Lors de mon très court séjour en Tunisie, j’ai répondu à l’appel du comité de soutien de weld el 15 et je me suis rendu à El Teatro mardi matin.
La nuit de lundi à mardi, et ayant pensé et repensé à cet épisode tragique qui est la condamnation d’un artiste à 2 ans de prison ferme pour une chanson, j’ai décidé de préparer un petit mot afin d’exposer ma vision de la manière dont il faut soutenir la victime de l’appareil de répression tunisienne qui n’a jamais disparu.
Au bout d’une discussion avec un acteur de théâtre jeune et cinq interventions, coupés une fois par l’un des 4 avocats qui ont défendu Alaa pour recentrer le débat sur Alaa, j’ai rangé le bout de papier dans ma poche. Le problème en Tunisie est bien plus gros qu’une simple répression.
je vais essayer, brièvement ici, de présenter les failles qui empêchent la Tunisie d’aller vers un état de droits, de libertés et d’égalité.
Depuis le premier jour de mon arrivé j’ai décidé deux poser deux sortes de questions à un maximum de personnes à qui j’arrive à les poser :
– La première question concerne la liberté d’expression : que pensez vous de la liberté d’expression en Tunisie? Etes vous pour la liberté d’expression? Y compris celle de manifester pacifiquement et librement? Y compris la liberté artistique? Et y compris la liberté de contestation ou de protestation?
– La deuxième question concerne la constitution, ou plutôt le chapitre des libertés dans le projet de la contestation : En mettant sous réserve les libertés et les droits, la constitution protège-elle le citoyen ou l’état? Est ce que vous savez que dans la pluparts des constitutions du monde, la constitution est formulée de manière à protéger le citoyen de l’état et non le contraire?
Je vais vous exposer ici les réponses que j’ai eu, et les discuter plus loin.
J’ai commencé par poser une question à mon père. Je lui ai exposé le cas de weld el 15. Sa réponse était sans équivoque. Il mérite les 2 ans de prisons. C’est la loi. Si quelqu’un l’insulte il faut qu’il paye. La condamnation est bien plus qu’une réparation, c’est une vengeance pure et simple. J’ai essayé de lui poser la question sur l’état, le droit. Mais les réponses étaient vagues sans aucune logique. C’est le vide idéologique total.
J’ai posé les deux question à une activiste qui fut très proche de l’actuel gouvernement. A la question concernant les libertés, sa réponse fut claire : Oui pour toutes les libertés mais il faut quand même poser des limites. A la question concernant l’état de droit et la constitution, elle refuse de voir la constitution au dessus de l’état. La constitution doit protéger l’état avant de protéger le citoyen.
J’ai posé la question à un responsable régional du front populaire, qui m’a répondu que son ultime but est le même que celui de “Hamma Hammami” , donc de lutter afin de mettre la main sur le pouvoir et l’état, et ce quelque soit la manière. Que les questions que je lui pose sont secondaires. Et qu’il y penserait et discuterait une fois le pouvoir conquis.
j’ai posé la première question à un artiste présent à el Teatro. Il est pour la liberté artistique. En revanche, il s’en fout de “Amina Femen”. Ce qu’elle a fait est inadapté à la société tunisienne. Donc il s’en fout de son sort. concernant la manifestation pacifique des islamistes interdites par le ministère de l’intérieur, il soutient qu’elle n’aurait jamais pu se passer pacifiquement. De plus, il admet le procès d’intention qu’il est entrain de le leur faire. Quand je lui ai exposé la question concernant l’état de droit, il est resté vague, puis a détourné le sujet, tout en soutenant que tout ne peut pas être permis.
Enfin j’ai posé ces question à deux personnes différentes qui m’ont donné deux réponses identiques : Le premier était un chauffeur de taxi “5obziste” ( qui n’a rien à faire de la politique, des associations du militantisme, etc…) Le deuxième était le président d’une association dont le but est d’encourager et de soutenir les jeunes créateurs, ingénieurs, artisans, etc. Les deux ont soutenu la liberté d’expression pour tous. Les deux sont conscients que si on accepte une atteinte à un cas de liberté d’expression, d’autres atteintes suivront. Les deux sont conscients que si la constitution ne protège pas les citoyen de l’état, l’état peut très rapidement se munir d’un appareil de répression à la fois juridique et policier.
A ces questions/réponses, je rajoute mes constations du mardi 18 juin, où j’ai pu constater que chaque intervenant prenait la parole pour défendre une cause, sa cause, pour parler à son nom ou au nom de ceux qu’il représente, pour pointer du doigt ce groupe ou un autre, sans se soucier des sorts des autres.
voici mes conclusions :
– Bon nombre de tunisiens ignorent tout de l’état, des droits, de l’état de droit, des libertés, de la constitution etc..
– Bon nombre de tunisiens ignorent que la constitution qui est en cours d’élaboration est un danger pour la liberté d’expression encore pire que la réalité, vu que cette constitution, une fois adoptée, aura vêtu le caractère “révolutionnaire” et “légitime”.
– L’élite tunisienne, ou ceux qui se considèrent comme l’élite tunisienne, ont perdu tout sens objectif, et sont tombés dans la subjectivité partisane ou sectaire. Ils ont bien plus peur des autres groupuscules que de l’état lui même. Chacun mène son combat à part, et se méfie de l’autre. Ce qui a comme effet de diviser les efforts au lieu de les unir.
– Toujours dans cette élite tunisienne, on a peur de la liberté. On veut la liberté pour soi, mais on a peur de celle des autre. Ce qui explique leurs volontés de part et d’autre d’y mettre des réserves.
– Tous ceux qui étaient présents à El Teatro voulaient une action concrète, mais au bout de deux heures d’échanges, rien de concret n’en est sorti. Le manque de clairvoyance en est en cause. Mais la raison la plus vraie est qu’ils sont incapables de mobiliser ceux qui sont dans l’attente de position claires, radicales, justes et fédératrices (le chauffeur de taxi et l’ingénieur). Le sectarisme fait que seuls les sympathisant approuvent et suivent les décisions d’une telle ou telle secte.
Et je ne peux mieux finir que par exposer ma vision de la seule issue possible à cette crise.
– Il faut admettre la schizophrénie de l’élite tunisienne, et son hypocrisie, celles qui fait que la policie était glorifiée et remerciée par un bon nombre de personnes que je connais, que j’ai interrogé ou que j’ai lu quand ils ont interdit la manifestation PACIFIQUE d’Ansaar achariaa, et qu’elle est chienne aujourd’hui parce que weld el 15 le dit. De la même manière que cette police était “el taghout” quand elle a interpellé et empêché les partisans d’Ansaar chariaa de rejoindre Kairouan, mais qu’elle devient le garant de la pudeur et des mœurs quand elle arrête “Amina” ou “weld el 15”.
– Il faut être conscient que la matraque qui s’abat sur le dos d’un adversaire idéologique ou politique aujourd’hui, peut s’abattre sur le tien demain.
– Il faut admettre que l’état n’a pas besoin d’être surprotégé par une constitution. Que la constitution doit protéger le citoyen de l’état, avant même que ce dernier ne soit constitué. l’antériorité des droits à l’état est la seule et unique garantie pour que l’état soit un état de droit. (un article pourrait apparaître prochainement pour éclairer ce point si certains ont du mal à l’admettre).
– Il faut unir toutes les forces passives, sectaires et divisées, afin d’interrompre le projet de la constitution actuelle, et d’exiger une simple déclaration des libertés et des droits du citoyen tunisien, qui fera l’unanimité, et sur laquelle toute constitution d’état à élaborer lui sera inférieure.
oui il faut s’intéresser à la constitution et essayer d’en faire un contrepoids afin de garantir une constitution digne d’un état démocratique mais il existe aussi le grand problème de l’environnement et l’écologie qui est complétement ignoré!!!
voyez ce qui se passe du coté de Gabes et vous verrez que c’est un majeur problème qu’il va falloir traiter http://environnemententunisie.blogspot.com/
je suis tout a fait d’accord et très sensible à la cause écologique de Gabès. Mais comme je l’ai signalé dans l’article, il faut se contenter du minimum dans un premier temps afin de fédérer tout le monde autour d’une déclaration des droits du citoyen tunisien, qui protège ce dernier. ultérieurement des amendements peuvent être insérés, ou peuvent figurer dans la version définitive de la constitution
Ceci est très juste et représentatif. Personne ne semble comprendre que la liberté d’expression est un tout, et que c’est une des garantes de la protection des citoyens dans un état de droit.
Trop de monde semble aussi mélanger liberté d’expression avec anarchie ou dévergondage.
Ce qui est le plus navrant c’est de voir que les mêmes jeunes qui sont descendus dans la rue un certain 14 janvier au nom de la liberté, sont les premiers a jeter la pierre sur Amina au nom de la “culture tunisienne”, mais aussi les premiers à demander la libération du jeune rappeur au nom de la liberté d’expression!?
A croire qu’ils n’ont rien compris, ou alors que leurs revendications sont celles d’enfants gâtés schizophrènes éduqués par youtube.
C’est juste navrant. Et je ne parle même pas des faux démocrates, faux laïcs, faux progressistes mais vrais conservateurs opportunistes.
Il semble que mis à part le chauffeur de taxi et l’ingénieur cités, les seuls tunisiens fidèles à leurs principes sont les vrais salafistes. Avec eux au moins on sait exactement à quel modèle de société et à quelle constitution s’attendre.