Les migrants LGBT vivant en Tunisie montent au créneau pour demander une protection solide. Certains parmi eux étaient présents au Forum international sur la migration, organisé par l’ONG Amnesty international Tunisie du 24 au 26 novembre dernier.

C’est que les personnes LGBT « sont victimes d’une double violence : celle du racisme et celle causée par leur orientation sexuelle », déplore Maher Omrani, président d’Amnesty Tunisie dans un entretien avec Nawaat.

La situation de cette catégorie de migrants « est particulièrement préoccupante », explique à Nawaat Oly, une Subsaharienne représentante du Collectif des demandeurs d’asile et de réfugiés LGBTQ++ d’Afrique subsaharienne en Tunisie.

 Ce collectif rassemble plus de deux cents personnes. « Nous nous sommes organisés en collectif afin de faire parvenir des revendications communes », explique Oly.

La persécution des personnes LGBT

Les récits sur l’exode de ces migrants sont presque les mêmes. Tous racontent des persécutions dans leurs pays d’origine, des violences, sexuelles notamment, durant le trajet migratoire. Puis un calvaire qui se poursuit en arrivant en Tunisie. Cet exode est qualifié par l’ONU comme étant « un déplacement forcé » de populations.

Mars 2023, manifestation de demandeurs d’asile et de refugiés LGBTQ devant le siège du UNHCR – Damj

Originaire du Cameroun, Elvige a 37 ans. Elle a fui un mariage forcé. « Voyant que j’ai une attirance pour les femmes, ma famille m’a obligée de me marier avec un vieil homme. Avec lui, j’étais violée tous les jours », raconte-t-elle à Nawaat.

Cette violence a atteint son apogée lorsque son époux l’a poignardée. A la sortie de l’hôpital, elle prend la fuite.  Arrivée en Tunisie après un long trajet, elle a enchainé les petits boulots en tant que femme de ménage, serveuse, etc.

 « A chaque fois le même scénario avec les patrons : des intimidations, des attouchements sexuels. Au métro, c’est la même chose, des personnes se permettent de se coller à moi en me tripotant, et ce, au vu et au su de tout le monde ». La situation a encore empiré après le discours anti-migrants de Kais Saied en février dernier. « Depuis, la violence a triplé », lance-t-elle. Et de dénoncer : « les gens se sont lâchés ».

Le président de la République a tenu en février dernier des propos virulents envers les migrants, les accusant de vouloir coloniser le pays. Ses déclarations ont été suivies par une déferlante de discours de haine sur les réseaux sociaux et une vague de violence à l’encontre des migrants.

« Il y a eu une rupture avec le discours de Saied. Ce dernier a lâché les vannes du racisme, de l’homophobie. Et ce sont les femmes et les personnes LGBT qui sont les plus sujettes à cette violence en raison de leur vulnérabilité », déplore Jean Claude Samouiller, président d’Amnesty international France, dans un entretien avec Nawaat.

En effet, un foyer abritant des réfugiés et des demandeurs d’asile LGBT subsahariens situé dans un quartier du nord de Tunis a été attaqué par des hommes armés de bâtons et de couteaux, le 23 février dernier.

La situation s’est envenimée en juillet dernier dans la ville de Sfax. La chasse aux migrants a donné lieu à une crise humanitaire. Arrivée à Sfax en octobre dernier, Adora, une guinéenne transsexuelle, a dû quitter la ville sur le conseil de son amie subsaharienne. « Elle m’a dit que Sfax c’est plus dangereux pour moi », déclare-t-elle à Nawaat. 

Ostracisée par sa famille, Adora, 27 ans, a été également emprisonnée dans son pays pour son orientation sexuelle. Elle raconte avoir subi le chantage du gardien de la prison. « Il m’a promis de m’aider à m’évader de ma cellule à condition de coucher avec lui. Je n’avais pas le choix ». Le gardien en question la met en contact avec un passeur. Son récit sur son long parcours migratoire de la Guinée vers le Mali, l’Algérie puis la Tunisie est ponctué d’histoires sur des viols qu’elle a subis. « Durant la traversée vers l’Algérie, on était 20 personnes de tous les pays entassés dans un camion comme du bétail. J’ai vu des gens mourir. Des femmes violées devant moi. Je l’ai également été ».

Adora a obtenu une carte de demandeur d’asile en Algérie. « Mais une employée au HCR là-bas m’a conseillée de venir en Tunisie en me disant que ça sera mieux ici », se souvient-elle.

En arrivant à Tunis, elle a dû être hospitalisée pour une déchirure anale causée par de multiples agressions sexuelles. C’est à ce moment qu’elle découvre qu’elle est contaminée par le VIH. Les yeux pâles, extrêmement maigre, Adora raconte son histoire en sanglotant.

Comme plusieurs de ses amis migrants LGBT, Adora est hébergée par l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) dans un foyer. Mais sans travail, ni la possibilité de vivre en sécurité, Adora comme Elvige désespèrent de la vie en Tunisie.

« Les migrants LBGT sont exclus du marché du travail en Tunisie à cause de leur situation irrégulière mais aussi parce que les patrons ne veulent pas d’eux à cause de leur orientation sexuelle. Ils sont précaires. Et beaucoup d’entre eux sont malades », déplore la représentante du Collectif des demandeurs d’asile et de réfugiés LGBTQ++ d’Afrique subsaharienne en Tunisie.

Pour ce Collectif, la clé de sortie est entre les mains du HCR.

Le HCR pointé du doigt

La protection renforcée réclamée par le Collectif signifie pouvoir partir de la Tunisie vers un pays où ils puissent « vivre librement », clame Adora. Pour y parvenir, ils demandent un traitement prioritaire de leur dossier de demandeurs d’asile et de réfugiés de la part du HCR.

Juillet 2023, chassés de leurs domiciles des dizaines de subsahariens s’entassent dans un jardin public à Sfax – Photo Mohammed krit

Il s’agit d’accélérer la procédure de réinstallation. Celle-ci est prévue pour les personnes les plus vulnérables parmi les réfugiés. « Le HCR traîne dans le traitement de nos dossiers. Pourtant, c’est une question de vie ou de mort pour nous », dénonce Elvige.

Nawaat a contacté l’agence tunisienne du HCR pour un entretien concernant les demandeurs d’asile et réfugiés LGBT mais en vain.

La demande de réinstallation est individuelle. Le HCR précise que cette réinstallation n’est pas un droit et que la décision concernant la réinstallation revient aux pays d’accueil.

« Dans le monde, les besoins de réinstallation sont élevés, mais les créneaux disponibles sont limités car ils profitent à moins de 1% de la population réfugiée dans le monde. Pour cette raison, il est impératif que les réfugiés comprennent qu’ils ne pourront peut-être jamais accéder à cette option et doivent donc œuvrer pour l’autosuffisance en Tunisie, si l’option d’un retour sûr et durable dans leur pays d’origine n’est actuellement pas une option », souligne le HCR.

Parmi les pays accueillant les réfugiés LGBT, il y a la France. Dans ce cadre, le président d’Amnesty France assure que « malgré la montée du discours anti-migration, l’octroi d’une protection subsidiaire aux personnes LGBT n’est pas réellement menacé ».

En attendant de statuer sur leurs dossiers de demandeurs d’asile et de réfugiés, les personnes LGBT s’appuient sur l’accompagnement des associations tunisiennes et d’ONG internationales travaillant auprès des migrants.

Le site du HCR renvoie les personnes LGBT vers les associations Mawjoudin et celle sur la prévention positive (ATP+). La représentante du Collectif dit également s’appuyer sur le soutien de l’association Damj ou encore Terre d’asile.

Mais le soutien des associations ne suffit pas face à l’afflux de cette catégorie de migrants qui fuient en masse leurs pays. En effet, parmi les 84 millions de personnes déplacées de force dans le monde, il y a un grand nombre de personnes LBGT. Ces migrants sont « les plus vulnérables et les plus marginalisés » souligne l’ONU. Leur nombre continue à augmenter, alerte-t-elle.