Les militants pour les droits des femmes en Tunisie montent au créneau. Et pour cause : après avoir levé ses réserves sur la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW), l’Etat tunisien n’a dans les faits adopté aucune réforme.
Le 7ème rapport officiel de la Tunisie a été déposé auprès du Comité CEDAW le 16 novembre 2020. Un rapport alternatif réalisé par l’Association Tunisienne des Femmes Démocrates (ATFD) en partenariat avec plusieurs associations, a été également soumis au même Comité. Il a été suivi d’une note complémentaire axée sur le contexte politique post 25 juillet 2021.
Le Comité CEDAW examine tous les quatre ans les rapports soumis par les Etats signataires, afin d’évaluer les dispositions prises pour concrétiser ladite convention. Le Comité s’appuie également sur les rapports alternatifs rédigés par les ONG. Le Rapport officiel de la Tunisie sera examiné par le Comité CEDAW lors de la 84ème session qui se tiendra du 6 au 24 février 2023.
Levée de réserves ineffective
Instrument universel de référence sur les droits des femmes, la CEDAW a été adoptée en 1979 par l’Assemblée Générale des Nations Unies. La Tunisie a ratifié cette convention en 1985. Toutefois, une déclaration générale et des réserves spécifiques ont été notifiées par les autorités tunisiennes auprès de l’ONU.
La déclaration générale énonce que l’Etat tunisien n’adoptera aucune décision administrative ou législative susceptible d’aller à l’encontre des dispositions du chapitre premier de la Constitution qui incluait l’article 1. Cet article disposait que « La Tunisie est un État libre, indépendant et souverain ; sa religion est l’Islam, sa langue l’arabe et son régime la république ». Les réserves spécifiques concernaient les articles relatifs à la transmission de la nationalité, la liberté de circulation, le mariage, et le divorce. «Ces réserves ont été perçues par les féministes comme une trahison du pouvoir, à une époque où la Tunisie se targuait de son féminisme d’Etat», rappelle Ramy Khouili de l’association Beity à Nawaat.
En 2011, la Tunisie a fini par lever ses réserves sur la CEDAW. Il a fallu attendre l’année 2014 pour qu’elle notifie cette levée auprès de l’ONU. Toutefois, les autorités tunisiennes ont maintenu la déclaration générale. «Ce qui revient en fait à anéantir les dispositions de la CEDAW», regrette Khouili.
Membre de l’ATFD et rédactrice de son rapport alternatif, Monia Ben Jémia note de son côté que la levée des réserves n’a pas été suivie de mesures visant à concrétiser les principes de la CEDAW. «Aucune initiative n’a été prise pour réformer le Code du statut personnel, ni le Code de la nationalité», déplore-t-elle.
En finir avec le statut personnel
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Le code de la nationalité n’a pas été réformé. Par conséquent, les discriminations relatives à la transmission de la nationalité aux enfants persistent. Pour l’octroi de la nationalité tunisienne aux enfants étrangers par le biais du droit du sol, la lignée maternelle n’est pas prise en compte. Il est seulement exigé que le père et le grand-père paternel soient nés en Tunisie. En revanche, le fait que la mère ou même la grand-mère paternelle soient nées en Tunisie ne permet pas l’attribution de la nationalité à l’enfant. En outre, le mari reste le chef de la famille, et la tutelle ou certains de ses attributs n’est exercée que de façon exceptionnelle par la mère, souligne la représentante de l’ATFD.
La seule tentative visant à rendre effective la CEDAW, en l’occurrence le rapport de la COLIBE, a été avortée, regrette Ramy Khouili. «Les droits économiques et sociaux, garantis par la Constitution et les lois, sont ineffectifs et les mesures prises restent insuffisantes. Il en est de même de l’élimination des violences et de la traite des femmes et des enfants, faute de budget suffisant, de sensibilisation du public, de formation adéquate des divers intervenants et de Décrets d’application. Ainsi, les différentes lois adoptées en faveur des femmes souffrent d’ineffectivité et/ou ne contiennent globalement pas de dispositions qui intègrent l’approche genre», note le rapport de l’ATFD.
«Le droit des successions et le droit à l’héritage notamment de la terre restent bafoués, ce qui marginalise économiquement les tunisiennes et en particulier les femmes les plus vulnérables comme les femmes rurales», relève Julie Gromellon Rizk de l’organisation féministe Kvinna till Kvinna.
Femme rurale, tu n’hériteras point !
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Et elle poursuit : « Le Comité CEDAW doit rappeler à la Tunisie ses obligations, et recommander au gouvernement d’alourdir les sanctions contre les auteurs de violences ou de discriminations économiques qui sont d’autant plus intolérables dans le contexte de crise économique sévère que traverse le pays ».
Une convention réduite à néant
Sous le règne de Kais Saied, la société civile exprime ses inquiétudes quant à une mise à mort de la CEDAW, notamment après la promulgation d’une nouvelle Constitution.
En effet, l’article 5 de la Constitution de 2022 dispose que «l’État est tenu, dans la protection de la vie, de l’honneur, de l’argent, de la religion et de la liberté, des biens et de la liberté, de réaliser les finalités de l’Islam». La note complémentaire du rapport de l’ATFD met en garde contre «la possibilité de recourir à la règle religieuse et de l’appliquer en lieu et place du droit positif puisqu’elle est désormais dotée d’une valeur constitutionnelle».
En vertu de cet article, l’Etat pourrait renoncer à ses engagements internationaux, dont la CEDAW, parce que non conformes aux références religieuses. A noter qu’en vertu de la constitution de 2022, les conventions internationales ont certes gardé leur valeur juridique supérieure à celle des lois. Mais désormais, leur application est tributaire de leur mise en œuvre par les autres parties.
Des droits jusqu’ici garantis par la loi, comme le droit à l’avortement, pourraient être abolis, avertit Ramy Khouili de l’association Beity. Ces craintes interviennent dans un contexte politique où le président de la République gouverne le pays à coup de décrets-lois.
Les prémisses d’un tel recul sont déjà visibles avec l’abandon de la parité dans les élections législatives, estime la militante féministe. «Le discours du président de la République contre l’égalité dans l’héritage en faisant recours à un texte coranique ne laisse pas espérer une amélioration des droits des femmes», lance-t-elle.
De son côté, le représentant de Beity, s’inquiète d’une éventuelle détérioration de la situation des femmes précaires. «Des femmes d’ores et déjà vulnérables risquent de l’être encore plus en étant dépossédées de leurs droits», alerte le responsable associatif.
Pour sa part, Monia Ben Jémia confie ainsi que les féministes ne s’attendent pas à des réformes visant à appliquer la CEDAW. «Le futur parlement sera majoritairement composé d’hommes. Quant à Saied, des réformes, comme celles relatives au CSP, sont le dernier de ses soucis», souligne-t-elle. Et de conclure : «Nous allons être vigilants pour qu’il n’y ait pas encore plus de régressions relatives aux droits des femmes», conclut-elle.
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