Le tribunal de première instance de Menzel Bourguiba a décidé, aujourd’hui, d’ajourner son procès au 29 septembre, afin de visionner la pièce de théâtre et de recueillir des témoignages. Selon la défense, le verdict sera prononcé le 30 septembre.
Cinq secondes ont suffi pour déclencher des poursuites judiciaires contre le jeune Dhafer Ghrissa, doctorant en sciences criminelles et homme de théâtre. Son seul crime fut d’avoir passé un extrait de la chanson « El Boulissia Kleb » dans son one-man-show, présenté dans le cadre d’un festival local à Menzel Bourguiba.
Stationnée à côté de la maison de la jeunesse où je présentais mon spectacle, la police s’est vite mobilisée en grand nombre. En colère, les policiers sont intervenus en plein milieu de la scène. Ils ont interrompu le spectacle et m’ont conduit au poste pour un interrogatoire qui a duré quatre heures. Ils ont jugé intolérable la diffusion de « El Boulissia Kleb » qui, à leur sens, touche à l’honneur et au prestige de l’État. À mon avis, l’institution sécuritaire ne doit pas être au-dessus de la critique. Personne ne peut nier la nécessité d’une réforme de la police …
témoigne Dhafer qui a raflé les deux premiers prix décernés par le ministère de la Culture, dans le concours de « Monologue » à Menzel Bourguiba.
L’avocat de la défense, Oussama Helal, nous a déclaré que l’irruption de la police en plein spectacle est illégale. En effet, pour interrompre un spectacle artistique, il aurait fallu obtenir l’autorisation du procureur de la République. Ce qui n’était pas le cas.
En plus, la nouvelle Constitution garantit la liberté d’expression et la liberté de création artistique. Si des policiers interviennent directement pour censurer une œuvre d’art, comment pourrons-nous alors garantir la liberté d’expression dans l’enseignement, les médias et les espaces publics ? Le prétexte de la lutte contre le terrorisme ne doit pas être une carte blanche qui appuie la transgression de la loi. Au contraire, la loi est le seul sacré qui garantit la sécurité, le prestige de l’État et le respect des droits constitutionnels fondamentaux,
s’indigne Me Helal, interviewé ce matin devant le Tribunal de première instance de Bizerte.
Fathi Dridi, directeur de la maison de jeunes « Bayrem Tounsi », à Menzel Bourguiba, où l’intrusion policière a eu lieu, a expliqué qu’il s’agit « d’un malentendu, car Dhafer ne voulait pas insulter la police, mais seulement donner un avis sur une problématique qui anime encore la rue tunisienne. Il faut préciser que Dhafer n’a pas consacré toute la pièce à ce sujet. D’ailleurs, je ne savais pas qu’il allait passer cette chanson ou aborder ce sujet », s’étonne-t-il, avant de préciser qu’un rapport a été envoyé au ministère de la Culture pour qu’il réagisse dans l’urgence à l’intervention de la police dans le théâtre.
Contacté par Nawaat, le rappeur Weld el 15 a exprimé son soutien inconditionnel à Dhafer Ghrissa. Après sa libération, des policiers, non contents du verdict de la justice, se sont employés à annuler tous ses concerts en Tunisie.
Cet été, j’ai fait un seul concert à Carthage Land où un flic en civil a enregistré la totalité du spectacle par son téléphone pour s’assurer que je ne ferais aucune allusion à la chanson « Boulissia Kleb ». Plusieurs de mes concerts sont en train d’être annulés pour le même motif : des policiers menacent d’intervenir si je monte sur scène. Certains policiers se moquent du fait que je chante ou non la chanson en question. Ce qui leur importe est de m’interdire d’exister dans mon pays …
déplore Alaa, alias Weld el 15, avec amertume.
Aujourd’hui même, le Parlement Européen a sélectionné Alaa Yaccoubi alias Weld El 15 comme candidat au prestigieux prix Sakharov 2014 pour la liberté de l’esprit.
La chanson « Boulissia Kleb » qui heurte les sentiments des « gangs en uniforme » remet à l’ordre du jour les anciennes pratiques de Ben Ali, en soulevant plusieurs questions sur l’État de droit que nous prétendons bâtir, quatre ans après le départ du dictateur. L’acharnement de la police sur les artistes qui critiquent le système, l’injustice et la violence policière n’ont pas l’air de vouloir s’arrêter, surtout dans un contexte sécuritaire complexe et délicat. Après le rap, le graffiti et l’engagement de la société civile, la police s’acharne, à présent, sur le théâtre sous prétexte de protéger le prestige de l’État. Même en admettant que leur motivation soit sincère, il n’est pas acceptable d’adhérer à cette conception surannée du «prestige» qui nie les droits et les libertés pour lesquelles nous nous sommes battus et nous nous battrons encore.
L’abus de droit, l’humiliation, la brutalité… ces habitudes bien ancrées dans la mentalité de la police tunisienne, même si elles furent exacerbées sous Ben Ali, dataient déjà de l’ère Bourguiba. Comment changer les pratiques, la mentalité de cette institution qui est réellement toxique pour le peuple comme pour la République ?
Ou sont les pseudo juge et les tribunaux pour demandé des comptes aux policiers qui viole la lois. Quand aux ministeres celui ci laisse faire. Encore une preuve que la Tunisie est un état de non droits et que la loi existe que pour réprimé les plus faible