En février 2011 une guerre commençait en Libye entre les partisans du dirigeant au pouvoir depuis plus de 40 ans, le colonel Kadhafi et les troupes rebelles. Ces affrontements, qui ont duré des mois, ont eu pour conséquence un exode massif de population. Si les Libyens qui ont fuit le pays avaient pour la plupart suffisamment de ressources pour se loger ailleurs, les nombreux travailleurs étrangers n’étaient pas dans le même cas. L’afflux de population à la frontière tuniso-libyenne a nécessité l’ouverture d’un camp à Choucha, prés de la ville frontière de Ben Guerdane, au sud de l’île de Djerba. Alors que la plupart des migrants qui y ont trouvé refuge sont rentrés chez eux, d’autres ne l’ont pas quitté. Le camp doit normalement fermer durant l’année 2013 et bon nombre des quelques migrants encore présents, passent leur journée comme ils peuvent dans un café de fortune, en attendant de partir s’installer dans un pays d’accueil, pour ceux qui ont obtenu le statut de réfugié ou de trouver une solution, pour ceux qui sont demandeurs d’asile déboutés.

Quand on arrive aux abords du camp de Choucha, on voit d’abord, en contre bas sur la droite de la route, des tâches à peine plus claires que le sol du désert. Ce sont les tentes blanches qui abritent les migrants. Le périmètre du camp n’a pas vraiment l’air grillagé, des monticules de sable font office de barrières. Rien ne laisse deviner qu’il y a de la vie par ici.

En se rapprochant on trouve pas très loin de « la porte d’entrée » du camp, au bord de la route, de grandes cabanes montées avec les moyens du bord. Ce sont les cafés du coin, qui accueillent les migrants quand le temps est trop long à l’intérieur de leur tente triste. « ça fait longtemps qu’ils ont ouverts, témoigne un chauffeur de louage, ce sont des familles de Ben Guerdane qui gèrent ça. Il y avait beaucoup de migrants qui travaillaient dedans. Ils vendaient des cigarettes, des cartes téléphoniques, des sandwichs… » C’est bien connu, les cafés sont des lieux de brassage. Ici c’est encore plus visible qu’ailleurs. Les migrants sont le plus gros de la clientèle, mais les travailleurs des ONGs qui gèrent le camp, les militaires qui assurent la sécurité des lieux ou encore les chauffeurs de louage qui font la navette entre le camp et Ben Guerdane, y passent aussi un peu de temps. Pas de la même façon, pas pour les mêmes raisons. Si les Tunisiens y viennent simplement pour prendre un café ou acheter une bouteille d’eau, les migrants trouvent dans ce lieu une échappatoire essentielle.

Le café lieu de détente

Ces cafés sont des lieux de rencontre, des lieux de repos. Ils sont posés à l’extérieur du camp, ils ne sont pas soumis à ses règles, mais ils sont là, tout contre lui et les migrants rapportent avec eux toute la tension et toute la misère qui font leurs journées. Ils n’ont pas forcément les moyens d’aller ailleurs, d’aller faire un tour à Ben Guerdane, la ville la plus proche, et n’ont pas envie non plus d’être observés, alors ils restent là, dans ces cabanes au bord de la route.

Le premier café de la rangée à l’air de faire l’unanimité. L’accueil est plus chaleureux, expliquent les migrants. L’ambiance, en tout cas, y est morose. Il suffit de passer le seuil du cabanon pour le constater. Des migrants sont installés, visage sombre, sur des chaises en plastique et regardent la télévision. Deux écrans diffusent des chaînes différentes. D’un côté un JT balance des images de la guerre en Syrie pendant qu’à l’opposé de la salle, sur le second écran, un match de foot finit et laisse place à un film. Cette télé-là a plus de succès à cette heure-ci. Qui a envie d’informations tristes en pleine journée alors que la vie est déjà rude ?

Le café n’a pas vraiment d’horaire, ce n’est pas un café comme les autres. « A partir de 4h du matin les gens sont déjà là. Nous n’avons rien à faire alors on y vient. C’est un lieu de causerie. Il y en a qui viennent pour attendre le bus pour aller au boulot, de bon matin et il y en a qui y passent leur journée » explique Mariko*, originaire d’Afrique de l’ouest. La journée est rythmée, comme dans n’importe quel café, par les allers et venus des clients. Le rush du matin laisse place à un temps plus long, qui s’étire en cours de journée. Ce café c’est un peu comme une image de leur vie : il y a ceux qui partent et ceux qui restent, ceux qui savent et ceux qui espèrent. Toute la journée ceux qui restent espèrent l’annonce de leur départ prochain ou une solution miracle à leurs problèmes. De toute façon la journée touchera à sa fin, l’incertitude avec, le camp va fermer dans quelques mois, tous les migrants devront quitter Choucha. Mais en attendant la fin ils traversent des journées vides au temps élastique.

Il est 13h, un groupe d’homme passe la porte et se dirige vers le comptoir. L’un d’entre eux s’avance et commande, en arabe, deux cafés au lait. Derrière le comptoir Oussema, jeune tunisien de Ben Guerdane, attrape des gobelets et prépare les cafés. Oussema a vingt ans. Avant de travailler prés du camp il n’avait aucune idée de la vie des réfugiés et de la vie dans un camp. Il n’imaginait même pas que l’on puisse vivre ainsi, dans des tentes battues par le vent, qui apporte chaque jour avec lui encore plus de sable. Oussema ne connaît pas tous les migrants. Tous ne viennent pas, faute de moyen. Mais ses clients sont des fidèles car dans ce café on sert généreusement : « Je remplis le verre de lait, jusqu’en haut ! » Quelques millilitres en plus, presque rien, mais un geste.

Dans le café les hommes travaillent à tour de rôle. Oussema travaille en journée. Quand il finit, en fin de journée, un collègue le remplace pour toute la nuit. Crédit image : Sana Sbouai - www.nawaat.org

Dans ce café les migrants essaient de faire passer le temps et d’oublier la rudesse de leur vie. « C’est un café qui nous arrange, il est bienvenu. Quand nous sommes arrivés en 2011 il n’y avait rien. Or nous sommes très stressés à cause de la vie dans le camp. Ce café nous a permis, au fil du temps, de faire connaissance entre les communautés, il nous permet de nous rencontrer. Quand on s’ennuie on vient ici, ça nous permet d’oublier un peu nos problème » exlique Mariko. Lui il s’ennuie toute la journée. Il n’a pas d’autre solution que rentrer dans son pays d’origine car sa demande de statut de réfugié a été rejetée. Mais il refuse le retour au pays, expliquant y craindre pour sa vie. Alors il vient au café et passe sa journée devant la télé. Mariko a appris l’arabe sur le tas et arrive à communiquer avec les Tunisiens et les migrants des pays non francophones. Il passe le temps assis sur des chaises bancales, dans un lieu dont l’atmosphère rappelle celle d’une salle d’attente. On est mal assis sur ces chaises, rien ne vous invite à rester et de toute façon il faudra partir. Les migrants qui ont obtenu le statut de réfugié et qui doivent partir dans un autre pays attendent l’annonce du jour de leur départ avec une impatience qui les ronge. Ce passage c’est une pause forcée dans leur vie. Il y a peu de rire ou de sourire par ici. De temps en temps les chauffeurs de louage, selon les liens qu’ils ont avec les habitants du camp, échangent quelques mots avec eux, mais c’est surtout les plus jeunes qui se mêlent sans complexe, les plus âgés préférant rester dehors. La télé hypnotise la plupart des clients qui ont l’air de somnoler. Idrissa lui passe sa journée dans le café, il y vend des cigarettes. Il connaît tous les habitants du camp maintenant qu’ils ne sont plus si nombreux. « Il y a de plus en plus de personnes déprimées. C’est normal c’est fatiguant d’attendre comme ça pendant des mois. Plus d’un an et demi pour certains maintenant ! On n’a pas tous de solution, on se demande ce qui va arriver… » Et quand il parle de déprime Idrissa tourne sont index contre sa tempe. On le sent, on le voit. Les dos sont voûtés, les visages graves, tous les migrants assis dans le café ont l’air léthargique, comme s’ils s’étaient mis en pause pour survivre à ces conditions de vie défavorables , comme s’ils ne voulaient plus réaliser ce qu’ils sont en train de vivre.

La télévision, comme le stand de cigarettes de Idrissa, est installée sur un présentoir fabriqué avec du matériel de récup. Crédit image : Sana Sbouai - www.nawaat.org

Dans le camp il y a bien un centre communal où les migrants peuvent lire, jouer de la musique, se retrouver, jouer au billard ou au ping-pong ou encore faire de la couture, mais les cafés attirent bien plus. « C’est un lieu détente pour nous. On regarde les matchs de foot par exemple. On y a même regardé les élections américaines! C’est un lieu de rencontre et d’échange » raconte Mariko.

Le café lieu de mélange

Peu de migrants veulent parler, fatigués qu’ils sont des journalistes de passage qui s’emparent sans pudeur de leur misère pour la balancer aux yeux de tous. L’ambiance est tendue, lourde. Les différences créent des barrières invisibles : les membres de chaque communauté se regroupent entre eux, mais les groupes se fissurent autour des statuts.

Avec les départs de beaucoup d’entre eux vers des pays d’accueil ils ne sont plus si nombreux à vivre au camp. Il reste un peu moins de 1800 migrants à Choucha. Parmi eux environ 200 n’ont pas obtenu le statut de réfugié, ils sont les demandeurs d’asile dont les dossiers ont été rejetés en instance finale par le Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (UNHCR). N’ayant pas obtenu le statut de réfugiés ces migrants doivent normalement rentrer dans leur pays d’origine, la Libye étant encore trop instable pour qu’ils retournent y travailler. Car la plupart des migrants arrivés de Libye sont de jeunes hommes seuls qui travaillaient en Libye et qui souffrent de l’attente et de l’inactivité.

Les autres migrants présents dans le camp ont tous obtenu le statut de réfugié, c’est à dire qu’ils sont sous la protection du UNHCR car ils sont en danger. En effet d’après la définition de l’ONU un réfugié est une personne qui craint « avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner. »

La plupart de ces réfugiés attendent simplement un billet d’avion pour aller s’installer dans un pays d’accueil. Mais on compte tout de même 400 réfugiés sans pays d’accueil. Ils sont arrivés trop tard pour bénéficier du programme de réinstallation, le nombre de place offerts par les pays étrangers étant limité ou ils ne correspondaient pas aux critères posés pas les pays.

Ces réfugiés n’ont pas d’autre choix que de s’installer en Tunisie. Mais l’avenir n’est pas assurée. Aucune législation n’encadrant le statut de réfugié en Tunisie il est possible que les engagements du gouvernement d’aujourd’hui ne soient pas tenus par le gouvernement de demain. En effet la Tunisie a signé la Convention de 1951 mais n’a jamais adopté de législation concernant l’asile. En l’absence d’une procédure nationale, c’est donc le UNHCR, installé dans le pays depuis la fin des années 50, qui se charge de déterminer du statut des réfugiés et des demandeurs d’asile en Tunisie.

En attendant que leur situation s’éclaircisse certains migrants travaillent comme journaliers et la plupart de ceux qui sortent passent dans l’un des cafés. Jo* a obtenu le statut de réfugié, mais il n’y a pas de pays d’accueil pour lui. Il avait fuit son pays d’Afrique centrale car il était esclave de la famille au pouvoir chez lui. Arrivé en Libye il a travaillé pour pouvoir subvenir à ses besoins. La guerre a éclaté et l’a obligée à fuir, encore. Arrivé en Tunisie il a obtenu le statut de réfugié. Mais il n’a pas été retenu pour être réinstallé dans un pays d’accueil. Il doit donc rester en Tunisie. Mais il explique que durant les mois passés il a eu de mauvaises expériences qui ne lui donnent pas envie de rester sur place : entre l’incendie du camp, les affrontements avec la population locale en octobre 2011, les journées de travail qu’il a effectué en ville mais qui ne lui ont pas été payées et la méfiance des Tunisiens à l’égard des migrants, difficile de se sentir à l’aise et bienvenu.

Mais Jo n’est pas le plus à plaindre. Il s’occupe comme il peut, travaille un peu et ne passe pas sa vie au café à attendre et essayer de trouver une échappatoire, il sait qu’il sera pris en charge, son attente aura une fin. Idrissa* lui n’est pas dans ce cas. Le statut de réfugié lui a été refusé, il devrait rentrer dans son pays d’origine en Afrique de l’ouest mais il dit y craindre pour sa vie, comme Mariko. Il fait partie de ces 200 personnes à l’avenir incertain et qui entament, doucement, un bras de fer avec les autorités. Lui et ses compatriotes, déboutés comme lui, resteront dans le camp jusqu’à ce qu’on leur propose une solution de réinstallation explique-t-il. Ils savent que le camp va fermer dans le courant de l’année 2013, puisque les migrants qui y vivent ne sont plus si nombreux et qu’il va donc falloir trouver une solution à leur situation. En tout il y a donc environ 200 migrants demandeurs d’asile déboutés et environ 400 réfugiés sans pays d’accueil. Environ 600 personnes au total pour lesquelles il faut trouver une solution.

Le café lieu de travail

En attendant de savoir où aller Idrissa vend des cigarettes à l’unité dans le café. Il a posé plusieurs cartouches sur un promontoire système-D : une boite en carton entourée d’une bâche bleue. Il est là, assis, à quelques mètres de son stand de fortune et il regarde la télé, comme les autres, comme tous ceux qui attendent, toute la journée. Sa situation le démoralise, l’attente le démoralise, la précarité le démoralise. Les migrants achètent une cigarette le matin en partant au travail, les travailleurs tunisiens achètent quand ils passent. « Est-ce qu’on peut même appeler ça travailler ? Les habitants du camp n’ont pas d’argent. Ils achètent une cigarette quand il peuvent » raconte Idrissa. Une cigarette qu’ils fument recroquevillés sur eux-même dans un coin du café. En fait le stand d’Idrissa ressemble plutôt à un déversoir de monnaie inutile : il accumule les pièces de 10 et 20 millimes, des pièces que les commerçants tunisiens refusent de lui prendre quand il veut payer avec.

Idrissa et ses compatriotes, qui habitent dans la même tente, se sont cotisés pour acheter un réchaud en ville, pour pouvoir cuisiner la nourriture distribuée par le UNHCHR. Crédit image : Sana Sbouai - www.nawaat.org

Au vu de sa situation on se demande ce qu’Idrissa attend encore. Gagner 5 ou 6 dinars par jour lui permet de vivoter. Surtout que depuis que la cuisine du camp a fermé et que le UNHCR ne distribue plus que de la nourriture sèche (couscous, pâtes, huile, sauce tomate…) Idrissa et ses amis ont du mal à se nourrir. Ils racontent tous que les colis de nourriture sont restés intactes prés de la porte de sa tente. « Avec quoi allons-nous les cuisiner ? » Le terme de camp 5 étoiles fait sourire : chaque tente a tiré des câbles électriques jusqu’à elle, mais il n’y a ni gaz ni eau courante. Et l’image de ces migrants coincés dans leur tente en train d’essayer de cuisiner des pâtes alors que le vent emporte tout, dérange. Un peu plus tard dans la journée un collègue d’Idrissa reviendra tout de même de Ben Guerdane avec un réchaud et des baguettes à la main. L’estomac n’attend pas, il exige une réponse immédiate.

Et quand le courage manque pour se mettre à la cuisine le café prend le relais. Parce qu’il sert aussi à ça le café : à éviter de payer 3 dinars pour aller en ville chercher un sandwich. Jusqu’à présent le trajet aller-retour en louage coûtait 2 dinars. Avec la fermeture de la cuisine et donc la diminution du nombres de voyageurs en direction du camp, les Tunisiens travaillant en cuisine n’étant plus présents, le prix du voyage a augmenté de 500 millimes. Hors de prix pour beaucoup. Mariko et Idrissa se plaignent de la situation mais sont fatalistes : « Nous sommes dans la main de Dieu, déclare Mariko, c’est lui qui nous sortira de là. » Et si ce n’est pas lui ce sera la fermeture du camp qui les poussera à partir. Combien de temps peut-on garder la tête froide quand on attend, coincé dans un lieu où l’on ne veut pas être, mais que l’on ne peut quitter faute de moyens ? Combien de temps garde-t-on la tête froide quand on a été débouté et que l’on voit les autres partir, pris en charge, accompagnés ?

Oui les plus démunis et les plus faibles sont prioritaires mais chacun considère toujours qu’il mérite plus que l’autre. Chacun veut voir sa situation s’améliorer et arrêter d’attendre.

Le café lieu de passage

Il est 16 h, devant la porte du café des louages se garent et laissent descendre des migrants qui travaillent à Ben Guerdane. Sur la route, les voitures passent à toute allure, en direction de la frontière libyenne. Le long du chemin qui mène à Ben Guerdane les kiosque improvisés de change et les bidons de plastique empilés pour la vente d’essence de contrebande mettent dans l’ambiance : le coin est spécial. Les barrages successifs de la garde nationale, de la police et de la douane vous le rappellent.

En attendant les voyageurs les chauffeurs de louage, qui ont installé leur véhicule devant le café, se reposent et discutent.
En attendant les voyageurs les chauffeurs de louage, qui ont installé leur véhicule devant le café, se reposent et discutent. Crédit image : Sana Sbouai - www.nawaat.org

La camp de Choucha n’est qu’à quelques kilomètres de la frontière avec la Libye, plus vraiment dans le monde, déjà dans le désert, un peu perdu hors du temps. Si ce n’était le départ des travailleurs de bon matin et leur retour en fin d’après-midi peut-être qu’il serait impossible de faire la différence entre l’aube et le crépuscule. S’il n’y avait pas autant de passage peut-être que les migrants penseraient moins à ceux qui partent et au fait que eux restent.

Un jeune homme au visage de bébé entre dans le café, clefs à la main. Il rejoint Oussema derrière le comptoir pour prendre un café avant d’aller s’approvisionner en cigarettes au stand d’Idrissa. D’un signe de tête, sans même se lever, Idrissa acquiesce, quand Atir dépose quelques pièces pour régler son dû.

Atir a 22 ans, il est originaire de Ben Guerdane et conduit un taxi. Lui aussi, comme son ami Oussema, n’avait aucune idée du sort des réfugiés. Alors forcément voir des gens dans cette situation fait écho, dans une région où de nombreux jeunes sont partis clandestinement à bord de bateaux de fortune. Oussema et Atir ne veulent pas partir. Mais ils ont des amis qui ont fait le voyage. C’est peut-être parce qu’ils voient ces migrants seuls et qu’ils pensent à leur amis, qu’ils ont tissé des liens avec les migrants présents toute la journée au café. Oussema et Atir connaissent, sans avoir eu à partir, la solitude du voyageur.

Le louage d’Atir est arrivé plein de migrants qui travaillent comme journaliers. Il repartira sans doute à vide ou il attendra que des bénévoles Tunisiens quittent le camp. Des bénévoles qui passeront sans doute par le café pour dire bonjour ou prendre à boire avant de rentrer chez eux.

Les habitants du camp, eux, continueront leur vie d’attente. Certains d’entre eux resteront là à regarder la télé jusqu’à 1h du matin, serrés les uns contre les autres et essayant de s’abriter du vent derrière les planches de contre-plaqué.

Idrissa restera là jusqu’au bout de la nuit. Peut-être réfléchira-t-il encore à sa situation. Comme Mariko il pense que les choses ne dépendent pas de lui : « Ce que Dieu fait, il le fait pour une raison. » et en finissant cette phrase il penche sa tête et cache ses yeux dans le creux de sa main, comme si il ne voulait plus voir ce que Dieu fait, en attendant de comprendre la raison.

*pour préserver la sécurité des personnes interviewées les prénoms ont été modifiés et les pays n’ont pas été précisés.