Fait du hasard ou concomitance politiquement recherchée, le timing du dégel des biens de Marwen Mabrouk par l’Union européenne qui a coïncidé avec le lancement du mouvement politique de Youssef Chahed baptisé « Vive la Tunisie », fait planer le spectre de l’influence des milieux d’affaires sur les partis politiques, notamment, en matière de financement. La question est des plus sensibles, dans un contexte où les soupçons et accusations sont la règle depuis 2011. Seulement, la régulation est rendue difficile par la curieuse incapacité des partis politiques à respecter la loi en matière de publicisation de leurs états financiers. Loin d’être marginale, l’incapacité des partis à présenter leurs comptes, qu’ils soient de campagne ou de fonctionnement, est en effet systématique. Un manquement qui au-delà de placer la quasi-totalité des partis politiques dans l’illégalité, ne peut qu’alimenter davantage les soupçons de pratiques frauduleuses.
Des comptes de campagne introuvables
Dans une correspondance adressée au gouverneur de la Banque centrale tunisienne (BCT) Marouane Abbassi le 24 décembre 2018, la Cour des Comptes l’invite à transmettre aux banques tunisiennes une demande d’accès aux comptes bancaires ouverts au nom du parti Ennahdha et de certaines personnes affiliées à ce parti. Deux jours plus tard, une correspondance du gouverneur de la BCT transmet la demande aux banques tunisiennes. Cette dernière correspondance a fuité, donnant lieu à des spéculations de tout type sur les comptes bancaires des cadres du parti Ennahdha. Ces spéculations ont forcé la Cour des Comptes à préciser dans un communiqué que la correspondance qui a fuité ne constitue pas une attaque visant particulièrement Ennahdha mais fait partie de son activité ordinaire de vérification des comptes de campagnes de tous les partis ayant obtenus des sièges lors des élections municipale. La loi organique 2014-16 relative aux élections et référendums oblige les listes et partis candidats aux élections à envoyer leurs comptes de campagne à la Cour des Comptes pour vérification et à les publier dans la presse ou sur leur site web deux mois après la proclamation des résultats officiels. La Cour des Comptes publie ensuite un rapport sur l’ensemble des comptes dans les six mois qui suivent la proclamation des résultats. Le rapport, qui n’a pas encore été publié, accuse donc déjà un retard de deux mois. Contactée par Nawaat, la Cour des Comptes parle de « taux de dépôts très faibles mais en amélioration », et nous enjoint « d’attendre la publication du rapport pour avoir les chiffres précis » compte tenu du fait que les dépôts se poursuivent aujourd’hui encore.
L’impunité comme tendance générale
Au-delà des frais de campagne, c’est une tendance générale à la négligence qui se dessine au sein des partis politiques. En effet, ces derniers peinent à publier sur le web ou dans la presse, et surtout, à remettre à la Cour des Comptes le rapport annuel sur leurs états financiers que l’article 27 du décret-loi 2011-87 portant sur l’organisation des partis politiques exige d’eux. Des principaux partis politiques en activité, seul le Courant Démocratique (Attayar) publie sur son site web une liste des donations dans une rubrique intitulée « D’où nous vient l’argent ? ». D’après une déclaration faite en avril 2018 par l’ancien ministre des relations avec les instances constitutionnelles et la société civile Mehdi Ben Gharbia, aujourd’hui passé au mouvement « Vive la Tunisie », seuls 15 partis sur 211 ont déposé leurs états financiers en 2018, soit, à peine 7% des partis politiques. Ce chiffre, très faible, constitue pourtant un progrès par rapport aux années précédentes puisque toujours d’après Ben Gharbia, ils n’étaient que 11 en 2017 et 6 en 2016. Le décret-loi 2011-87 prévoit des sanctions en cas de non-respect de ces règles. C’est ainsi qu’en mai 2018, 117 partis ont reçus des « avertissements » pour non-respect de l’article 27, au titre de l’année 2016. Avertissements, qui curieusement, ne figurent pas dans la liste des sanctions prévues en cas de non-respect des articles relatifs au financement, sanctions qui vont de la mise en demeure à la dissolution. En novembre 2018, un « avis » a appelé les partis à se conformer aux lois qui les encadrent en matière financière, réitérant la menace de sanction à leur encontre en cas de non-application de la loi.
Ces négligences, et la clémence dont elles jouissent auprès des autorités, alimentent bien sûr les soupçons toujours plus prononcés de financement illicite des partis. Les accusations de financement étrangers, qui sont d’ailleurs plus sévèrement punis que les autres dans la loi, ou de financement venant de personnes morales comme des entreprises ou des associations, sont le pain quotidien du théâtre politique tunisien depuis 2011. Elles ne risquent pas de connaitre un ralentissement en cette année électorale que l’on entame sans la moindre visibilité sur les comptes des partis politiques en lice.
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