Crédit image : Ferid Rahali

Minée par les luttes internes depuis sa fondation, l’Union Générale des Etudiants de Tunisie (UGET) est invitée à essuyer l’effusion d’une discordance paralysante. Manifestement, les sensibilités intervenantes croisent depuis un moment les doigts. Chacune en fonction de ses propres intérêts et desseins craint une marche à reculons. Epuisée par des conflits politiques internes, l’Union a été longtemps soumise à des campagnes de dominance faisant d’elle un appendice de la machine dictatoriale pendant plus de soixante ans.

L’ancien régime a tout essayé pour intimider les acteurs du mouvement estudiantin en scindant leurs rangs. Qu’ils soient de gauche ou de droite, nationalistes ou socialistes, c’est la soumission qui compte. Ils se voient « contraints » de se mettre à genoux. En permanence amenés à échanger leur droit de cité contre l’assurance de leur intégrité physique et morale. Certains choisissent la résistance, d’autres de ‘vendre la mèche’ sous prétexte de lutter contre l’obscurantisme. En effet, Samir Laabidi, ancien ministre au dernier gouvernement de Ben Ali, était le secrétaire générale de l’UGET pendant son 18e Congrès Extraordinaire.

C’est pratiquement le schéma qui s’est continuellement reproduit dans toutes les organisations tunisiennes militantes opérant avant le départ de Ben Ali. Des individualités l’emportent parfois sur les aspirations communes. Par ailleurs, certaines associations se sont malheureusement transformées en « fonds de commerce ».

Lors d’une brève discussion, Mohammed Soudani, l’ancien prisonnier syndical, avec son esprit frondeur a invité « les intervenants syndicaux à tirer les leçons des combats et des sacrifices de leurs prédécesseurs. Je ne peux imaginer que la liberté politique tant voulue n’a pas automatiquement permis de balayer les franges intersyndicales. »

Il est bon à savoir que les deux processus syndicaux en marche ont, malgré les concertations bilatérales, débouché ce 26 mai sur deux congrès. Convergence zéro ! L’UGET est à nouveau scindée. Le premier processus est ce qu’il est convenu de designer dans le milieu estudiantin par “processus du bureau exécutif”; plus précisément celui du secrétaire général, Azzedine Zaâtour, qui a tenu son congrès le 25 et 26 mai.

« Le processus du comité » a achevé le sien un jour plutôt. S’ajoute à ces deux issues une fraction formée des cinq membres du bureau exécutif qui n’a cautionné aucun des deux chemins. Cette divergence relève, à proprement parler, d’une querelle intestine qui s’est encore une fois donnée rendez-vous avec le dédoublement des structures. Cela est éventuellement dû à la transformation de l’organisation en une courroie de transmission idéologique et politique, bien que le contexte politique soit propice après la révolution.

La division persiste encore

Pour mieux comprendre la conjoncture, il est donc fondamental de se référer aux avis des différents intervenants ainsi qu’à leurs différentes lectures de la situation syndicale.

Lors d’une visite au bureau du secrétaire général, une semaine avant la date du congrès, une table ronde discute le meilleur espace à réserver pour la journée d’ouverture. Certains optent pour le Palais des congrès, d’autres sont plutôt en faveur de la faculté de droit, peut-être pour sa symbolique, c’est dans cette dernière qu’a eu lieu « le 18e Congrès extraordinaire ». Entre temps, un transporteur vient livrer des milliers de dépliants, de banderoles et de pancartes et des invitations qui seront envoyées en express à toutes les régions. Fiers comme Artaban, les jeunes animateurs des ateliers rêvent, selon leurs dires, « d’un exploit historique ».

Bien que les paroles soient à priori en faveur de l’unification de l’organisation via un seul congrès, il n’est pas difficile de constater à l’œil nu qu’un écart sépare les deux alternatives. En effet, vingt-quatre heures avant la première date annoncée par « le processus du comité », l’avenue Habib Bourguiba témoigne de cette incontournable divergence. Les banderoles propres à chacun des processus cherchent à se faire valoir auprès d’un public plutôt indifférent.

Certaines affiches mises en pièces renvoient à un conflit qui perdure malgré les bonnes intentions déclarées. Des activistes estudiantins ratissent l’avenue en va-et-vient pour partager les actualités et l’état d’avancement des concertations politiques et syndicales.

Pour le premier processus on s’est adressé à deux candidats élus le 26 mai et membres au bureau exécutif : Wael Nawar et Ayoub Tlili. Selon ce dernier, le droit syndical confisqué aurait fait apparaître à la surface, notamment depuis les années quatre-vingt-dix, des tendances bureaucrates et affairistes qualifiant de pure démence le fait d’appeler la tempête quand on est dans le calme. Ce serait également l’appréciation politique de Mohamed Kilani, personnalité connue par sa liaison avec l’UGET depuis l’avant dernière décennie, en réponse à la confrontation sanglante entre le régime de Ben Ali et les islamistes.

Néanmoins, Tlili déclare que

“l’Université tunisienne a malgré tout donné de son mieux dans un contexte de net verrouillage politique et social. Sous des prétextes techniques et légaux, une minorité veut s’accaparer la majorité des sièges du bureau exécutif. Ils n’ont pas encore assimilé que le temps de la domination d’une minorité politique sur le sort de milliers d’étudiants n’est plus.”

Déterminé, le jeune homme affirme qu’ils n’ont pas succombé au “chantage de certaines sensibilités au cours de [leur] préparatifs ni à la pression faite sur [leurs] militants“. Ainsi, d’après le jeune militant:”Un membre de l’ancien bureau exécutif n’a pas voulu rejoindre notre processus sauf si on accepte de signer un PV lui promettant de voter pour lui pour le poste de secrétaire général. Un autre est prêt à exterminer ses partenaires au processus du comité pour la même raison.

Loin d’être désabusé, Tlili soutient ainsi que “la jeunesse universitaire, longtemps détournée de sa raison d’être est censée repenser son univers scientifique, militant et intellectuel. Les étudiants ont intérêt à avoir une organisation solide pouvant défendre leurs intérêts d’autant qu’ils subissent objectivement les retombées sociopolitiques des choix du ministère de l’Éducation supérieure et de la recherche scientifique.”

Wael Nawar, le nouveau secrétaire générale, semble plutôt optimiste :

Finie l’ère de la dispersion et de la confusion syndicale. Basta ! Il faut quand même avoir l’audace de dire halte à l’extorsion et à la manipulation. On a avancé toutes les concessions possibles pour pousser à son maximum la représentativité politique et syndicale.Les sensibilités qui n’ont pas rejoint le congrès sont toujours les bienvenues.On entame bientôt la restructuration et nous considérons que toutes les différences sont gérables.

Il avance cependant que

“Les aspects techniques et légaux cités par les membres de l’ancien bureau exécutif dissimulent un bras de fer pour imposer à jamais leurs tendances partisanes. Je ne veux pas m’attarder sur le congrès du comité, entre guillemets, parce qu’on sent l’odeur de l’argent sale, des hommes d’affaires corrompus en sont à l’origine.”

On a l’air de chercher une aiguille dans une botte de foin ! Faut-il asseoir l’idéologie et la politique à l’université ?

Idée qui ne plait pas trop à Mounir Khayredine, membre de l’ancien bureau exécutif et président du congrès, qui « condamne toute volonté de détacher l’université de la dynamique politique et civile. Seulement, il fallait respecter l’autonomie de l’organisation pour qu’elle puisse servir les étudiants. Le congrès de construction n’est en effet qu’un point de départ pour redonner à l’UGET sa place naturelle dans l’université et dans la nation. »

Du rôle du syndicat

Crédit image : Ferid Rahali

Le 24 mai sur les ondes de Mosaïque Fm, le syndicaliste radical Najib Alhadji, a déclaré que le congrès a eu lieu et « pour la première fois dans l’histoire du mouvement estudiantin, une jeune a été élue secrétaire générale. Un article d’Al Chourouk cite que « 817 congressistes ont assisté à Evènement ». Aucune photo n’a documenté l’article en question…

Dans une conversation téléphonique, Abdelhafid Alghrabi, recteur de l’université d’El Manar nie ces propos « la faculté estime que l’effectif de ceux qui ont assisté ne dépasse pas les 150 personnes ».
Rachid Othmani, porte-parole de la Jeunesse du Parti National Socialiste Révolutionnaire, n’ayant participé à aucun des processus, voit que :

les forces libérales sont les seules bénéficiaires de la scission. Elles craignent L’UGET en raison de la réserve combative de ses militants. Les sensibilités syndicales et politiques ont certes droit de se représenter dans l’organisation sans toutefois ôter aux nouveaux acteurs syndicaux leur droit de cité. La récupération de l’UGET est un pas vers la dissolution de la tendance révisionniste en vue de mettre en pratique le slogan classique, université populaire, éducation démocratique et culture nationale.

La secrétaire générale Amina Sassi a été plusieurs fois contactée de notre part. Réticente, à chaque fois, elle répond indisponible.

Amel Hammami, étudiante en deuxième année master Droit International membre du nouveau bureau exécutif félicite la société civile :

” quatre étudiantes militantes membres de la direction de l’UGET ont renforcé ses rangs. Les ateliers ont profondément débattu les motions dont une a été dédiée spécialement à la Femme étudiante. Là, on est en train de parler d’un vrai congrès.”

Notons que plusieurs figures de la société civile et politique tunisienne ont été invitées au congrès. Maitre Ahlem Belhadj, La représentante de l’Association Tunisienne des Femmes Démocrates (ATFD), des membres de l’Assemblée constituante (El Brahmi), Noureddine Hached – fils de Farhat Hached – Hamida El Dridi, la représentante de la Ligue Tunisienne des Droits de l’Homme (LTDH), Besma Khalfaoui qui ont tous et toutes pris la parole lors de l’ouverture pour manifester leur soutien.

Le jour de l’ouverture du congrès Mlle Hammami et certains congressistes du parti des Patriotes Démocrates Unifié sont passés par Le Jellez pour « informer le martyr Chokri Belaid qu’ils ont réalisé un de ses rêves de voir l’Union hausser son bras syndical ».

L’ombre des problèmes d’hier plane aujourd’hui sur l’organisation estudiantine. Le poids de la dictature pèse toujours sur un organisme qui peine à maintenir sa cohésion. Aujourd’hui, d’autres complications viennent rajouter de l’huile sur le feu. Le dédoublement structurel cède la place à trois alternatives, à chacune ses souches et ses desseins.

Ben Ali avait l’habitude de soutenir une fraction par rapport à l’autre. Serait-ce le cas aujourd’hui, notamment parce que certains pensent que le dossier comparaitra devant la loi en l’absence d’un seul représentant de l’Union ?