L’état de santé des grévistes se détériore. Tarek Haddad, porte-parole du collectif du sit-in El Kamour, a été transporté hier à l’hôpital de Tataouine pour recevoir les soins nécessaires. Pour sa part, la présidence de la République a adressé, lundi 30 décembre 2019, une lettre au collectif en sit-in pour les informer que « l’accord d’El Kamour bénéficie d’un intérêt particulier de la part du président de la République ».
Flash back : accord de 2017 et médiation de l’UGTT
L’histoire remonte au 25 mars 2017, avec les revendications sociales qui se sont exprimées à Tataouine réclamant l’emploi, le développement mais surtout la bonne gestion des richesses naturelles. Les interventions du gouvernement, entre menaces sécuritaires et négociations sociales, ont échoué. Un mois après, les manifestants ont entamé un sit-in le 27 avril 2017 et ont installé des tentes près du site de production pétrolier d’El Kamour, en plein désert à 100km de la ville de Tataouine.
La situation s’est envenimé davantage, le 20 mai 2017, avec la fermeture de la station de pompage du pétrole par les protestataires. Une tentative de mettre la pression sur le gouvernement afin de le faire capituler face à la revendication de consacrer 20% des recettes pétrolières à la région. Les forces de l’ordre sont intervenues, deux jours après, pour lever le sit-in et reprendre éventuellement l’activité ordinaire des unités de production. De violentes émeutes ont éclaté. Anouar Sakrafi, 21 ans, a trouvé la mort après avoir été percuté par un véhicule de la Garde nationale. Afin d’absorber la crise, le gouvernement a sollicité l’Union Générale Tunisienne du Travail (UGTT) pour trouver un compromis avec les manifestants d’El Kamour. Le 17 juin 2017, un accord entre le gouvernement et les protestataires, avec la médiation de la l’UGTT, a été signé. Il prévoit, entre autres, le financement de la caisse du développement et de l’investissement par 80 millions de dinar par an, l’affectation de 1500 personnes dans les sociétés pétrolières et l’intégration de 3000 travailleurs, selon un échéancier à trois étapes, à la Société Tunisienne pour l’Environnement.
Retour au sit-in
Deux ans et demi plus tard, les clauses du contrat n’ont pas été appliquées, d’où l’appel à un grand rassemblement devant le siège du gouvernorat à Tataouine, le 19 décembre 2019, deux jours après le discours de Kais Saied à Sidi Bouzid. Rappelons que le président de la République y a fait allusion aux « complots » tissés dans « des chambres noires » pour faire avorter la révolution et les revendications sociales. Pour le porte-parole du sit-in d’El Kamour, le message de Kais Saied est clair : il faut se mobiliser pour « récupérer les richesses usurpées par les lobbies ».
Invité de Radio Tataouine le 26 décembre 2019, Tarek Haddad, porte- parole du sit-in d’El Kamour, rappelle les engagements du gouvernement lors de la signature de l’accord. « Alors que l’accord signé en 2017 prévoit le recrutement de 1500 personnes dans les sociétés pétrolières, seulement 60 personnes ont été affectées à l’Entreprise Tunisienne des Activités Pétrolières (ETAP) et 10 autres ont été intégrées à la Société de Développement et d’Exploitation du Permis du Sud (SODEPS). Tataouine est un réservoir électoral, ni plus ni moins », s’indigne Haddad.
Le gouverneur « ouvert au dialogue »
Pour sa part, Adel Ouerghi, gouverneur de Tataouine, est intervenu sur Radio IFM, le 20 décembre 2019, pour revenir sur l’ambiance tendue au siège du gouvernorat. « Nous sommes toujours ouverts au dialogue et à la négociation avec les manifestants. […] J’ai déjà reçu deux membres du collectif pour parler de l’accord d’El Kamour, après leur intrusion dans le siège du gouvernorat. Ils estiment que le gouverneur est le premier responsable sur l’application des clauses du contrat et je comprends parfaitement leurs revendications », rassure-t-il. Il trouve par ailleurs que l’accord d’El Kamour ne pourra pas, à lui seul, réduire le taux de chômage à 1%. « A Tataouine on compte 12.000 chômeurs. Ce nombre a été réduit de 32% en 2017 à 28% en 2019. Mais pour les jeunes, ce chiffre demeure insignifiant », ajoute le gouverneur.
D’après Adel Ouerghi, le discours de Kais Saied n’a pas attisé la crise. « La situation était tendue même avant le discours du président. Je ne pense pas qu’il voulait mobiliser les habitants avec son ton enthousiaste », assure t-il. Le gouverneur de Tataouine est également revenu sur le rôle de l’UGTT dans l’absorption de la crise en affirmant qu’il est juste « un garant de l’accord » et non pas le responsable direct de son application.
Les limites de l’UGTT
L’Union régionale des travailleurs à Tataouine a manifesté son soutien aux revendications sociales depuis leur déclenchement en mars 2017. Elle a soutenu, dans un communiqué publié le 1er avril 2017, les « demandes légitimes » des manifestants. Le syndicat a même proposé, entre autres, la mise en œuvre des dispositions de l’accord conclu le 6 octobre 2016 relatif au lancement du Projet du Gaz du Sud. A rappeler que l’UGTT est intervenue dans la conclusion de ce projet entre l’Entreprise Tunisienne des Activités Pétrolières (ETAP) et le ministère des Affaires sociales.
Contacté par Nawaat, Adnen Yahyaoui de la section régionale de l’UGTT insiste sur la légitimité des revendications et appelle le gouvernement à tenir ses promesses. « Le gouvernement n’a pas respecté ses engagements envers les protestataires. Nous l’avons poussé à exécuter les clauses de l’accord de 2017 mais il n’a pas pris les choses au sérieux », affirme Yahyaoui. Toutefois, le responsable syndical estime que le timing est propice pour reprendre le sit-in. « Il faut que ce dossier soit prioritaire pour le prochain gouvernement ».
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