« Travail ! Liberté ! Dignité ! » On se rappelle tous que tout a commencé à cause des problèmes économiques de notre petit pays, un pays qui affichait un taux de croissance de 3,5% en pleine crise financière et mondiale, basé sur un tourisme bas de gamme, d’industries légères et d’un bon niveau de consommation intérieure, mais qui souffrait de déséquilibre régionaux avec plus de 25% de chômage dans le sud et le centre ouest, de la perte de pouvoir d’achat pour la classe moyenne, de corruption du milieu des affaires, d’une adéquation entre le marché du travail et ses milliers de diplômés mal formés qui s’entassaient dans les cafés…

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Le legs de la révolution

L’année 2011 fut difficile pour les gouvernements de transition, avec une légitimité politique quasi-nulle, la guerre en Lybie, les troubles sécuritaires et les revendications sociales pressantes…

On s’attendait au pire avec une récession de 7,8% et un taux de chômage de 19% et de 42% pour les jeunes au 1er trimestre 2011, mais la politique de relance de l’état (subventions pour les matières de bases, indemnités de chômage, augmentation salariale du secteur public…) a permis de limiter la récession à 1,8% et l’inflation à 4.1%.

Les effets de ces mesures, outre le fait qu’elles aient creusé le déficit (3.7% en 2011, contre 1.5% en 2010), étaient aussi provisoires que ce gouvernement qui avait néanmoins réussi à limiter les dégâts et à maitriser la situation sécuritaire le temps de passer le pouvoir à un gouvernement élu.

Entre temps, la surenchère électorale était de mise, et chaque parti promettait monts et merveilles. Le parti Ennahdha proposait par exemple :

-Un taux de croissance du PIB de 7% pour les années 2012-2016
-La création de 590 000 emplois
-Une inflation de 3% pour 2016

Loi de finances, on reprend les mêmes formules, pour le même résultat ?

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Après les élections, le premier test économique de la Troika au pouvoir était la loi de finances, et le fait de proposer une première version préparée par le gouvernement Essebsi, faisait un peu brouillon et mettait au grand jour l’incompétence, ou du moins la non-préparation, de ces novices à mener les affaires du pays alors que tous les indicateurs viraient au rouge.

La loi complémentaire, adoptée en mars, entérine une hausse de plus de 21,6% des dépenses de l’état et un doublement du déficit budgétaire par rapport à 2011. Les mesures phares sont la création de 25 000 postes d’emplois dans le secteur public, des avantages fiscaux pour l’investissement dans les zones défavorisées, des mesures d’incitation pour la régularisation des situations fiscales, des augmentations de taxes (carburant, télécom, tabac, alcool…). Tout ceci en misant sur des prévisions assez optimistes de 3,5% de taux de croissance et un taux de change DT/USD de 1,5.

Mais ce qui ressort de cette loi, c’est l’absence d’un renouveau post-révolutionnaire, tant elle ressemble à ce que nous a habitué l’ancien régime. En d’autres mots, un ensemble de mesures sans cohérence ni objectif clair. D’ailleurs les commentaires de divers experts et de l’opposition sont très durs.

On ressent surtout l’absence d’une stratégie qui tend à réformer le paysage économique à long terme pour répondre aux réels problèmes de la Tunisie. Sans stratégie claire et tenant compte de nos ressources limitées, on ne peut que s’égarer et gaspiller.
Ceci est peut être dû au caractère provisoire de ce gouvernement qui pense déjà aux prochaines échéances électorales.

Climat économique et social

Si l’on doit être critique envers ce gouvernement, c’est sur ce point, avec une situation sécuritaire encore très instable : arrêt des cours à la Mannouba pendant plus d’un mois, couvre feu en juin après l’épiphénomène Al-Abdelia, L’attaque de l’ambassade des Etats-Unis et des divers festivals culturels…

En résumé, des salafistes qui prônent la violence et qui font peur tant aux citoyens lambdas, qu’aux investisseurs nationaux et internationaux, et des forces de l’ordre qui paraissent impuissantes face à ce phénomène, s’agit-il de manque de capacités ou de volonté politique?

On penchera plus vers la seconde hypothèse quand on se rappelle les discours des leaders islamistes et surtout de la fameuse vidéo de R. Gannouchi.

Les régions déshéritées, qui ne voient pas le bout du tunnel, et dont la situation s’est aggravée entre stagnation du chômage, inflation galopante, inondations en hiver et coupures d’eau pendant l’été, crient leur révolte contre la Troika et deviennent difficiles à gouverner.

Les troubles au niveau du bassin minier, ont fait que le Groupe Chimique, première entreprise en termes de capital dans le pays a connu une baisse de la production de 50%. Néanmoins la situation s’améliore lentement, surtout grâce à des prix en hausse au niveau mondial.

La contrebande, qui est devenue un phénomène de grande ampleur, nuit particulièrement au secteur pharmaceutique, de la distribution des hydrocarbures et à l’industrie métallurgique (-50% de production par rapport à 2010) .

Ce problème, mal chiffré malheureusement, participe à l’envolée des prix et au creusement des déficits puisque les matières exportées sont subventionnées et que les bénéfices engendrés ne sont pas taxés.

La crise en Europe, notre premier partenaire commercial, constitue un frein aux industries exportatrices, aux investissements directs étrangers et au tourisme.

L’augmentation des prix des céréales au niveau mondial (+30% pour le mais et 75% pour le soja), a frappé de plein fouet toute la filière de production laitière puisque les céréales représentent environ 40% des coûts pour les éleveurs, l’état a finalement consenti à une augmentation des prix.

L’inflation a atteint 5,6% en septembre, avec des taux de 7,5% pour l’alimentation, de 18,2% pour le tabac et 7,8% pour l’enseignement et la restauration, ce qui détériore le pouvoir d’achat des citoyens.

Malgré un taux de chômage effrayant, les industriels annoncent qu’il y a un manque de main d’œuvre estimé à 120 000 postes, spécialement dans le secteur textile et de la construction, ce qui démontre une inadéquation entre l’offre et la demande sur le marché du travail.

Malgré ce constat amer, la banque mondiale table sur une croissance de 2,4% pour 2012 portée par une bonne saison touristique et agricole, la consommation intérieure boostée par la consommation des libyens présents en Tunisie et la politique de relance de l’état.

Limogeage de M.K. Nabli, démission de H.Dimessi

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Le 27 juin, le Président Marzouki décide de limoger M.K Nabli, Gouverneur de la Banque Centrale depuis le gouvernement Gannouchi, dont la compétence est reconnue mondialement. La décision passait pour un marchandage politique après l’affaire Bagdhadi et nos partenaires étrangers s’inquiétaient pour l’indépendance de la Banque Centrale et pour le risque de la mise en marche de la planche à billet. Chedli Ayari est nommé nouveau gouverneur.

Un mois plus tard, le Ministre des Finances Houcine Dimessi, un des rares indépendants du gouvernement, démissionne en expliquant cette décision par l’arbitraire du gouvernement, le danger concernant les finances de l’état, son désaccord pour l’affaire Nabli et surtout son refus du projet de loi concernant l’indemnisation des personnes ayant bénéficié de l’amnistie générale.

Baisse des notations des agences internationales

La conséquence logique de cette année est la baisse de la notation de 2 crans de la Tunisie par l’agence Standard & Poor’s en Mai, la reléguant dans la catégorie des emprunteurs spéculatifs.

L’agence s’acharne, puisque le 24 septembre, elle relègue le système bancaire tunisien à la catégorie très risquée (8/10 notation BIRCA) et rejoint ainsi des pays comme le Nigeria et le Kazakhstan.

La Tunisie disparait du classement Davos sur la compétitivité alors qu’elle était classée 40ème sur 142 pays en 2011. Officiellement, dû à un changement structurel des données, mais les experts s’inquiètent quant à une baisse remarquable de notre classement pour les prochaines années.

Sans baisser sa note, Fitch Ratings insiste que la situation est très difficile et baisse ses prévisions de croissances pour 2012 et 2013.

Banqueroute?

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S&P et le FMI, avec un rapport qui fait froid dans le dos, s’inquiètent fortement concernant le secteur bancaire tunisien, surtout que l’état n’a pas beaucoup de marge de manœuvre budgétaire pour venir en aide aux banques sinistrées par des créances en souffrance dépassant 19% de leur portefeuille de crédit .

La situation économique et les crédits contractées par l’ex-« famille régnante », qui sont évaluées à 7 milliards de Dinars uniquement pour les banques publiques, rend quasiment toutes les banques dépendantes des liquidités contractées auprès de la Banque Centrale.

Cette situation fait craindre un resserrement du crédit et donc une contraction de l’activité, surtout que le déficit commercial atteint des sommets dû à une augmentation des importations de 14,6% et seulement 3% pour les exportations ce qui a fait passer le taux de couverture des exportations par les importations à 71% (78.4% en 2011).

Ceci explique la fonte des réserves en devise à 95 jours en avril 2012 mais l’apport de prêts contractés en novembre les porteront à 120 jours ce qui reste encore critique tant que le déficit commercial ne sera pas résorbé.

Ce qui est inquiétant, c’est le risque de rentrer dans un cercle vicieux, baisse du crédit, baisse des investissements, baisse de la consommation, baisse de l’activité, augmentation du chômage, baisse du PIB. Si nous ne voulons pas que cette révolution tourne au cauchemar, il faut, de toute urgence, remédier à cela.