Durant la première session du mandat parlementaire 2019-2024, l’Assemblée des Représentants du Peuple (ARP) a voté sur 3 gouvernements et 3 motions. Elle a adopté 35 projets de loi, dont 24 accords de prêts et engagements financiers de l’Etat.

Un rythme législatif ralenti

Outre les législations à caractère financier, le parlement a approuvé la loi relative à l’économie sociale et solidaire ainsi que celle concernant les mesures exceptionnelles pour le recrutement dans le secteur public. La première loi vise entre autres à « réaliser la justice sociale et la répartition équitable des richesses » en créant un modèle économique à caractère social « dont le but principal ne consiste pas à s’en partager les bénéfices ». Elle a été saluée par différentes formations politiques et civiles. La deuxième est, quant à elle, une proposition présentée par 35 élus qui prévoit le recrutement par la fonction publique des diplômés ayant dépassé 10 ans de chômage. Cette loi a suscité les réserves du gouvernement, arguant que les dépenses générées par la création d’emplois pourraient porter atteinte aux équilibres financiers de l’État.

La première session parlementaire a été particulièrement difficile pour le très controversé Rached Ghannouchi.

A cause de l’absentéisme, une convention relative à la création d’une zone de libre échange continentale africaine a été rejetée en mars 2020. Cette convention vise entre autres à créer un cadre avantageux pour les Etats membres de l’Union Africaine.

Parallèlement au confinement général prévu par le gouvernement suite à l’épidémie Covid-19, le parlement a cédé ses prérogatives législatives au gouvernement lui permettant de promulguer des décrets-lois conformément à l’article 70 de la Constitution qui prévoit que

L’Assemblée des représentants du peuple peut, au trois-cinquième de ses membres, habiliter par une loi, le Chef du Gouvernement, pour une période ne dépassant pas deux mois et, en vue d’un objectif déterminé, à prendre des décrets-lois, dans le domaine relevant de la loi. À l’expiration de cette période, ces décrets-lois sont soumis à l’approbation de l’Assemblée.

De ce fait, l’aspect législatif a été délégué au gouvernement qui a promulgué 24 décrets-lois.

La plénière : un terrain de règlement de comptes

Visiblement, le parlement est devenu un espace de règlements de comptes politiques entre le bloc destourien libre d’une part et Ennahdha et ses alliés, en l’occurrence Al Karama, d’autre part. Le bloc destourien libre, disciple du RCD de Ben Ali, a déclenché sa guerre contre le parti islamiste depuis le début du mandat. Les discordances se sont de plus en plus manifestées, notamment à travers les motions présentées.

Abir Moussi s’est acharnée à bloquer les travaux de l’ARP comme moyen de pression contre la majorité nahdhaouie

Le duel a commencé lorsque le bloc Destourien a déposé une motion contre l’ingérence de la Turquie dans les affaires internes libyennes. Cette motion s’inscrit dans un contexte international très compliqué par rapport au conflit libyen. Rached Ghannouchi, le président de l’ARP, avait félicité le leader du gouvernement d’entente nationale de la Libye Fayez Sarraj après la récupération de la base aérienne stratégique d’Al-Wat’ya. Le bloc destourien libre, hostile à Ennahdha, a revendiqué une séance de dialogue avec le président du parlement pour souligner les limites de la diplomatie parlementaire qui devrait se conformer à la diplomatie nationale. Une séance plénière prolongée a été tenue le 03 juin à 10h30 et levée le lendemain à 06h30 pour débattre de la motion du bloc destourien et auditionner Rached Ghannouchi. La motion n’a pas été approuvée, le quorum requis, soit 109 voix, n’ayant pas été atteint. Elle aura ainsi obtenu 94 voix en sa faveur, contre 7 abstentions et 68 refus.

En guise de réponse à cette motion, la coalition Al Karama en a déposé une deuxième qui demande à la France de présenter officiellement ses excuses quant aux crimes commis lors de la colonisation. Les interventions au cours du débat général ont semé davantage de chaos et de tension entre les élus. La motion n’a pas été adoptée : 75 élus ont voté pour, 46 se sont abstenus et 4 l’ont rejetée.

Face aux hostilités des partis membres de la coalition gouvernementale, le chef du bloc d’Ennahdha Noureddine Bhiri s’est rapproché d’Al Karama et Qalb Tounes

La session parlementaire a été clôturée par un vote sur le retrait de confiance du président de l’ARP. Comme les deux motions qui l’ont précédée, celle-ci ne sera pas approuvée. Elle a eu l’accord de 97 voix contre 16 objections.

Entre-temps, le bloc destourien libre a manœuvré pour entraver le déroulement des séances plénières, en réaction à l’ouverture de l’accès à l’ARP à une personne fichée S17. Cette mesure est une procédure sécuritaire qui contrôle et interdit le déplacement des éléments soupçonnés de terrorisme. Les élus du bloc destourien se sont emparés du pupitre de la présidence de l’ARP scandant le slogan « Non au terrorisme au parlement ».

Propositions de lois « sur mesure »

A chaque crise politique, les élus déposent une proposition de loi sur mesure. Avec la crise qui a accompagné la composition du gouvernement de Habib Jemli à partir du mois de novembre 2019, les élus d’Ennahdha ont présenté une initiative législative qui prévoit un seuil électoral de 5%, pour promouvoir ses chances d’arracher le plus grand nombre de sièges au parlement, en cas d’élections législatives anticipées.

Le règlement intérieur de l’ARP n’a pas été épargné non plus par les discordes politiques. Suite à la démission de 9 élus du bloc Qalb Tounes, les élus d’Ennahdha ont déposé un amendement qui interdit « le tourisme parlementaire ». En vertu de cet amendement, le député perd automatiquement son siège au parlement s’il démissionne du parti ou de la liste électorale sous lesquels il a présenté sa candidature ou du bloc parlementaire auquel il appartient. Cette disposition a été largement contestée par des experts en droit et des acteurs politiques, vu qu’elle contredit le décret-loi N°80 sur l’organisation des partis politiques.

La session parlementaire a connu un rapprochement inattendu entre le bloc Al Karama et celui de Qalb Tounes

La coalition Al Karama a déposé une proposition de loi en mai 2020 amendant le décret-loi 116, qui réglemente le paysage audiovisuel. L’objectif de cette initiative législative est de changer le quorum requis pour la désignation des membres de la Haute Autorité Indépendante de la Communication Audiovisuelle (HAICA), et le régime d’attribution des licences pour les chaînes télévisées. Al Karama propose un vote avec une majorité absolue des membres de la HAICA (109 élus) et de déposer une déclaration auprès de la HAICA au lieu de se conformer au cahier de charges qui régule le secteur audiovisuel. La HAICA a contesté cet amendement qui vient d’être adopté en commission en juillet 2020.