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La doctrine Marzouki, potion magique démocratique ?

Lundi 1er avril, l’opinion publique découvre une lettre à valeur de manifeste politique, adressée par Moncef Marzouki à ses pairs réunis à l’occasion du 3ème conseil national du CPR. Il s’agit en partie d’un condensé de son livre à paraître à la mi-avril, “L’invention d’une démocratie”.

La teneur solennelle du texte révèle un secret de polichinelle : une crise qui couve depuis suffisamment longtemps pour justifier que le fondateur historique du parti mette de l’ordre dans la maison CPR. Pour le démissionnaire Mohamed Abbou, la crise est morale. Pour Marzouki, seule la communication serait en crise. D’où ce besoin de réitérer le bien-fondé d’une coalition dont on comprend qu’elle est partie pour durer.

Ce qui deux ans plus tôt apparaissait comme un mariage de raison avec Ennahdha, dicté par les impératifs conjoncturels de la transition, prend désormais les traits d’une panacée pragmatique de longue haleine. Le théoricien Marzouki l’a pensée telle une alternative à ce qui seraient des sentiers battus de la démocratie occidentale. Exit la droite et la gauche donc, le modèle qui nous est proposé ici se veut audacieux, postulant (et pariant sur) une auto réforme de l’islam politique majoritaire, par l’effet d’une simple cohabitation avec des laïques minoritaires.

A l’heure où Imad Daïmi est intronisé à la tête du parti et que l’aile la plus conservatrice du CPR y impose ses vues, les propos de Marzouki cachent mal une droitisation en interne, la même qui a progressivement marginalisé une ligne plus indépendante, incarnée jadis par Ayoub Massoudi avant sa défection.

Le Palais vacille

Louable, l’effort pédagogique du locataire du Palais de Carthage ne lui épargne pas le courroux des parlementaires.
Un point en particulier n’est pas digéré par l’opposition : les tristement célèbres « échafauds », qui selon le président attendent « les extrémistes laïques » en cas de forcing autocrate pour (re)prendre le pouvoir. Même si l’idée est mieux explicitée à l’écrit qu’au grand oral d’al Jazeera, c’est une déclaration de trop pour ceux qui y voient une dérive d’un président qui n’a eu de cesse de cliver les Tunisiens.

Ce sera l’évènement de la semaine, voire de l’année, une première dans un pays arabe : une motion de censure a été déposée à l’encontre d’un président de la République en exercice. Le chiffre fatidique de 73 signatures, soit plus du tiers des élus de la Constituante, a été atteint mercredi soir.

L’initiative prend même de court la loi sur l’organisation provisoire des pouvoirs publics, restée relativement vague sur les modalités concrètes d’une éventuelle destitution. Qu’à cela ne tienne, apprentissage de la démocratie oblige, les élus improvisent : après un dépôt auprès du bureau d’ordre puis du secrétariat de l’ANC, Samir Bettaieb, en pointe sur ce dossier, parle d’un délai de quelques jours avant la convocation du président.

C’est décidément la semaine du CPR lorsque la ministre de la Femme subit le même sort, en récoltant quant à elle pas moins de 78 signatures.

Anticipant la fronde, Sihem Badi avait pourtant convoqué une conférence de presse début avril pour annoncer d’importantes mesures impliquant la fermeture prochaine de milliers de jardins d’enfants clandestins ou enfreignant les normes, ou encore la sensibilisation au phénomène recrudescent du viol.

« Trop peu, trop tard » estime Nejla Bouriel de l’Alliance Démocratique, qui depuis des mois fustige une ministre « cancre du gouvernement » dans des phénomènes de société la concernant au premier chef.
Plus combative que dans la gestion de son ministère, Badi contre-attaque le lendemain en menaçant Bouriel de poursuites et de retrait de son immunité. Un scénario aussi peu envisageable que la destitution du couple Marzouki / Badi, mais dans les deux cas les messages politiques sont légion.

Pendant ce temps-là à l’ANC…

A l’approche de la finalisation de la rédaction de la Constitution, au Bardo l’activité des commissions spécialisées s’accélère et crève quelques abcès.

Ainsi le controversé haut Conseil islamique aux prérogatives floues passe à la trappe mardi : tuée dans l’œuf in extremis, l’instance ne sera pas constitutionnalisé, malgré d’incessants efforts de lobbying d’Ennahdha. Sur les 22 membres de la commission des instances constitutionnelles, 21 étaient présents : 11 ont voté contre, 10 pour, et une abstention.

Côté commissions d’enquête, la bérézina est totale et définitive. Tout porte à croire que les élus Ennahdha ont joué la montre s’agissant des deux commissions d’enquête embarrassantes du 9 avril et du 4 décembre 2012 Place Mohamed Ali.

A l’aube du 9 avril 2013, 10 élus d’opposition claquent la porte de la première commission bredouille, tandis que l’UGTT quittait avec fracas la table de la seconde. La centrale syndicale dénonce une mauvaise foi des représentants du pouvoir la poussant à produire son propre rapport accablant pour les ligues de protection de la révolution.

La rupture est consommée : en jetant l’éponge, les interlocuteurs du pouvoir font la lumière sur des commissions aussi politisées que clivées, qui ne pouvaient conduire qu’à une impasse.

La campagne électorale bat son plein

Samedi 6 avril, les commémorations de la disparition de Bourguiba à Monastir sont le théâtre d’une lutte de récupération entre Nidaa Tounes, qui continue de capitaliser sur un fonds de commerce inépuisable, et un Marzouki assurant le rituel protocolaire sans grande rancune, reçu par un gouverneur aux petits soins.

On se dit alors que Mohsen Marzouk n’a peur de rien, lorsqu’il affirme devant des monastiriens conquis que « le leader Bourguiba fut le père spirituel de la révolution du 14 janvier 2011 », l’ex autocrate ayant dit un jour « préférer être renversé par un peuple instruit que par un peuple ignare ».

Aujourd’hui dimanche, le même « réalisme » électoraliste semble à l’œuvre dans un stade municipal de Gafsa rempli par les partisans de Béji Caïd Essebsi et où le look Bourguiba est encore une fois de sortie. Sans complexe, les affiches géantes à la gloire de BCE reflètent un certain populisme qui cherche à rassurer. Une pratique rodée, faite de nostalgie et d’un culte ressuscité de la personnalité.

A Gafsa, "BCE" rencontre Adnène Hajji. Nidaa "se normalise"

Une étoile du barreau s’éteint

La semaine se termine sur une note tragique. Fauché en pleine quête de vérité par un malaise cardiaque le 6 avril, Faouzi Ben Mrad laisse derrière lui l’œuvre héroïque d’un ténor à l’image d’une génération glorieuse du barreau tunisien : très impliqué en politique, à l’avant-garde de tous les procès phares post révolution.

De la dissolution de l’ex RCD dont il fut chargé par Farhat Rajhi, à l’assassinat de Chokri Belaïd, en passant par le procès Kazdaghli en cours, la voix caractéristique de Ben Mrad a raisonné plus haut que les tyrannies.

Iconoclaste et charismatique, le dandy progressiste qu’il était rejoint l’un de ses disciples, Chokri Belaïd, deux mois plus tard jour pour jour. Chez les démocrates, c’est la série noire. « Only the good die young ».

Crédits photo Seif Soudani

Seif Soudani