Leçons à tirer
Des différents mouvements sociaux en rapport avec l’environnement, les conclusions suivantes peuvent être tirées sans prétendre à l’exhaustivité :
- Nombreux mouvements sont spontanés, avec des revendications précises et ponctuelles, surtout en milieu rural ;
- Les mouvements organisés sont surtout localisés en milieu urbain (associations ou collectifs d’associations) ;
- La couverture médiatique n’a concerné que quelques mouvements et n’a pas couvert leur diversité et étendue géographique. Au cours des dernières années, les médias dominants optent soit pour l’ignorance des mouvements soit pour leur discréditation, criant surtout à la manipulation politique ou au complot ;
- Nombreux sont les mouvements qui se limitent aux revendications, sans connaissance des causes des problèmes posés et sans proposer des pistes de solutions possibles ;
- Il y a absence de perspective d’organisation des divers mouvements, en cas de défaut de réponse de la part des autorités. Souvent, vu leur nature spontanée, les mouvements ne présentent pas de lendemains ;
- On constate une absence de solidarité entre les différents mouvements ayant les mêmes objectifs ou contestant les mêmes dysfonctionnements. Ceci est tout simplement lié à l’absence de structures d’organisation des différents mouvements et de leur caractère spontané ;
- Certaines solutions proposées pour résoudre un problème consistent au fait à son déplacement (cas des déchets à Djerba dont certains proposent leur transfert sur le continent ou de la SIAPE dont le déplacement pourrait être à l’origine de nouveaux sites de pollution) ;
- Pour les problèmes liés à l’eau, nous constatons l’absence de solutions durables aux problèmes récurrents, simplement parce que les textes en vigueur ne permettent pas de mettre un terme aux dysfonctionnements constatés (cas des GDA). Le recours des communautés touchées par les coupures d’eau à des sources d’eau non contrôlées ou parfois même polluées a eu pour conséquence dans certains cas l’apparition de maladies ou de foyers épidémiques (hépatite A), entraînant parfois la fermeture provisoire de certaines écoles (Kairouan).
L’apparition des commerçants de l’eau est perçue par certains comme une solution au problème de la qualité de l’eau ou sa non-disponibilité, mais soulève des problèmes de fond, à savoir que cette ressource est un bien commun dont le commerce est interdit, en plus du fait que les commerçants ne présentent aucune garantie aux consommateurs quant à la qualité de l’eau qu’ils vendent.
- A terme, certains problèmes n’ont pas de solution, au moins dans le contexte actuel. C’est le cas par exemple de la gestion des déchets pour lequel un seul modèle a été adopté (enfouissement), et ne semble pas être revu malgré ses défaillances. D’autres types de problèmes sont également difficilement solvables si une réelle volonté politique ne se manifeste pas (et elle est inexistante malheureusement), comme la pollution par les phosphates, la mauvaise gestion des ressources en eau en milieu rural qui fait appel à des changements des lois en vigueur…
Conclusions, perspectives
Malgré l’importance des problèmes pointés par les différents mouvements sociaux, certains aspects de l’environnement ne sont pas posés. C’est le cas par exemple des espèces invasives tant en milieu terrestre que marin, l’appauvrissement génétique des semences, l’érosion des plages, la pollution par les margines, les impacts négatifs des changements climatiques, certaines formes de pollution diffuse (cas des rejets des eaux usées à proximité de certains villages, dépôts de déchets en milieu rural ou forestier)…
La dégradation continue de l’état de l’environnement en Tunisie, particulièrement au cours des dernières années, montre que :
- Les programmes d’éducation à l’environnement, adoptées aussi bien dans les programmes scolaires qu’initiées par le Ministère de l’Environnement n’ont pas induit un changement de comportement chez les élèves ou le public à qui ces programmes étaient destinés ;
- Les agences chargées de la gestion de l’environnement ne se sont pas focalisé sur l’intégration de nos concitoyens dans l’élaboration de leurs stratégies de communication (décidées d’en haut). Ceci a abouti à une rupture entre ces structures et le public qui les accuse souvent d’incompétence ou d’incapacité à agir en faveur de l’environnement ;
- Le fait que l’intérêt à l’environnement soit perçu comme un luxe depuis bien des années, a eu pour conséquence sa négligence totale par nos concitoyens qui croient encore que sa gestion incombe aux institutions. Ils ne se sentent nullement concernés par les différents problèmes auxquels nous faisons face ;
- La réconciliation de nos citoyens à leur environnement passe nécessairement par une révision des attitudes des institutions vis-à-vis d’eux. Les solutions adoptées par les différentes institutions ont prouvé leurs limites et leur inadéquation avec notre réalité sociale. Elles se doivent d’être changées pour inverser la donne avant qu’il ne soit trop tard ;
- Un des traits de comportement des Tunisiens est de considérer l’espace public (non privé) comme un dépotoir où tout est permis, se doit de changer. Ceci passe par une reconsidération de l’espace public qui doit être réapproprié par nos concitoyens. Si l’administration continue à exclure les citoyens de la gestion de l’espace public, elle n’aura, en retour, qu’un retour de manivelle et aura nécessairement à reconsidérer son rôle ;
- Les associations –auxquelles on ne fait appel que lorsqu’un problème se pose- (dans le sens d’une volonté de faire accepter aux citoyens les solutions proposées par l’administration) ne peuvent pas continuer à se placer en intermédiaire entre les pouvoirs publics et les protestataires. Les modes de fonctionnement des associations, sur la base du volontariat et du bénévolat, se doivent d’évoluer. Les expériences européennes par exemple ont montré que la professionnalisation des structures associatives et leur spécialisation ont eu des effets très bénéfiques.
- Certaines activités dont le recyclage des déchets pourrait générer des emplois et redonner une vie à certains types de déchets pourraient être formalisées et encouragées. C’est le cas notamment du recyclage du plastique ou de certains métaux. Il faut aussi pousser vers la réduction des emballages plastiques ou leur bannissement, comme cela s’est produit dans de nombreux pays.
La répression de certains mouvements sociaux, comme solution adoptée par les autorités face à la recrudescence des revendications, ne peut en aucun cas être une solution aux problèmes soulevés. L’expérience a démontré que le déni et la répression ne feront qu’exacerber les tensions et radicaliser les mouvements, surtout que nombreuses de leurs revendications sont très légitimes, liées le plus souvent à des défaillances dans le fonctionnement de nombreux services (cas par exemple des écoliers qui se voient obligés de couper des routes pour exiger la nomination d’instituteurs, un mois après la rentrée !). Le climat de suspicion qui règne entre les associations et les autorités tant au niveau régional que national se doit de cesser.
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