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Zarzis est une ville étrange, une région de passants qui représente bien l’injustice des frontières. De nombreux touristes séjournent dans ses hôtels, beaucoup sont, hors saison, des retraités européens qui y restent pour de longues semaines, profitant de la clémence du temps. La ville est aussi connue pour avoir été un point de départ important pour de nombreux harragas (voyageurs clandestins) après le 14 Janvier. Et à une heure de route environ le camp de Choucha a ouvert ses portes aux migrants fuyant la guerre en Libye.

Chaque jour le choc des mondes à lieu dans cette ville, dans ses hôtels. L’incompréhension et le non mélange des cultures écartent les gens qui se regardent, chacun planté dans son coin. Se regardent-ils vraiment d’ailleurs ? Sinon comment expliquer l’incompréhension de certains touristes face à l’envie de jeunes Tunisiens de partir, coûte que coûte, à bord d’embarcations de fortune qui prendront peut-être tellement l’eau qu’elles finiront par couler ?

Et si les migrants ne sombrent pas ils seront peut-être stoppés en mer, par des frontières et ceux qui y travaillent, régulant les entrées et sorties de territoire. Des barrières évidentes, que les harragas évitent en partant la nuit. Mais en plus des gardes frontières en Tunisie et en Italie les harragas peuvent aussi être contrôlés par des gardes maritimes “européens” lors d’opération de l’agence Frontex. Car depuis 2007, les gardes frontières maritimes travaillant pour Frontex, l’agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des États membres de l’Union européenne.

L’agence s’occupe d’aider les pays membres de l’UE à appliquer les règles de la communauté européenne en rapport avec les frontières et travaille à la coordination des actions de gestion de ces frontières. Son budget provient d’une subvention de l’UE. Frontex est donc un “outil” de contrôle des frontières de l’UE.

FRONTEX est une agence dont les actions les plus visibles consistent à empêcher les embarcations à entrer dans les eaux de l’UE et si possible, à les renvoyer vers leurs points de départ en Afrique du Nord ou de l’Ouest, selon les explications de Judith Kumin, dans son article « Contrôler versus protection : les réfugiés, les migrants et l’union européenne » en 2007 dans le journal Réfugiés de l’UNHCR.

Et cette question de la restriction de la circulation et du refoulement qui en découle pose directement problème aux populations étrangères à l’espace de l’UE. Des restrictions liées à la politique de visa des pays européens. Si les jeunes Tunisiens partent de manière illégale ce n’est du fait de leur incapacité à payer un billet d’avion, le passage en mer n’étant pas gratuit, s’ils partent ainsi c’est qu’aucune autre possibilité ne leur est offerte.

Depuis 2007 un réseau de patrouille maritime a été mis en place par l’agence de surveillance Frontex. Le contrôle des migrations en mer se fait par une surveillance aérienne, via des avions qui préviennent des équipes maritimes.

En 2011 l’opération Hermés de l’agence Frontex a été mise en place afin de surveiller la Méditerranée entre l’Italie et la Tunisie. Cette année là, près de 28 000 migrants tunisiens ont été repérés aux frontières extérieures de l’Europe soit par les autorités italiennes soit lors de l’opération Hermès, selon le département presse de Frontex. Les migrants interceptés sont amenés dans le pays qui dirige l’opération et à qui Frontex vient en aide, en l’occurrence l’Italie, toujours d’après le département presse de l’agence.

Pour cette opération deux bateaux, quatre avions et deux hélicoptères ainsi qu’une trentaine d’experts ont été mobilisés : France, Espagne, Belgique, Portugal, Allemagne, Autriche, Pays-Bas, Roumanie, Malte, Suède, Suisse. L’Italie a fourni des moyens navals et aériens. Le reste des moyens aériens a été fourni par la France, l’Allemagne, les Pays-Bas, Malte et l’Espagne.

Pour Nicanor Haon du Forum Tunisien des Droits Economiques et Sociaux c’est « une mutualisation de moyen avec une coordination commune, qui pose un problème de reddition de compte. » En effet quand on cherche à savoir qui pourrait donner des informations quant aux migrants disparus on ne sait plus vraiment qui est responsable : l’UE, le pays menant l’opération, l’agence Frontex…

Par ailleurs il semble que l’agence, qui fait également de la formation, soit en train de former agents chargés du contrôle ou de faire du conseil en Tunisie.

Avec une politique de fermeture des frontières et de “chasse” aux migrants le lancement de pour-parlers pour la mobilité entre l’UE et la Tunisie peut faire sourire.

Au début du mois de décembre un groupement d’associations et d’ONG publiait d’ailleurs un communiqué à propos à ce sujet. A cette occasion le Réseau euro-méditerranéen des droits de l’Homme, la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme, le Forum tunisien des droits économiques et sociaux, l’Association européenne de défense des droits de l’Homme, l’organisation Migreurop et le Centre de Tunis pour la migration et l’asile appelaient l’Union Européenne et les autorités tunisiennes à s’assurer que tous les accords relatifs au partenariat sur les migrations soient conclus uniquement sur la base préalable d’une garantie absolue du respect des droits des migrants, réfugiés, et demandeurs d’asile. « Il y a des accords et des quotas négociés par exemple, alors qu’il existe des lois internes allant à l’encontre de la Convention européenne des droits de l’homme. Comment alors l’UE négocie des expulsions de personnes vers un territoire où ses propres normes ne sont pas appliquées ? »

Pour Nicanor Haon, du FTDES, les pourparlers sont forcément déséquilibrés, des enjeux financiers liant les parties prenantes. La Tunisie ne semble pas pouvoir faire contre-poids et donc capable d’imposer de quelconques conditions dans ces discussions.

La politique actuelle autour de la migration est plutôt à la fermeture. Les visas distribués visant plus généralement une certaine catégorie de population, explique Nicanor Haon de FTDES. Difficile d’imaginer un accord de mobilité plus juste et accordant une même chance à tous.

Alors que les mères des migrants tunisiens disparus cherchent toujours leurs fils et qu’aucune réponse ne leur a été fournie, le lancement de pourparlers sur la mobilité peut étonner. Le flou autour de l’action de l’agence Frontex pose problème. L’absence de cadre juridique en Tunisie pose problème. Le non équilibre entre les partenaires UE-Tunisie pose problème. Comment alors parler de partenariat sur la mobilité quand pour l’instant tout va dans le sens de la fermeture ? Comment parler de partenariat quand aucune instance n’est capable de prendre ses responsabilité ?

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