Juste pour rire (jaune), ce matin je suis réveillée d’humeur joyeuse : n’est-ce pas la journée de la femme ? En tant que femme Tunisienne et fière de l’être, je me prépare à la célébration de ce jour mémorable.

En feuilletant “le Temps” entre deux tartines, je tombe sur un article concernant justement mon pays. Aticle admiratif, élogieux, presque obséquieux. En effet, de quoi s’agit-il ? La sempiternelle litanie sur le statut de la femme en Tunisie et l’exemple progressiste de ce petit pays qui a su se tenir à l’abri des tendances islamistes partout dans l’air du temps dans les pays arabes, du Machriq au Maghrib.

J’y lis aussi que pour marquer son attachement aux valeurs d’ouverture et de progrès, le gouvernement tunisien interdit aux femmes de porter le hijab dans le domaine de la fonction publique. Quelle idée magnifique ! pourquoi ne s’en inspirerait-on pas ici en Europe où l’on peine à faire comprendre que les musulmans qui viennent chez nous doivent faire un effort d’adaptation en vue de leur intégration.

Et voilà ma journée qui aurait dû être festive, réduite à ressasser les colères à peine contenues.
Colère contre la Tunisie et contre l’Europe.

Contre la Tunisie qui croit que modernisme c’est renoncement à son identité. “Avancée” dans le domaine du statut de la femme, signifie régression dans le statut du citoyen. Bien que je ne sois pas voilée, je considère qu’il s’agit d’un choix personnel, l’expression d’une liberté fondamentale et constitutionnellement gatantie. Jusqu’à présent je ne pense pas être moins musulmane que mes consoeurs voilées, chacune fait un choix qui lui permet de vivre sa foi dans la sérénité. Mais il n’est pas dit qu’un jour je n’éprouve pas le même besoin de porter le hijab. Et ce jour-là, je tiens à ce que mon choix soit respecté, par ma famille et par mes concitoyens.

Parallèlement, et en matière d’avancée dans les droits de la femme, je ne peux que protester vigoureusement : ma soeur voulant me rendre visite et n’ayant aucun problème de visa, devait demander l’autorisation au père pour emmener ses enfants en vacances avec elle. Passablement fâchés, le mari refuse de donner son aval, mais refuse aussi obstinément de s’occuper de sa progéniture pendant les deux semaines projetées. Voyez un peu le dilemme : si elle part, ma soeur serait taxée de mauvaise mère abandonnant ses enfants, si elle reste, elle doit renoncer à des vacances tant désirées et qui lui aurait fait du bien. Quel progrès n’est-ce pas ?

En fait, en tant que femme tunisienne, j’ai le droit :


-  de me dénuder ;

-  de dépendre du bon vouloir de mon époux le jour où j’aurais des enfants

-  d’applaudir “vive Ben Ali” et “vive Leïla” le 13 août ;

-  d’accepter des conditions de travail largement plus avantageuses aux hommes ;

-  de devoir mes avancements à la mise en exergue de ma “féminité” ;

-  de me battre pour la garde de mes enfants en cas de divorce ;

-  d’accepter d’être défavorisée en matière d’héritage.

Ma colère contre l’europe, c’est de segmenter les droits humains et faire du statut de la femme une référence en terme de développement ou de démocratie ; oubliant volontiers de n’y voir que de la poudre aux yeux. Mais quand on est myope ou aveugle, la poudre aux yeux n’est même plus nécessaire.

Et voilà comment aujourd’hui, la Tunisie avec ses plages de sable fin, son couscous, ses oasis et son code du statut personnel, est devenue le flambeau du modernisme arabe et la destination favorite des maffieux, des criminels et un haut lieu du tourisme sexuel.

Alyssa,

Forum Taht Essour, le 15 août 2006.