Le ministre du tourisme Habib Ammar visite un hôtel à Djerba, 13 juillet 2021. Crédit: Ministère de la Santé.

Comme tous les ans, dès l’hiver, les responsables politiques tiennent à rassurer leurs concitoyens sur « la réussite de la saison touristique ». Il ne faut pas être grand clerc pour se rendre compte que cette année, cet objectif ne pourra pas être atteint. Entre les frontières terrestres fermées aussi bien avec l’Algérie que la Libye, la situation pandémique catastrophique qui fait de la Tunisie le premier pays africain en termes de taux de mortalité par million d’habitants et « le système sanitaire effondré » aux dires de la porte-parole du ministère de la Santé, la saison estivale est particulièrement sombre pour le tourisme. Si les raisons de cette catastrophe sont multiples, les acteurs de ce secteur y ont leur part de responsabilité.

Les courbes parlent d’elles-mêmes. La première vague de Covid-19 en Tunisie a été une vaguelette. Alors que les pays voisins (au Maghreb et en Europe du Sud) bataillaient pour enrayer la spirale meurtrière provoquée par le virus, la Tunisie n’a déploré que 50 décès entre mars et août. La rapide fermeture des frontières, le confinement strict du printemps puis sa levée progressive ont largement contenu la contamination.

Réouverture des frontières fin juin 2020

La réouverture des frontières, à compter du 27 juin, n’a pas eu l’effet tant redouté d’une explosion des contaminations. Il a fallu attendre le début du mois de septembre pour revoir l’épidémie repartir. Cela dit, quelques erreurs ont accompagné le déconfinement du territoire national. Pour commencer, le système de classement des pays selon leur situation épidémique et l’adaptation des mesures (auto-confinement, test…) était efficace tant qu’il reposait sur des critères purement scientifiques. Mais des incohérences ont été observées. La plus notable était le passage de la Belgique du rouge (risque accru) au vert (épidémie maîtrisée) en l’espace d’une semaine. L’autre point était la dispense des voyageurs en provenance d’un pays vert de se soumettre à un test RT-PCR avant l’embarquement pour la Tunisie.

Interrogée à ce sujet, la porte-parole du ministère de la Santé, Nissaf Ben Alaya, a indiqué que cette décision est intervenue à la suite de pressions de professionnels du tourisme craignant que cela ne provoque des annulations de réservations.

Circuits Covid-19

L’autre décision prise par le gouvernement Fakhfakh et reconduite par celui de Mechichi concerne les circuits Covid. Les touristes ayant opté pour un séjour tout compris organisé par un voyagiste (tour-opérateur) sont dispensés de se faire tester et d’observer, le cas échéant, un isolement à l’hôtel. L’argument mis en avant, celui du non-brassage avec le reste de la population, est discutable. D’une part, les différents employés des unités touristiques, eux, sont au contact à la fois des touristes et de la population générale. Ensuite, quiconque s’est déjà rendu dans une station balnéaire sait qu’il est impossible de tracer les vacanciers. Là encore, le ministre du Tourisme de l’époque, Mohamed Ali Toumi, lui-même voyagiste, a pesé de tout son poids pour «sauver la saison».

Avec Hichem Mechichi, cette logique de sauvetage du secteur à n’importe quel prix s’est accentuée. Ainsi, en mai 2021, quand il s’est agi de remettre en place un confinement obligatoire pour les voyageurs en provenance de l’étranger, le gouvernement a libéralisé les prix (qui étaient encadrés sous Fakhfakh). C’est ainsi qu’on a vu un établissement situé aux Berges du Lac – au pied des pistes de l’aéroport de Tunis-Carthage – facturer 40 dinars par personne le transfert collectif des voyageurs. Là encore, les pertes potentielles du secteur étaient réclamées aux voyageurs dont certains venaient pour des motifs impérieux.

Soumission du gouvernement Mechichi

Fin mars, alors que le pays commençait à peine à voir décroitre une deuxième vague meurtrière, le ministère du Tourisme a ordonné la reprise des voyages organisés et la mise en place d’un protocole sanitaire pour les accompagner. Quelques jours plus tard, le ministre Habib Ammar et la porte-parole du ministère de la Santé, Nissaf Ben Alaya, s’étaient rendus en Russie afin de promouvoir la destination Tunisie. Un choix incompréhensible quand on sait qu’à l’époque, le pays était très en retard par rapport à ses principaux concurrents (Maroc, Italie, Grèce, Espagne) dans l’approvisionnement en vaccins.

Le secteur de la restauration, notamment touristique, a pris sa part dans le psychodrame autour du couvre-feu avancé durant le mois de Ramadan, obligeant le gouvernement à rétropédaler sur certaines mesures pour, in fine, arriver à l’explosion de la pandémie que nous connaissons en pleine saison estivale. Cela ne doit nullement disculper l’Exécutif qui n’a pas su prendre des mesures d’accompagnement pour les professionnels touchés par les restrictions sanitaires.

Quand le gouvernement a décidé, fin juin, d’interdire les déplacements inter-régionaux pour tenter de contenir la contamination dans certains gouvernorats, une exception a été prévue pour les touristes locaux et internationaux disposant d’une réservation d’hôtel. Des voyagistes ont sauté sur l’occasion pour transformer cette dérogation en argument marketing. Quand on se rend sur la page de la Fédération nationale du tourisme sur Facebook, on peut retrouver la déclaration d’un cadre de la Garde nationale rappelant cette règle. Cette décision arrachée à un gouvernement faible devant toutes les corporations puissantes, pose un problème de justice sociale dans la mesure où il accorde un privilège aux personnes ayant les moyens de payer une nuit d’hôtel.

Enfin, le corporatisme s’est également illustré dans le domaine de la vaccination. Ainsi, les travailleurs du secteur du tourisme ont été éligibles à l’administration du précieux sérum dès le mois de mai. En revanche, il aura fallu que les agents municipaux – y compris ceux chargés de l’inhumation des morts du Covid – patientent jusqu’à juillet pour que l’Exécutif les considèrent comme un public prioritaire.

Tous les gouvernements ont eu à résoudre l’équation consistant à arbitrer entre l’économie et la santé. La situation tunisienne – alliant un pouvoir faible, un Etat en quasi-faillite et des corporations puissantes – a trop souvent relégué les considérations économiques au second plan. En cédant aux injonctions des professionnels du tourisme pour « sauver la saison », le gouvernement a perdu sur les deux tableaux : la situation épidémique est hors de contrôle et la Tunisie a été mise au ban des destinations estivales.