Manifestations de policiers dans plusieurs villes du pays (Gafsa, Tataouine…), port du brassard rouge en signe de protestation, sommations de syndicats policiers qui menacent de mettre un terme à la protection des députés et des personnalités politiques, s’ajoutent aux ordres donnés par le président de la République pour que ce projet de loi soit examiné et adopté en urgence par l’Assemblée des Représentants du Peuple (ARP).

Par « forces armées », est-il expliqué dans les « dispositions générales » qui introduisent ce projet de loi, il faut entendre l’ensemble des « agents porteurs d’armes appartenant aux forces armées militaires, aux forces de sécurité intérieure et à la douane. » En réalité, la loi en question concerne surtout les différents corps de la police et déborde largement le strict cadre de leur protection face aux menaces terroristes. Je ne m’étendrai pas sur le détail de ce projet de loi. Depuis deux ans, en effet, les dangers qu’elle recèle du point de vue des libertés individuelles et des droits humains ont été maintes fois relevés tant par des militants politiques ou associatifs que par des journalistes. A juste titre, ceux-ci ont dénoncé les restrictions majeures à la liberté d’information qui résulteraient de son adoption. Ils ont relevé également l’immunité et l’impunité qu’elle accorde aux organes de sécurité notamment lorsque, pour des raisons dont ces derniers sont seules juges, ils ont recours à la violence, y compris à la violence létale. L’ambiguïté et le flou qui entourent en outre la plupart des formulations de ce projet de loi autorisent la répression la plus arbitraire. L’article 11, par exemple, punit de trois années de prison et d’une très forte amende « quiconque a sciemment, dans le but de porter atteinte à la sécurité publique, fait obstacle au déroulement quotidien des services, des institutions et des établissement appartenant aux forces armées par quelques manières que ce soit ». Pas un mot de cette phrase qui ne soit susceptible de mille interprétations. Tout acte de résistance démocratique ou sociale, toute forme de protestation, un simple fait de désobéissance à l’injonction d’un agent, pourraient ainsi être criminalisés si telle est la volonté de l’institution policière. Vous n’êtes pas contents, vous le dites ? Vous risquez alors d’être enfermés pendant deux ans pour « outrage aux forces armées ».  Et à dire vrai, vous ne dites rien, vous ne froncez même pas les sourcils, nous savons bien que devant un juge la voix d’un policier est toujours supérieur à celle d’un simple citoyen.

Sous son vague intitulé destiné à faire accroire que sa finalité est la protection des soldats en guerre contre le terrorisme, c’est un tout autre but que vise ce projet de loi : assurer l’invulnérabilité totale de la police et la vulnérabilité totale des citoyens face à la police. Il s’agit de sanctifier par la loi les pratiques et l’arbitraire policiers qui caractérisaient l’Etat tunisien sous Ben Ali. Aucun de ses articles ne le mentionne explicitement mais cette loi est d’une certaine manière rétroactive. En justifiant a priori  tous les abus que pourraient commettre à l’avenir des policiers ou l’institution policière, au nom de la sécurité publique, elle justifie a posteriori toutes les exactions commises, au nom de cette même sécurité publique, du temps de Ben Ali et au cours des premiers moments de la révolution. En cela, elle procède parfaitement de l’esprit de la « réconciliation » chère à nos gouvernants.

Friedrich Engels, disait de l’Etat moderne qu’il était « en dernière instance, une bande d’hommes armés au service du capital ». A lire la loi qu’on nous prépare, il semblerait que le grand penseur et militant révolutionnaire allemand du 19ème siècle n’avait pas tort.