L’affaire de la Banque franco-tunisienne connaît un énième rebondissement opposant son actionnaire majoritaire, la société ABCI Investments Limited, à l’Etat tunisien, qui la lui a confisquée. Une décision du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (Cirdi) est tombée le 21 novembre 2024. Mais le CIRDI et le chef du Contentieux de l’Etat tunisien la présentent différemment.
« Le partenariat maudit », de Houcine Ben Amor, écrit en collaboration avec la journaliste Bahija Belmabrouk, et présenté comme un travail d’investigation, tient un peu de l’enquête et beaucoup du réquisitoire. En choisissant d’occulter certains faits, les deux journalistes ont pris des libertés avec la vérité.
Deux documents dont Nawaat a pu prendre connaissance démontrent que sous le gouvernement Fakhfakh, l’Etat tunisien a reconnu sa responsabilité dans le litige l’opposant au sujet de la BFT à son actionnaire majoritaire, la société ABCI. Mais n’a pas pour autant changé de stratégie. Le feuilleton judiciaire se poursuit avec une audience aujourd’hui à Tunis.
Pendant deux ans, à partir de mai 2020, l’Etat tunisien et la société ABCI N.V. ont négocié pour trouver une solution à l’amiable au litige qui les oppose depuis quarante ans au sujet de la BFT. Après l’échec de ces tractations en décembre 2021, le CIRDI, saisi de cette affaire depuis 2004, a repris la procédure arbitrale qu’il avait suspendue pour donner une chance aux négociations.
Trois semaines après avoir officialisé la liquidation de la Banque Franco-Tunisienne et refusé, dans la foulée, une offre de la société ABCI N.V. de recapitaliser la banque à hauteur de 50 millions de dinars, les autorités ont écrit à l’actionnaire majoritaire pour lui demander son avis sur… la liquidation. Changement stratégique ou seulement manœuvre tactique ?
Le litige entre l’Etat tunisien et la société ABCI Investments N.V., actionnaire majoritaire de la Banque Franco-Tunisienne (BFT), n’est pas le premier à opposer notre pays à un investisseur étranger. Les dossiers du même type se sont succédé depuis les années 80 sous Bourguiba, en passant par l’ère Ben Ali. Et la Tunisie n’a pas fini de payer les pots cassés. Rétrospective.
Le 17 juillet 2017, l’Etat tunisien a été reconnu responsable d’expropriation illégale dans l’affaire de la Banque Franco-Tunisienne (BFT). Le verdict rendu par le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI), institution d’arbitrage de la Banque Mondiale, a eu l’effet d’un séisme. Entre les dommages et intérêts, et les créances irrécouvrables, les montants en jeu vont se compter en centaines de millions de dollars.
Youssef Chahed a pris tout le monde de court, la Banque Centrale en tête, en annonçant les intentions de son gouvernement de réorienter sa stratégie bancaire. Devant les étudiants de l’IPEST, il a déclaré samedi 14 Janvier : « Il faut se poser honnêtement la question : est-il nécessaire d’avoir trois banques publiques ». Sur quelle base le gouvernement a décidé cette réorientation stratégique ? Le comité chargé du pilotage des réformes des banques publiques n’a pas encore soumis son rapport, alors que la loi l’oblige à rendre compte de l’état d’avancement du programme de réforme devant l’Assemblée.
A partir de février 2016, Nawaat a publié une enquête exclusive sur la Banque Franco-Tunisienne, qui a apporté des preuves irréfutables de la collusion entre partis politiques et hommes d’affaires véreux. Youssef Chahed ne semble pas encore vouloir se saisir de ce dossier très complexe, trop explosif. Asma Shiri Laabidi, l’inamovible conseillère juridique du gouvernement, et dont le nom revient dans notre enquête, bénéficie depuis septembre d’une délégation de signature du chef du gouvernement dans les affaires juridiques. Mounir Klibi, acteur central du scandale de la BFT, est décédé le 28 décembre 2016. Il emporte une partie des secrets de ce dossier dans sa tombe.
Le FMI a beau jeu de souligner que « la lutte contre la corruption devrait rester au centre du programme des reformes » : après avoir fermé les yeux sur un audit de la STB qui ne prenait pas en compte le bilan de la BFT, il entérine une décision qui dédouane les responsables de la quasi-faillite des banques et fait peser les conséquences de leurs agissements frauduleux sur les Tunisiens.
Nawaat publie aujourd’hui un extrait de l’audit de la STB réalisé par PriceWaterhouseCooper (PwC) en novembre 2013. Cet extrait est issu du rapport d’évaluation du portefeuille-titres. Il s’agit des conclusions détaillées concernant la BFT.
Depuis la publication des deux volets de notre enquête, la liquidation de la BFT s’accélère de la manière la plus discrète qui soit. Avec comme toile de fond une guerre sans merci entre la STB, la BCT et le ministère des Finances pour savoir qui payera les pots cassés. Levée de rideau sur les dessous d’un dépeçage au service de la mafia économique.
Mardi 29 mars, la 4ème chambre du tribunal de première instance de Tunis est bien vide. Ni l’accusé, ni les plaignants ne sont présents. Pourtant il s’agit d’une affaire de malversation qui se joue dans les plus hautes sphères de la finance étatique. Le passif de la BFT, plus de sept cent millions de dinars de dettes prétendument irrécouvrables, est en jeu. L’équivalent du capital de la STB maison-mère de la BFT. Ni la STB, ni la Banque Centrale de Tunisie, ni le ministère des Finances, encore moins le ministère des Domaines de l’État n’ont jugé important d’être représentés ou de se constituer partie civile. Nawaat s’est procuré des documents inédits dévoilant les rouages de la corruption telle qu’elle se pratique dans les hautes sphères de la finance.
Aujourd’hui la BFT est une bombe à retardement qui risque de faire chanceler l’ensemble du secteur bancaire et dont personne ne sait plus comment se débarrasser. Problème : le minuteur se rapproche dangereusement de zéro. Et les responsables politiques et financiers de ce fiasco veulent étouffer l’affaire à n’importe quel prix.