Avec 41,5% des voix, l’extrême droite a encore gagné 7 points par rapport à 2017. Au premier tour, malgré un score relativement faible (7,07%), le polémiste d’extrême droite Eric Zemmour, a réussi à imposer ses thèmes racistes et islamophobes dans le débat public. Mais l’invasion de l’Ukraine par l’armée russe a rebattu les cartes. L’ancien journaliste, plusieurs fois condamné pour incitation à la haine raciale et religieuse, l’a bien compris. Invité sur le plateau de BFM TV le 8 mars 2022, il a estimé que la guerre en Ukraine et la crise du Covid étaient moins importantes que le « Grand remplacement ».
Cette expression, théorisée par l’essayiste Renaud Camus, prédit le remplacement des populations blanches (d’ascendance européenne) par une autre venue d’Afrique (subsaharienne et Maghreb). Bien que démentie par plusieurs démographes, cette théorie, longtemps circonscrite aux cercles d’extrême droite, est devenue un thème phare de l’élection. Si Marine Le Pen s’est toujours refusée à employer l’expression, la candidate de la droite classique, Valérie Pécresse, l’a reprise à son compte avant de rétropédaler. Le corolaire de cette théorie est que, contrairement à la promesse républicaine d’égalité, une personne non-blanche, quel que soit l’antériorité de sa présence en France, ne sera jamais considérée comme un citoyen à part entière. A contrario, un descendant d’Australien installé dans l’Hexagone depuis une génération aura moins de difficulté à se fondre dans la population générale.
Banalisation du discours xénophobe
Si les outrances zemmouriennes ont bel et bien pâti de la situation économique (inflation importante, baisse du pouvoir d’achat) et de la guerre en Ukraine, elles ont tout de même imprégné une partie de la campagne présidentielle. Cela s’est notamment vu avec la banalisation de la candidature de Marine Le Pen, qui a accusé son rival d’extrême droite de « lutter contre les musulmans ». Eric Zemmour a ainsi joué pour le compte de la dirigeante du Rassemblement national, le rôle de la fenêtre d’Overton. Il s’agit d’une technique employée dans le marketing et en politique consistant à formuler des propositions excessives afin de relativiser des solutions radicales perçues comme plus raisonnables que les premières.
Eric Zemmour a pu choquer en proposant d’imposer aux parents de donner à leurs enfants des prénoms chrétiens ou en estimant qu’il n’existe aucune différence entre islam et islamisme. Dans le même temps, Marine Le Pen propose d’instaurer une discrimination légale des étrangers dans l’accès à l’emploi et au logement, d’interdire le voile et tous les signes vestimentaires « islamistes » ou encore de réduire les contrepouvoirs comme ceux du Conseil constitutionnel, menaçant ainsi les droits et libertés des secteurs les plus vulnérables de la société française. Ce qui fait dire au journal Le Monde que s’il était adopté, le programme du Rassemblement national « bouleverserait jusqu’à l’héritage de la philosophie des Lumières et de la Révolution française ».
Dérives du premier quinquennat de Macron
Mais la stigmatisation des étrangers et des musulmans ne s’arrête pas aux portes de la droite et de l’extrême droite. Elle a été fortement entretenue sous le quinquennat d’Emmanuel Macron. Ministre des Finances de François Hollande (socialiste) entre 2014 et 2016, l’actuel président a été porté au pouvoir sur un programme sociétal inclusif par un électorat issu essentiellement du centre-gauche. En promouvant la start-up nation, il a pu parler aussi bien à des entrepreneurs diplômés issus de l’immigration qu’à des catégories plus populaires exerçant des métiers de service comme les chauffeurs Uber. Durant sa campagne de 2017, il a brisé des tabous, en déclarant en Algérie que la colonisation française était un crime contre l’humanité.
Mais une fois au pouvoir et à la faveur de la répression des Gilets jaunes, Emmanuel Macron a changé de sociologie électorale et a profité de l’effondrement de la droite classique pour devenir le candidat du parti de l’ordre. Pour donner des gages à son nouvel électorat, le nouveau président a fait voter plusieurs lois ciblant les populations immigrées. En 2018, la loi « asile et immigration » renforçant les conditions du droit d’asile, verra certains articles adoptés par les députés du Front national. En 2021, le gouvernement a promulgué la loi dite « contre le séparatisme » qui, sous couvert de lutte contre l’islamisme radical, fait peser un soupçon de « communautarisme » sur l’ensemble des musulmans. En plus du volet législatif, le quinquennat d’Emmanuel a connu une série de polémiques visant les musulmans. Ainsi, en 2021, la ministre de l’Enseignement supérieur, Frédérique Vidal, a demandé une enquête sur les dérives de « l’islamo-gauchisme » dans les universités. Pour sa part, débattant avec Marine Le Pen, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, a accusé sa concurrente de « mollesse » vis-à-vis de l’islam.
Le 28 octobre 2019, deux fidèles de la mosquée de Bayonne ont été grièvement blessés par les tirs d’un militant d’extrême droite. Cet attentat a suscité très peu de réactions officielles. Le 10 novembre, à l’appel de plusieurs associations, syndicats et partis de gauche, une marche a été organisée à Paris pour dénoncer l’islamophobie. Prétextant la présence de quelques éléments radicaux, une partie importante des médias et de la classe politique a dénoncé la marche et accusé les participants de complaisance avec l’islamisme.
Parmi les présents, Jean-Luc Mélenchon. Le député et candidat à la présidentielle, issu d’une mouvance laïque radicale, a évolué dans ses positions et a fait partie des rares personnalités politiques de premier ordre à comprendre la menace islamophobe en France. Son concurrent du parti communiste, Fabien Roussel, encouragé par plusieurs médias mainstream, a maintenu sa candidature, estimant que « le rapport à la laïcité » le séparait de Mélenchon. Au premier tour de la présidentielle, Fabien Roussel a recueilli plus de 800 mille voix, soit plus que les suffrages qui ont empêché le candidat de la France insoumise d’accéder au second tour. En 2012 et 2017, le parti communiste avait soutenu Jean-Luc Mélenchon.
Macron durcit sa politique migratoire
Si la lutte contre l’immigration constitue le cœur nucléaire du programme électoral de Marine Le Pen, Emmanuel Macron promet lui aussi de durcir sa politique migratoire, promettant notamment de faciliter l’expulsion des migrants clandestins et l’éloignement des étrangers troublant l’ordre public. Par ailleurs, comme son gouvernement a déjà commencé à le faire sous ce quinquennat, le président promet de poursuivre la réduction des visas accordés aux ressortissants de pays refusant de délivrer des laissez-passer consulaires pour les sans-papiers.
Si la victoire de Macron, élu grâce au soutien décisif d’électeurs venus de la gauche, a permis d’écarter le projet ouvertement xénophobe de Marine Le Pen, rien n’est encore joué. En effet, le premier tour a mis en avant l’existence de trois blocs de tailles équivalentes : l’extrême droite menée par Marine Le Pen, le centre d’Emmanuel Macron et la gauche de Jean-Luc Mélenchon. Les élections législatives seront donc cruciales car elles confieront les clés du gouvernement au bloc vainqueur. Emmanuel Macron réservera une partie de ses circonscriptions au Printemps républicain tandis qu’Eric Zemmour plaide pour des candidatures communes avec le camp lepéniste. Si l’un de ces deux blocs remporte la majorité parlementaire, la politique xénophobe et islamophobe aura de beaux jours devant elle.
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