Le département du secteur privé au sein de l’Union générale du travail tunisien (UGTT) a achevé l’avant-projet de révision des conventions collectives qui sera présenté lors des prochaines négociations sociales avec le patronat. Il s’agit des premières conventions sectorielles depuis 2008. Avec de nouvelles priorités financières et réglementaires, dictées par la conjoncture économique difficile, elles ne semblent pas à l’abri de désaccords et de circonvolutions qui risquent de les faire trainer pour des années encore.
Après quinze ans d’interruption, la centrale syndicale affûte ses armes pour affronter ses partenaires sociaux, qu’ils soient structurés ou non dans l’Union tunisienne de l’industrie et du commerce et de l’artisanat (UTICA). Si l’intérêt pour l’aspect réglementaire vient en premier, les préoccupations financières ne seront pas en reste, puisque l’UGTT prévoit de négocier en même temps une augmentation des salaires de base pour les travailleurs du secteur privé.
Le dernier round des conventions collectives remonte à 2008. Les représentants des secteurs relevant des structures intermédiaires de l’UGTT, incarnées par les fédérations sectorielles du secteur privé, s’étaient réunis avec leurs homologues du patronat, et avaient abouti à des accords qu’ils ont ensuite appliqués sur les conventions collectives sectorielles. Or, celles-ci sont restées inchangées depuis, alors que la Tunisie et le monde entier connaissaient des mutations radicales dans les relations de travail et des évolutions sociales, avec notamment la disparition de certaines professions et l’apparition d’autres. Entretemps, il y a eu le pacte social et l’accord sur le travail décent, signés par les trois partenaires, et que la centrale syndicale promet aujourd’hui d’inscrire au chapitre des droits des travailleurs dans les conventions collectives en gestation.
Reculade de dernière minute
Pour rappel, les négociations annoncées pour les années 2018 et 2019 n’ont pas été menées par le bureau exécutif de l’UGTT et le patronat, comme c’était de coutume au cours des années précédentes. Les deux parties s’étaient officiellement accordés pour que ces négociations, axées sur la révision des conventions collectives sectorielles, soient confiées aux structures intermédiaires sectorielles des deux organisations.
La centrale syndicale avait alors commencé à formuler des propositions d’amendement émanant de ses structures intermédiaires du secteur privé, dont des copies ont été envoyées au ministère des Affaires sociales et à ses partenaires sociaux, et à mettre en place des délégations chargées de mener les négociations. Celles-ci ont été officiellement lancées par la signature d’un accord-cadre le 13 mars 2017, à l’issue d’une réunion entre la centrale syndicale et le patronat, au siège du ministère des Affaires sociales, en présence du secrétaire général de l’UGTT, Noureddine Taboubi, et de la présidente de l’UTICA, Wided Bouchamaoui, qui sera relayée à ce poste par Samir Majoul L’accord stipule que :
les deux parties ont convenu de revoir la valeur de l’échelon dans la grille des salaires relatives aux conventions collectives sectorielles à l’occasion des prochaines négociations collectives, qui seront sectorielles et débuteront avant fin mars 2018, tant sur le plan organisationnel que financier.
Cependant, après plusieurs réunions de la commission centrale des négociations, présidée par le ministre des Affaires sociales, avec la participation de cinq membres du bureau exécutif de chaque organisation, l’UTICA a proposé de centraliser également ce round, arguant du fait que les négociations directes entre les secteurs pourraient être longues, s’étendant potentiellement au-delà de neuf mois. Une durée prolongée pourrait entraîner des risques de désaccords ou de grèves. Une situation que les entreprises souhaitent éviter, surtout dans un contexte économique difficile.
Ainsi, pour l’organisation des employeurs, les conventions collectives connaîtront indéniablement des désaccords entre les représentants des différents secteurs. Ce qui ne manquera pas d’envenimer le climat social dans les entreprises, d’autant plus que l’UTICA était en train de renouveler ses structures. La situation est d’autant plus complexe que la plupart des dirigeants sectoriels ont été récemment nommés, et manquent d’expérience pour mener des négociations aussi longues et délicates, comme les négociations sectorielles ou la révision des conventions collectives.
L’UGTT était, par la suite, revenue vers le groupement du secteur privé pour obtenir la décision de centraliser les négociations sociales au titre des années 2018 et 2019, renonçant ainsi au choix fait initialement de confier la tâche aux délégations représentant les secteurs. Ces négociations vont aboutir à un accord prévoyant une majoration de 6% des salaires de base dans le secteur privé, sachant que les conventions collectives sectorielles n’ont pas été amendées depuis 2008.
Ces conventions ont fait l’objet de neuf révisions durant les années 1983, 1989, 1990, 1993, 1996, 1999, 2002, 2005 et 2008. Depuis, elles se sont limitées à des négociations centrales qui ont abouti, au terme de chaque round, à un accord prévoyant une augmentation des salaires de base dans le secteur privé, sans aborder les aspects réglementaires.
Une planche de salut
L’organisation des travailleurs tient à ce que les conventions du secteur privé au titre des années 2025 et 2026 soient collectives et directes entre les représentants des secteurs des deux parties. Elle accorde une attention particulière à l’aspect réglementaire de la révision et à la mise à jour des conventions à la lumière des évolutions que connait le marché du travail, dont notamment l’apparition de nouvelles professions et spécialités, ainsi que les modifications introduites dans la législation du travail et les dispositions contenues dans l’accord sur le travail décent, conclu entre l’Etat et les deux centrales, patronale et syndicale.
Dans le cadre de ses préparatifs, l’UGTT a, selon une source proche du département du secteur privé, demandé à chaque fédération sectorielle de formuler des propositions claires et réalistes après consultation des travailleurs concernés par chaque convention, tout en ayant pour objectif d’aborder les vrais problèmes et d’élever le niveau professionnel et matériel des travailleurs.
L’organisation a décidé de tenir deux réunions du groupement du secteur privé pour discuter des propositions de révision et tracer un plan d’action. Elle en a adressé des copies au patronat et à ses fédérations sectorielles, ainsi qu’aux structures indépendantes de la Fédération de l’industrie et du commerce, à l’image des fédérations des banques et du tourisme, des agences de voyages, de la fédération des directeurs de journaux, sans oublier, bien sûr, le représentant de l’Etat, à savoir le ministère des Affaires sociales.
L’UGTT avait également organisé des conférences régionales ayant pour thème : «Les négociations collectives sur la révision des conventions collectives sectorielles», et dont la première a eu lieu fin octobre dernier. L’objectif étant de poursuivre les débats sur les projets de révision des conventions et les réactions du patronat, et de définir les grands axes d’un plan d’action devant aboutir à une révision la plus complète possible.
Selon nos informations, l’organisation des travailleurs a élaboré environ 27 propositions générales traitant de l’ensemble des conventions collectives sectorielles, portant notamment sur le droit syndical, la sécurité au travail, la formation continue, la révision de la classification professionnelle, la valeur de l’échelon, les sanctions, la nomination, la période d’essai, ainsi que les contrats à durée limitée. D’autant plus que la Tunisie est l’un des rares pays dont le droit du travail autorise des contrats de courte durée sous forme de périodes d’essai de 4 ans avant la titularisation du travailleur.
Au volet financier, la prochaine augmentation dans le secteur privé ne devrait pas se faire avec un taux généralisé et unifié, comme cela a été le cas au cours des quatorze dernières années, suite à l’accord des deux centrales syndicales sur un taux applicable à l’ensemble des filières du secteur privé. Désormais, chaque filière négociera sa propre augmentation. Ainsi, les augmentations salariales varient en fonction de la rentabilité et de la performance de chaque secteur. Par exemple, une filière prospère pourrait offrir une augmentation de 15 %, tandis qu’un autre secteur moins performant pourrait ne proposer qu’une revalorisation de 5 % ou 6 %. Dans certains secteurs en déclin, comme le cinéma, aucune augmentation salariale n’est prévue.
Dans le même sillage, le secrétaire général adjoint de l’UGTT, chargé de la fonction publique, Mohamed Chebbi, a écarté l’idée que des négociations collectives puissent avoir lieu dans le secteur public et la fonction publique, rapporte «Echaab News», l’organe de l’’UGTT. Le responsable syndical a fait cette déclaration à l’occasion de la première conférence régionale sur les conventions collectives dans le secteur privé, qu’il avait coprésidé avec des membres du bureau exécutif.
Un processus complexe
Le mois de janvier prochain marquera le début des négociations pour la majoration des salaires de base dans le secteur privé. Ces négociations intersectorielles n’auront lieu qu’après l’élaboration et la signature d’un accord-cadre général entre l’UGTT et l’UTICA. Après quoi, des comités de négociations seront constitués. Ils seront composés de dirigeants de secteurs désignés par les travailleurs et les employeurs. Il est courant que chaque comité soit formé de 3 ou 4 représentants des travailleurs et du patronat, concernés par chaque convention, et présidé par un inspecteur du travail, représentant du ministère des Affaires sociales. Son rôle principal sera d’assurer la médiation, sans interférer directement dans le déroulement des négociations.
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Pour aboutir à un accord-cadre optimal, les fédérations générales de l’UGTT et les chambres nationales affiliées à l’UTICA ont intérêt à accorder leurs violons. A titre d’exemple, il est acquis que ce cadre prévoira la création d’un comité composé de représentants des deux organisations et dont la mission sera de coordonner, de suivre les travaux des comités intersectoriels des négociation et de résoudre les problèmes pouvant survenir au sein de ces comités.
En plus de négocier la modification des conventions sectorielles existantes, l’UGTT propose d’encadrer les nouveaux secteurs apparus ces dernières années par des conventions collectives. D’après notre source, l’objectif est d’«inclure de nouvelles activités dans le champ d’application des conventions sectorielles et, si nécessaire, d’établir de nouvelles conventions.»
L’UGTT estime qu’il existe plusieurs activités couvertes par des conventions collectives qui ne correspondent pas à la nature de l’activité, citant le cas des conducteurs de camions transportant des matières dangereuses, qui sont traités au même titre que les conducteurs transportant des marchandises ordinaires dans la convention collective du transport routier. Pour la centrale syndicale, il est temps de distinguer ces deux catégories par une convention sectorielle.
Aussi, le marché du travail a-t-il vu l’apparition de nombreux métiers et emplois ayant contribué à la création de nouveaux secteurs qui doivent être encadrés par des conventions collectives, à l’image des centres d’appels, du secteur audiovisuel, de l’industrie pharmaceutique et des fournitures médicales, du conditionnement des produits de la mer, des abattoirs de volailles, des prestations de livraison et autres.
À titre d’illustration, la Fédération générale d’électricité, des mines et des fonderies entamera des négociations pour réviser cinq conventions sectorielles qu’il lui appartient d’examiner, nous confie Abdelaziz Arfaoui, secrétaire général de la fédération. Ce dernier nous apprend que sa structure avait adressé toutes les propositions d’amendements au ministère des Affaires sociales, ainsi qu’aux chambres nationales concernées par chacune des cinq conventions.
Selon Arfaoui, nul ne peut prédire le temps que prendraient les négociations prévues en janvier ou février prochain. Si théoriquement elles pourraient être bouclées en trois mois, la complexité du sujet et le nombre de points de discorde laissent craindre qu’elles s’étendent sur une année, voire plus. Une chose est néanmoins sûre : pour les deux parties, la priorité absolue est aujourd’hui de mettre en œuvre la révision des conventions collectives sectorielles, gelées depuis 2008, pour essayer d’être au diapason des évolutions en cours en Tunisie et dans le monde.
Outre l’ambiguïté qui entoure le processus de négociation en perspective, et les divergences de vue entre les défenseurs des intérêts des travailleurs et les partisans du patronat et du capital, le silence des autorités sur cette question cruciale s’apparente au calme qui précède la tempête. En l’occurrence, les autorités ont déjà montré à plusieurs reprises leur rejet des corps intermédiaires, syndicats en tête, cherchant toujours à en réduire leur rôle ou à les écarter, pour s’attribuer les éventuelles avancées. Mais le pouvoir, représenté par le ministère des Affaires sociales, se limitera-t-il, cette fois-ci, à son rôle habituel d’arbitre légal entre l’UGTT et l’UTICA lors des négociations dans le secteur privé ? Ou trouvera-t-il une formule pour tenter de dominer le processus censé démarrer en janvier prochain, réduisant syndicat et patronat au silence ?
« Les représentants des structures sectorielles de l’UGTT ne négocieront pas uniquement avec les structures représentant les secteurs au sein de l’UTICA. Il existe actuellement 54 conventions collectives sectorielles, dont environ 44 sont représentées par les chambres nationales affiliées à l’UTICA. Tandis que le patronat, concerné par les dix conventions restantes, est représenté par des structures indépendantes de l’organisation dirigée par Samir Majoul, telles que les fédérations des hôtels, des banques, des directeurs de journaux, le syndicat des cliniques privées et autres… »
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