Le 20 avril, Mohamed Meddeb remplace Habib Belaid à la tête de la radio nationale sur l’ordre du Premier ministère. Quatre mois plus tard, le 17 août, ce dernier annonce la nomination de Imen Bahroun au poste de PDG de la chaine nationale à la place de Adnen Khedhr. Ces nominations sont illégales. Selon M. Sami Ben Abderrahmen, juge au Tribunal administratif :

toutes les nominations des PDG des établissements publics de la communication audiovisuelle sont illégales. L’article 19 du Décret-Loi numéro 2011-116 du 2 novembre 2011 dispose que ces nominations sont faites sur avis conforme de la Haute Autorité Indépendante de la Communication Audiovisuelle (HAICA).

Car, il faut le savoir, le décret-loi 116 abroge systématiquement l’ancienne loi de 2007 que le gouvernement Jebali utilise actuellement à tort. Concernant la supposée “suspension” de ce décret-loi, le juge du tribunal administratif explique que certes :

Certains vous diront que ce décret-loi n’est pas activé. [Mais] le Droit ne connait pas ces notions d’activation ou de désactivation des lois. Il suffit qu’un texte soit publié au JORT pour qu’il devienne opposable non seulement aux citoyens mais aussi aux autorités publiques.

Les sympathisants du parti Ennahdha parlent de réformes. Ils estiment nécessaire de changer les directeurs des établissements publics et d’assainir le secteur des médias. Après avoir maintes fois annoncé qu’il n’y aurait pas d’ouverture des dossiers de la police politique ni de ceux des journalistes travaillant pour l’ancien régime, Lotfi Zitoun a finalement changé d’avis. Depuis plus de trois semaines, partout où il va, il menace de publier la liste noire des journalistes. Le vendredi 31 août, près de la Casbah emmurée par le Premier ministère par des cloisons peintes en noir et blanc avec des plantes cachant les fils de fer barbelé aux invités politiques, M.Zitoun, muni d’un mégaphone criait aux partisans de son parti

Vous êtes la Révolution, vous êtes l’avenir, on ne retournera pas au passé, non au retour des corrompus, aux criminels, cette manifestation est faite pour démontrer notre coupure avec le passé, attendez-vous à ce que le gouvernement Jebali réalise ses promesses et les buts de la Révolution. Toutes ces promesses seront réalisées avant les élections prochaines insh’Allah.

Néanmoins, loin des discours, la réalité est tout autre. Pour comprendre ces nominations illégales et la situation actuellement, il faut remonter l’historique d’une réforme des médias en Tunisie qui ne cesse d’être freinée par différents acteurs, qu’ils soient du gouvernement Jebali, des ex-thuriféraires de l’ancien régime de Ben Ali ou de la société civile elle-même qui a pourtant milité contre la dictature.

Au niveau du gouvernement Jebali, au lieu de recourir au décret-loi 115-116, il continue à utiliser la loi de 2007 qui a été abrogée. En conséquence, le processus de mise en place de la HAICA, institution en charge de la régulation du secteur audiovisuel, a été bloqué et ce à cause du Premier ministère qui donne comme raison le refus du Syndicat Tunisien des Dirigeants de Médias à accepter ces décrets-lois.

En effet, au niveau des thuriféraires de l’ancien régime, M. Mustapha Ben Letaief, -professeur de droit public à Tunis et membre de la Haute Instance pour la Réalisation des Objectifs de la Révolution qui a contribué à la rédaction du décret-loi 116-, explique que

Le lobby des deux chaînes de télévision privées [Hannibal TV de Arbi Nasra et Nesma TV- Nabil Karoui qui font partie du Syndicat Tunisien des Dirigeants de Médias], s’est plaint de ne pas avoir été consulté. En fait ces chaînes ont été écartées de manière logique par ce qu’elles avaient appelé clairement à ce que Ben Ali se représente en 2014

En outre, celui qui prétend vouloir assainir le secteur des médias en publiant la liste noire des journalistes, Lotfi Zitoun -Conseiller politique au Premier ministère, a organisé le 27 avril, en compagnie-chose absurde- de l’indicateur et propagandiste notoire Mohamed Hamdane et du ministre de la Justice Nourreddine Bhiri, une consultation nationale sur les médias. A cause de ce scandale, cette consultation a été fortement critiquée par la société civile, entre autres l’UGTT, le SNJT et l’INRIC.

Au niveau de la société civile, et bien qu’elle ait joué un rôle très important en refusant que des thuriféraires et plébiscitaires de Ben Ali contribuent à une pseudo-réforme des médias, elle semble quand même manquer de stratégie claire et de ressources.

Depuis la chute de Ben Ali, le SNJT, l’INRIC et l’UGTT ont beaucoup de tâches à remplir et de combats à relever jour après jour pour faire face au retour de la dictature et aider la justice à juger les propagandistes, censeurs et corrompus de l’ancien système. Ce travail gigantesque les poussent à combattre sur plusieurs fronts, ce qui entraîne la dispersion de beaucoup d’énergie en l’absence d’une méthodologie définissant les priorités. Car, il est important de signaler que malgré le fait que ces nominations des PDG des chaines et radios nationales soient illégales et bien que le décret-loi 116 ait été transgressé par le Premier ministère lui-même, aucune plainte ni du SNJT ni d’aucun autre parti de la société civile n’a été déposée auprès du Tribunal administratif.

Ainsi, pour la énième fois, la société civile contribue indirectement à ce système de non-droit en ne l’attaquant pas juridiquement. Au lieu de recourir aux mécanismes judiciaires, notamment au tribunal administratif, on continue à manifester, chose qui n’apporterait au mieux que des solutions provisoires si on ne fait pas appel à la loi et ce en faisant fonctionner la mécanique de la Justice.

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