Fils de fer barbelé entourant l’Assemblée constituante au Bardo. Septembre 2013. Crédit photo : Lilia Weslaty

A l’intérieur de l’Assemblée nationale constituante, un comité de coordination et un front parlementaire ont été formés pour discuter des articles, entre autres ceux relatifs au Tribunal constitutionnel et au Conseil supérieur de la magistrature, pendant que les 60 députés en retrait continuent de manifester sur la place du Bardo pour la dissolution du gouvernement Laaridh. Entre temps, la pression continue de plus belle pour que le président de l’ANC reprenne son poste, suspendu depuis le 6 août.

Selon Meherzia Labidi, la séance plénière ne peut avoir lieu sans le bureau de l’Assemblée

Le vendredi 6 septembre, une séance plénière “officielle” a été prévue à 11 heures du matin à l’Assemblée nationale constituante par le front parlementaire. Devant la porte de la salle de la coupole, fermée à clef par M. Ben Jaafer, quelques députés se précipitent pour rejoindre leurs collègues. Après une réunion d’Ennahdha à 10 heures, une autre a eu lieu entre quelques représentants de blocs parlementaires (comité de coordination) : Kamel Amara et Sahbi Atig (Ennahdha), Azad Badi (Wafa), Samia Abbou (Courant démocratique), Said Kharchoufi (Al Mahaba) et quelques indépendants comme Mouna Ben Nasr, Taher Hmila, Najib Hosni, …

Finalement, c’est vers 14h30 qu’une tentative de plénière a eu lieu. Pour contourner le problème de la salle, auquel ils font face depuis l’annonce de la suspension de l’ANC par Ben Jaafer, les élus du peuple se sont installés dans l’ancienne salle plénière, où la première Constitution tunisienne sous la République a été rédigée entre 1956 et 1959.

Réunion des députés dans l’ancienne salle plénière de l’ANC. 6 septembre 2013. Crédit photo : Lilia Weslaty

Dans un cadre somptueux, seulement 52 députés ont été présents, présidés par Azad Badi, du comité de coordination. Ainsi, l’ancien rcdiste, devenu révolutionnaire auprès de Abderraouf Ayadi dans le mouvement Wafa après le 14 janvier 2011, a eu la tâche de présider cette réunion. D’emblée, plusieurs députés s’attaquent à Mostapha Ben Jaafer. Certains demanderont même le retrait de confiance du président de l’ANC.

Nous ne pouvons travailler comme avant avec les députés qui se sont retirés. Quant à Mostapha Ben Jaafer, il faudra que nous retirions notre confiance en lui. Et selon le règlement intérieur, cela est possible à faire déclare Ahmed Smai, un ancien du parti Baas dans les années 60, devenu partisan Ettakatol sous Ben Ali pour se convertir au parti islamiste Ennahdha en 2011.

Pendant une heure, il s’agira de débattre pour définir le caractère de cette réunion : séance plénière ou simple réunion consultative. C’est le député Abdel Aziz Chaabane (Ennahdha), aussi avocat, qui finit par expliquer l’évidence :

Nous ne pouvons parler de séance plénière, puisque le quorum (73 députés) n’a pas été atteint. Nous devons recourir à l’article 26 du règlement intérieur qui traite de l’absentéisme. affirme le juriste

Pour Samia Abbou (Courant démocratique), “l’annonce de suspension de l’ANC par Mostaphae Ben Jaafer n’a aucune assise légale mais signifie une seule chose : que le président de l’ANC a rejoint les 60 députés en retrait.”

Prenant la parole, le chef du mouvement Wafa, dont le bloc a été dissous au mois de février 2013, Abderraouf Ayadi, a traité le comportement du président de l’ANC de “grotesque“.

Et d’ailleurs, pourquoi Meherzia Labidi ou Arbi Abid ne sont-ils pas présents ? s’interroge-t-il

Les deux vice-présidents de l’Assemblée constituante, Meherzia Labidi et Arbi Abid, étaient en effet absents. Nous nous sommes rendus au bureau de la première vice-présidente, qui s’est abstenue d’assister à la réunion que son propre parti Ennahdha a organisée.

Je n’y suis pas allée car je fais partie du bureau de la présidence de l’Assemblée. Il y a des règles et des lois à respecter. C’est le bureau qui doit appeler à une séance plénière, ce qui n’est pas le cas ici. Cette réunion n’est qu’une forme de contestation. Mais je ne peux pas y être. nous explique Mme Labidi.

Sous pression, M. Ben Jaafer a fini par appeler le 4 septembre les députés en retrait à reprendre le travail à l’Assemblée, en indiquant qu’il appellera au cours de cette semaine le bureau à se réunir.

Des SMS envoyés aux députés en retrait pour rembourser leur indemnité

Le 5 septembre, les élus en retrait ont reçu des SMS leur demandant de rendre leur indemnité du mois d’août, et leur annonçant qu’une plainte a été déposée au tribunal administratif contre eux. La députée Nadia Chaabâne (en retrait), intriguée par ce SMS, expliquera sur les réseaux sociaux qu’elle a refusé l’indemnité et l’a rendue à la paierie générale.

 

 

Pour la députée Hella Hammi, assesseur chargée de la gestion et la surveillance budgétaire,

l’Assemblée constituante n’a déposé aucune plainte car cela est impossible, puisque le bureau de l’ANC ne s’est pas réuni. affirme-t-elle

Le député Mabrouk Hrizi a appris que son nom a été inséré dans une pétition contre les députés en retrait, chose qu’il a démentie au journal Assabah News. Il a nié avoir signé une quelconque pétition à ce sujet. Il s’est avéré que c’est Abdelaziz Châabane (Ennahdha) qui a déposé cette plainte auprès du tribunal administratif contre les députés retirés de l’ANC pour bloquer le versement de leurs primes du mois d’août. M. Chaabane a fini par nous expliquer que :

Personne n’a signé de pétition. Cette plainte a été faite de mon propre chef, en mon nom. Aucun parti n’a déposé de plainte. Quant au nom inséré de M. Hrizi, ça été juste un malentendu. Personne n’a signé de pétition appelant les députés en retrait à rembourser l’indemnité. nous a-t-il assuré

Concernant les SMS, M. Chaâbane nous a rapporté que c’est l’Assemblée constituante qui les a envoyés. Cependant, Mme Hammi, l’assesseur chargée de la gestion et de la surveillance budgétaire dans le bureau de l’ANC, a démenti cela.

Députée Latifa Habachi , ANC. 6 septembre 2013. Crédit photo : Lilia Weslaty

Simulacre de travaux ?

Depuis le 6 août, les députés Ennahdha, CPR, Al Mahaba, Wafa, Liberté et Dignité et Courant démocratique, “continuent à discuter de certains articles dans le cadre d’une commission des consensus non officielle, qui ne peut remplacer l’originale”, avoue Mme Habachi.

Nous voulons juste gagner du temps avec cette commission. Nos nouvelles prises de position nous engagent, comme l’abandon de l’article 141 qui stipulait que la religion de l’Etat est l’Islam. Nous nous y engageons.

En effet, c’est bien Mme Habachi qui a signé le document, qui reste sans valeur juridique mais avec une valeur morale. La commission a aussi abordé la question du Tribunal constitutionnel. Le consensus serait qu’il soit composé de 9 membres. Le Chef du gouvernement, la Présidence de la République et le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) proposeront chacun six personnalités, et les députés devront alors en choisir trois de chaque camp.

D’autres réunions ont eu lieu aussi pour se mettre d’accord sur la composition du CSM. Jusqu’à aujourd’hui, il a été convenu que la moitié de ses membres seront des juges élus. Pour l’autre moitié, il n’y a eu jusqu’à aujourd’hui aucune précision autre le fait qu’elle soit reliée à la magistrature. Par ailleurs, aucun article ne peut être promulgué en l’absence du bureau de l’ANC, de son président et de la tenue d’une séance plénière.

Auto-critique ?

Depuis les élections du 23 octobre 2011, la Tunisie passe par des crises politiques périodiques ayant poussé l’ex-chef du gouvernement Hamadi Jebali à démissionner au mois de février dernier. D’après Latifa Habachi (Ennahdha), la situation mérite réflexion et auto-critique.

Dès le début, nous n’avons pas fixé une date pour les élections et un calendrier clair pour le travail de l’Assemblée nationale constituante. Si nous ne regardons pas nos erreurs, nous n’avancerons pas.

Quant à la date du 10 octobre, annoncée le 4 septembre par M. Ben Jaafer, pour la finalisation de la Constitution, elle serait “chimérique“, pour la députée Habachi.

Si nos collègues en retrait reviennent, peut-être que cela serait faisable. Mais rester à ce stade, donnant des dates sans les honorer, dans l’absence de solution politique, en vérité, ce serait comme si on se moquait des gens. critique la députée

Pour elle, l’Assemblée constituante est le noyau dur. Qurtout dans une période aussi fragile, que subissent les citoyens de plus en plus désabusés par la politique.

Aujourd’hui, il y a le terrorisme qui menace et détruit réellement l’Etat de l’indépendance. Nous vivons une situation économique critique et un flou de la scène politique… Ce que les députés en retrait font avec leur sit-in au Bardo aggrave la situation. Et le président de l’ANC a aggravé encore plus la situation par la suspension de l’ANC.

Députés au sit-in du Bardo. Crédit photo : Lilia Weslaty

Personne n’est pour la dissolution de l’Assemblée

Depuis l’assassinat du député Mohamed Brahmi le 25 juillet, les manifestations appelant à la dissolution de l’Assemblée constituante ont fait croire que les députés en retrait le voulaient aussi. La contradiction entre les déclarations a brouillé le message et les revendications de l’opposition.

“Nous appelons à la dissolution de l’Assemblée, mais ce n’est pas vraiment cela que nous voulons. Notre but, c’est de faire pression pour qu’on finisse au plus vite les travaux et qu’un comité d’experts corrige le brouillon” nous confie un député en retrait.

Le Front de salut national a appelé aussi à maintes reprises à la dissolution de l’Assemblée constituante. Mais en réalité, Nidaa Tounes et Al Jomhouri l’ont bien fait comprendre : il n’est nullement question de dissoudre l’ANC. Une déclaration venant même de la bouche de Béji Caid Essebsi. Aujourd’hui, il est question de partage de pouvoir au sein d’un gouvernement présidé par Laaridh en attendant la “rentrée” pour tous les députés chargés de rédiger la constitution.