Marche populaire lors de la grève générale. 12 décembre 2017, Sejnane (Crédit : page Facebook Siliana News)

Sejnane est sous haute tension. Des affrontements entre protestataires et forces de l’ordre ont éclaté, mardi 12 décembre, en marge d’une grève générale décrétée par le bureau local de l’Union Générale Tunisienne du Travail (UGTT). Il s’agit de la deuxième en moins d’un mois dans cette délégation du gouvernorat de Bizerte, la précédente datant du 22 novembre dernier. Tout a commencé le 17 novembre quand Radhia Mechergui, mère de cinq enfants dont le mari est dans un état de santé très critique, s’est immolée par le feu devant le siège de la délégation, exprimant ainsi son indignation et son désespoir. Un acte qui a fédéré la population de Sejnane autour de revendications liées au chômage, à la pauvreté et à la détérioration des services de santé publique. La nouvelle du décès de Radhia Mechergui, survenu le 8 décembre, et l’échec du début des négociations sociales avec les autorités locales et régionales ont envenimé la situation. Et elle s’empire avec les récentes dérives sécuritaires.

Au moment où les mouvements sociaux prennent conscience de la nécessité d’une convergence de leurs luttes, un éveil exprimé à travers un rassemblement des représentants de différentes dynamiques contestataires vendredi dernier devant l’Assemblée des Représentants du Peuple (ARP) au Bardo, deux régions frappées par des vagues de froid, Sejnane et Siliana, crient haut et fort leurs maux sociaux.

Les plaies ouvertes de Siliana

Les plaies de Siliana, cinq ans après la répression de sa révolte, ont du mal à cicatriser. L’impunité des responsables des événements dits des tirs à la chevrotine verse de l’huile sur le feu. Le sentiment d’injustice provoqué par l’inaboutissement, jusqu’aujourd’hui, des poursuites entamées par le tribunal militaire, d’un côté, et l’Instance Vérité et Dignité (IVD), de l’autre, alimentent la colère populaire à Siliana. Depuis 2012, la ville est en proie au statu quo, les revendications liées au développement, à la création d’emploi et aux réformes agricoles n’ayant pas été satisfaites.

La semaine dernière, la section régionale de l’UGTT a menacé les autorités d’une grève générale, avant qu’une intervention des hauts responsables de la centrale syndicale ne parvienne à faire avancer les négociations avec le gouvernement et annulant la grève générale initialement prévue pour mercredi 13 décembre.

Portrait d’une victime des événements des tirs à la chevrotine porté par sa mère réclamant justice

Prémices d’un janvier 2018 mouvementé

Après une courte trêve des contestations populaires mobilisant des localités entières, le gouvernement se retrouve, à nouveau, face aux conséquences de son incapacité à trouver des réponses aux questions économiques et sociales les plus brulantes. Les dernières grèves générales locales datent de mi-octobre en réaction au décès de plus de 40 migrants majoritairement originaires de Bir El Hafey, Sidi Bouzid et Bir Ali Ben Khalifa, Sfax.

Du jeudi noir de 1978 à la révolution de 2011, l’historique expression de la colère populaire en Tunisie durant le mois de janvier persiste depuis la révolution, particulièrement durant ces dernières années. Il suffit de parcourir les rapports de l’Observatoire Social Tunisien de 2014, 2015 et 2016 pour en mesurer l’ampleur. Janvier 2017 n’est pas en reste. Et les prémices d’un janvier 2018 mouvementé sont là.

Loi des finances 2018, fédérateur potentiel des contestations

Les mesures prévues par la loi des finances de 2018, adoptée par l’ARP samedi 9 décembre, ne vont pas faciliter les choses. L’absorption de la contestation à travers les recrutements dans la fonction publique ne sera plus possible. Pas de nouveaux recrutements, à l’exception de 3000 postes aux ministères de l’Intérieur et de la Défense. De plus, la subvention des denrées de bases sera revue à la baisse, passant de 1600 millions de dinars en 2017 à 1570 millions de dinars en 2018. Passée de 60% de la population en 2011 à environ 30% en 2017 d’après la Banque Mondiale, la classe moyenne pourrait désormais se reconnaitre dans les revendications sociales, portées jusqu’ici par les couches les plus défavorisées. D’autres catégories sociales, à part les chômeurs et les salariés, risquent de rejoindre la contestation suite à l’abrogation des articles 26 et 27 relatifs au régime fiscal spécifique favorable aux petites entreprises. Les répercussions n’épargnent pas non plus les professions libérales.

Ces mouvements contestataires risquent d’ébranler le gouvernement de Youssef Chahed, déjà menacé par une nouvelle Troïka dont chaque parti est en quête de plus de sièges ministériels. La réponse sécuritaire pourrait conduire à l’échec les tentatives gouvernementales d’engager des négociations sociales fructueuses.


This feature was supported by the Rosa Luxemburg Stiftung with funds from the German Federal Ministry for Economic Development and Cooperation
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