Photo d’illustration : Gouvernement Laarayadh Crédit photo : Premier ministère

Suite à la démission du chef de gouvernement Hamadi Jebali, pendant plus d’une dizaine de jours, Ennahdha, parti majoritaire à l’Assemblée nationale constituante, a mené les négociations avec les partis politiques pour la constitution du nouveau gouvernement. Finalement, aucun parti, autre que ceux de la Troïka, n’a accepté les conditions du parti islamiste.

Par ailleurs, ses deux partenaires sous le gouvernement Jebali, Ettakatol [1] et CPR[2], ont posé leurs conditions pour rester dans la nouvelle coalition gouvernementale. Un pacte politique en est sorti pour rester quasi-inconnu pour l’opinion publique.

En effet, hormis Ettakatol, les deux autres partis : Ennahdha et le CPR ont, semble-t-il, jugé inutile le fait de le publier dans leurs sites officiels ou même de prendre le temps d’en parler malgré l’importance de l’engagement. Certes, la “Troïka bis” telle que la surnomment certains politiciens, guidée par le nouveau chef de gouvernement Ali Laarayadh, est effectivement constituée des mêmes acteurs que la première Troïka, nonobstant, deux hommes de poids ont été “sacrifiés” et quelques concessions dans le dit “contrat politique” ont été approuvées par le parti islamiste.

La Troïka Bis sacrifie ses deux leaders Jebali et Abbou

Du triumvirat, seul Mostapaha Ben Jaafer, SG d’Ettakatol et président de l’Assemblée Constituante, est resté dans la coalition au pouvoir ; cependant le Chef du gouvernement Hamadi Jebali et le leader du CPR Mohamed Abbou, ont fini par se dissocier de leurs partis respectifs. Démissionnaires, ils se sont concrètement opposés à leurs partis quant à la gestion des affaires publiques.

Pour M. Jebali, Secrétaire général du parti islamiste Ennahdha, l’assassinat de Chokri Belaïd, a été un accélérateur pour un changement de politique. Son initiative d’un gouvernement dit “de technocrates” a été un séisme pour son propre parti

“Ma position a été fixée avant cet incident mais ce crime odieux a accéléré ma prise de position avec une décision dont j’assume la responsabilité.” a-t-il déclaré dans une allocution publique le 6 février dernier

Ennahdha finira par bloquer son initiative et le poussera à prendre une décision inopinée pour son parti, celle de la démission.

Du côté du CPR, les choses ont été encore plus floues. Le parti a volé en éclats, notamment en l’absence d’une structure organisationnelle et d’une politique claire. Son leader Mohamed Abbou désavouera même son propre parti dans sa lettre de démission

Mon projet au sein du CPR après le 14 Janvier était la réforme au niveau national. Je ne me vois pas perdre mon temps à corriger un parti qui est censé être lui-même réformateur.

Suite à cela, après avoir attendu l’annonce de la composition du gouvernement Laarayadh pour éviter que la crise devienne plus profonde, M. Abbou a fini par déclarer officiellement sa démission en révélant également son intention d’en créer un nouveau.

Pour M. Jebali, rien n’a été confirmé pour la constitution d’un autre parti pour les “déçus nahdhaouis”. Par ailleurs, des bruits de couloir prolifèrent. Selon le journal Al Moussawar, des sources proches du mouvement Ennahdha confirmeraient la rumeur de création d’un nouveau parti par le SG d’Ennahdha Hamadi Jebali…

Résultats des pourparlers

Le parti Ettakatol et CPR ont été intransigeants avec leur partenaire Ennahdha essentiellement autour de trois points principaux :

  • Le changement des deux ministres : de la Justice (Noureddine Bhiri) et des Affaires Etrangères (Rafik Abdeselem)
  • La réduction du nombre de ministres
  • Révision des nominations faites par Ennahdha des PDG, maires, délégués … (Demande spécifique d’Ettakatol).

Avec le nouveau Chef de gouvernement, Ennahdha a fini par répondre aux exigences et de ses partenaires et de l’opposition pour nommer des ministres indépendants à la tête des ministères régaliens. En outre, le gouvernement, naguère composé de plus de 80 ministres a été réduit à 38. Cependant aucune promesse n’a été faite, dans le contrat, pour réviser les anciennes nominations, par contre il a été convenu de créer “un moyen participatif pour concertation lors des nouvelles nominations dans les hauts postes et leur révision quand c’est nécessaire.”

Le dernier point de divergence au sein de la Troïka a été la question de la “ligue dite de protection de la révolution”. Aucun engagement écrit n’a été pris pour geler ses activités comme le stipule la loi des associations. Ennahdha et le CPR étant contre sa dissolution, Ettakatol est resté le seul à exhorter ses partenaires à en prendre la décision. Jusqu’à aujourd’hui, la ligue, avec ses différents bureaux sur le territoire tunisien, est encore active et reconnue légalement malgré sa transgression de la loi et ce à plusieurs reprises.

Concessions et reconnaissance d’Ennahdha de quelques notions d’un Etat républicain

En résumé, le triumvirat a été sacrifié et un compromis fragile a été officialisé dans un pacte politique et ce après plus de huit mois de tractations pour un remaniement impossible qui a débouché sur la dissolution du gouverment Jebali et la mise en place d’un nouveau sous l’égide de l’ex-ministre de l’Intérieur Ali Laarayadh.

Par ailleurs, des concessions ont été faites par Ennahdha suite à la crise politique cristalisée au niveau des noms de Noureddine Bhiri et Rafik Abdeselem. En effet, le ministre de la Justice a quitté ses fonctions pour devenir ministre délégué chargé des affaires politiques. Quant à M. Abdeselm, il a été complètement écarté du nouveau gouvernement.

L’autre résultat de ces tractations a été la reconnaissance, dans le pacte politique, des principes fondamentaux du rôle d’un Etat républicain. En effet, dans ce contrat, les évidences de principes et du rôle de l’Etat ont été reconnues, par écrit, par le parti islamiste et ses deux partenaires (un Etat civil, le devoir de l’Etat de lutter contre le crime, promouvoir l’économie…)

Quant au calendrier politique, la promesse de la Troïka bis, de faire en sorte que les élections aient lieu avant la fin de l’année courante, reste de l’ordre de la chimère pour les experts vue l’absence de l’ISIE et le manque de temps pour organiser convenablement des élections libres, transparentes et démocratiques.

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[1] Ettakatol : Forum démocratique pour le travail et les libertés (FDTL)
[2] CPR : Le Congrès pour la République