samira marai

Jeudi 12 mai, Samira Merai, ministre de la Femme, de la famille et de l’enfance , a annoncé avoir, enfin, déposé  le projet de loi intégrale contre la violence faite aux femmes  au conseil des ministres. En réalité, cela fait un mois que le projet de loi est bloqué  au conseil des ministres. D’après nos sources, plusieurs ministres le contestent  et la ministre concernée cherche des soutiens dans le mauvais camp.

Samira Merai et la chargée de mission Samia Doula ont présenté des bribes du projet de loi en mars dernier lors d’un colloque international organisé par le Conseil de l’Europe en partenariat avec le ministère de la Femme et celui de la Justice. Le colloque a été boycotté par une large partie de la société civile concernée par les droits des femmes.


Mercredi 11 mai, des représentantes du collectif des associations œuvrant pour la nouvelle loi intégrale sur la violence faite aux femmes, ont été éconduites du bureau de Samira Merai. « La ministre nous a humiliées en prétendant ne pas être au courant de la réunion et  nous a mises  à la porte. Depuis que la réforme a démarré, nous avons été mises à l’écart par le ministère. La ministre parle dans les médias d’une approche participative mais dans la pratique, elle travaille en vase clos avec ses fonctionnaires » explique Monia Ben Jemia, présidente de l’Association tunisienne des femmes démocrates.

Derrière cet incident se cache une bataille politique acharnée entre la société civile et Samira Marai. Une bataille idéologique entre des partis politiques (Nidaa Tounes et Ennahdha) souhaitant garder le statu quo et une société civile qui espère une avancée importante en matière d’égalité des genres. D’après nos sources, l’écriture du projet de loi a démarré en 2013 avec quatre expertes dont Sana Ben Achour. Le chef du gouvernement Mehdi Jomaa, avait alors évité de l’inscrire sur l’agenda du conseil des ministres par peur de susciter une polémique. En 2015, Samira Merai a relancé l’examen du projet de loi. « Bien qu’il soit finalisé avant sa prise de fonction, la nouvelle ministre a absolument voulu revoir le projet sans consultation des anciennes expertes. Depuis sa nomination, Merai veut afficher une distance par rapport aux expertes proches de la gauche et de la société civile progressiste » nous confie notre source. Après validation des bailleurs de fond, deux nouvelles expertes se sont emparées du dossier et ont travaillé durant des mois pour aboutir à une deuxième version validée « difficilement » par la ministre « trop soucieuse de ne pas heurter la sensibilité de ses alliés islamistes ».

Fin mars 2016, Samira Merai a décidé de modifier  une nouvelle fois le projet de loi. Elle confie la tache à une équipe interne dirigée par la chargée de mission Samia Doula, une des anciennes cadres du ministère de la Justice sous Ben Ali. « Le mot d’ordre durant cette phase était de s’éloigner du Code du statut personnel en général et de ne pas toucher aux questions sensibles comme le viol conjugal ou l’héritage » nous explique notre source. Nommée en février 2015 à la tête du ministère de la Femme, Samira Marai, députée Afek de la Constitutante, doit son poste au veto posé par Ennahdha à la nomination de Khedija Cherif, militante de droits humains sous Ben Ali et ancienne présidente de L’ATFD.

Cette version finale du projet de loi qui ne devrait pas considérablement différer de celle validée par les deux expertes et  les bailleurs de fonds internationaux est restée, jusqu’à ce jour, cachée à la société civile. D’après nos sources, Samira Merai, a exposé l’intégralité du projet de loi aux partis politiques dans une réunion au sein de son ministère où étaient essentiellement présents des membres d’Ennahdha ainsi que des responsables d’ONG internationales et des bailleurs de fonds. « Le seul partenaire écarté est la société civile proche de la gauche. Car le soucis de Madame la ministre est de ne pas associer le ministère avec les associations féministes comme les Femmes démocrates, ennemies jurées des islamistes au pouvoir » analyse notre source.

Pour rappel, le projet de loi consiste à remplacer les articles du code pénal (208, 218, 219, 221, 222, 223, troisième paragraphe du 226, 227 et 229). Parmi les réformes, un des points les plus importants concerne la suppression de l’actuel article 227,  permettant au violeur de se marier avec sa victime afin d’échapper aux sanctions pénales. Ainsi que d’autres améliorations au niveau de la protection de la violence et de la punition des agresseurs.

Pour le moment, le projet de loi intégral contre la violence faite aux femmes reste bloqué par les ministères de la Justice, de l’Éducation et des Affaires religieuses. Chacun arguant du fait de ne pas avoir été consulté dans l’élaboration d’un projet de loi qui empiète sur leurs prérogatives. Un blocage qui en dit long sur l’autorité d’un ministère affaibli depuis sa création dans les années 80 par les jeux de pouvoir.