaire ajusté », ou « régime mixte ».