Le président de la République Kais Saied a annoncé, lundi soir, dans un discours prononcé lors d’une visite inopinée à Sidi Bouzid, l’élaboration d’une nouvelle loi électorale, en vertu de laquelle « le député élu sera responsable devant ses électeurs ». En outre, Saied a souligné la poursuite des mesures exceptionnelles, comprenant notamment le  de gel des activités du Parlement. Mais en ces circonstances, le président est-il réellement en mesure d’amender la loi électorale ?

Selon l’article 70 de la Constitution, le Président de la République peut prendre des décrets -en cas de dissolution du Parlement – à condition qu’ils soient soumis à l’approbation de l’Assemblée des Représentants du Peuple (ARP), au cours de la session parlementaire suivante. Cependant, l’article 70 précise que «le régime électoral est excepté du domaine des décrets-lois». En d’autres termes, dans le cadre de la constitution actuelle, il est impossible d‘amender ou d’abroger la loi électorale en vigueur par un décret présidentiel.

A priori, le Président de la République se trouve donc face à deux scénarios :

  1. La reprise des activités de l’ARP pour que l’amendement de la loi électorale puisse être approuvé à la majorité absolue, c’est-à-dire au moins 109 voix. Or dans ce cas de figure, Ennahdha et ses alliés pourraient rejeter les propositions d’amendement et aggraver ainsi la crise politique. Cependant, le parti islamiste pourrait également approuver les nouvelles lois, pour le « salut du pays», en recyclant sa rhétorique du « sacrifice pour la réussite du processus démocratique ». A noter qu’Ennahdha a déjà utilisé ce type d’argumentaire lors de la crise gouvernementale de 2013.
  2. Saied pourrait décider de l’abrogation de la constitution actuelle et la préparation d’un décret relatif à l’organisation des pouvoirs publics, comparable à celui du 23 mars 2011. Dans le cadre de ce décret, plusieurs mesures pourraient ainsi être prises y compris la dissolution de l’ARP et l’abrogation de la Constitution. Sur le plan procédural, l’abrogation de la Constitution paraît plus simple que sa révision. En effet, tout amendement constitutionnel doit d’abord être soumis à la Cour constitutionnelle. Celle-ci doit juger de la pertinence de la révision et de sa conformité aux principes et articles de la Constitution. Dans un deuxième temps, l’amendement est renvoyé à l’ARP qui doit le ratifier par la majorité des deux tiers, soit au moins 145 voix. Or au vu des circonstances actuelles, cela ne semble guère possible, d’autant plus que la Cour constitutionnelle n’a toujours pas été créée.

Dans les conditions en vigueur, l’amendement ou l’abrogation de la loi électorale parait donc impossible d’un point de vue strictement procédural. A moins que le président de la République ait délibérément décidé de ne pas se soucier des institutions de l’État et de sa Constitution, ce qui parait peu vraisemblable, tant Kais Saied a clamé son respect des convenances juridiques. A moins que le président ne projette un grand chambardement, avec en ligne de mire un nouveau projet politique.