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Plazza, La Marsa (Credit: Azim Haidaryan. NYT)

A la fin du mois d’août, la rédaction de Nawaat avait reçu un mail d’une jeune activiste, dénonçant l’arrestation de trois jeunes militants du Front populaire à La Marsa. Selon cette activiste, les jeunes militants avaient été enlevés, maintenus arbitrairement en détention puis condamnés en seulement 24 heures. Voici leur témoignage :

Le soir du 18 août 2013, la jeune étudiante et auxiliaire d’enfants Zahra Khamassi et sa sœur Hawra se sont rendues au restaurant “Le Plaza” à La Marsa, accompagnées par leur ami Hamza, pour se distraire.

Zahra raconte : « Tout a commencé lorsqu’un inconnu assis à une table voisine a essayé d’intimider ma sœur en provoquant un débat politique, après avoir tenté de la draguer à une première occasion. Il parlait de temps à autre en anglais. Elle n’a pas pu deviner sa nationalité, mais son dialecte, plutôt du sud, le rapprochait d’un citoyen libyen. A chaque fois que nous voulions découvrir la réalité de son histoire, il échappait à nos interrogations sans donner d’indices. »

Pour Zahra, cette personne dissimulerait une histoire louche, sans qu’elle puisse pourtant savoir laquelle : « Il a décampé dès qu’un soi-disant agent de police a débarqué à nos côtés pour un contrôle d’identité. Une mesure particulièrement extravagante, d’autant plus que nous étions dans un restaurant. D’habitude, ce genre de demande ne se fait pas dans un tel espace… »

Hawra reprend à sa façon l’histoire : « Un clin d’œil de la part d’une personne habillée en civil (chemise à carreaux jaune) a suffi pour inviter l’étranger à s’échapper, la personne me demandant en parallèle ma carte d’identité. Il est alors tout à fait logique que je me sois défendue en voulant m’assurer qu’il s’agissait bien d’un agent de la sécurité publique, comme il le prétendait. N’ayant rien à craindre, je l’ai donc invité à nous fournir sa carte professionnelle et à s’expliquer sur cette étrange requête. »

Elle poursuit : « Cela lui a manifestement déplu. L’assaut a commencé subitement. Il nous a attaqué tous les trois brusquement et a commencé à nous tabasser avec une violence inédite devant les agents de sécurité du restaurant. A la violence physique s’ajoutaient évidemment les injures humiliantes et les offenses, dont nous pensions qu’elles avaient disparu à jamais. Certains individus l’ont soutenu on nous donnant des coups très forts. Je ne me rappelle pas s’ils étaient quatre ou cinq tellement j’ai été battue. On criait, mais personne n’est venu à notre secours. On a été obligés de quitter les lieux. J’ai été insultée de prostituée et accusée d’avoir flirté un Libyen. »

Selon les dires de Zahra, « les agents de sécurité du restaurant ont prétendu ignorer l’identité de ces intrus. A l’entrée du restaurant, en raison de notre insistance, une voiture de police est venue nous conduire au poste de police de La Marsa Ville. »

« Sur le chemin, j’ai appelé Maître Abdelfattah, un avocat, à titre préventif. Apparemment, la communication ne plaisait pas à nos deux accompagnateurs. Il n’était pas difficile de remarquer qu’ils réfléchissaient à une manœuvre », en déduit Zahra.

Et Zahra poursuit :

Dès que nous sommes arrivés au poste de police de La Marsa, tous nos portables ont été confisqués pour qu’on ne puisse plus appeler personne. Et les agents de police ont de nouveau recommencé à nous battre dès que nous sommes descendus de la voiture.

La jeune auxiliaire d’enfants raconte qu’aucun des agresseurs (les pseudo policiers) n’est apparu jusqu’à leur sortie du poste pour raconter sa version des faits. « Toutefois, alors que nous étions au poste, une patrouille est arrivée, dont une personne au courant de l’affaire qui a étrangement repris les accusations de racolage déjà avancées par ses collègues », poursuit-elle. « Comment se fait-il qu’il nous ait condamnés, alors qu’il n’était pas présent ? », s’interroge Zahra.

Dès que nous avons été convoqués pour déposer plainte, notre vis-à-vis nous a invités, une fois comparus devant le juge, à ne pas évoquer la violence. Nous risquions d’être emprisonnés, selon ses « conseils ».

L’agent leur a fait part de ses recommandations : « Ce n’est pas la peine de compliquer les choses. L’affaire ne mérite pas autant de bruit. Le matin, vous serez tous libérés. L’essentiel est de ne pas commettre d’imprudences… ».

Zahra a été libérée en récompense de sa « sagesse ». Elle en a profité pour se rendre chez elle et amener des habits à sa sœur, qui était elle toujours accusée de racolage. Selon l’enquêteur, Zahra n’était alors pas concernée par la comparution devant le tribunal.

Mais elle a appris avec surprise, après avoir été relâchée par les policiers, qu’elle avait été déclarée lors de l’audience comme faisant partie des suspects. Absente, elle a été jugée coupable par contumace d’avoir fui le jugement. Son cas devient ainsi plus compliqué que celui de ses deux accompagnateurs, Hamza et Hawra.

Un des agresseurs a prétendu dans son témoignage qu’il avait entendu Hawra chuchoter avec un homme, et qu’il en avait déduit qu’elle flirtait avec lui. Mais, selon l’avocat, Maître Mourad, la distance qu’il les séparait et la musique ne permettait pourtant à aucun moment d’entendre la discussion. Que dire alors s’il s’agissait d’un chuchotement…

Enfin, le juge n’a pas retenu l’accusation de racolage, sans pourtant reconnaître leur innocence ou, du moins, ouvrir une enquête sur la violence subie par ces jeunes. Tous les trois ont été jugés coupables de “trouble à l’ordre public” et d’ “état d’ébriété manifeste” et condamnés à trois mois de prison avec sursis. Le juge n’a pas pris en considération leur appel à enquêter auprès des policiers, notamment pour la violence.

Une fois sortis du tribunal, ils se sont rendus à l’hôpital pour se procurer un certificat médical prouvant les agressions subies. Certaines associations ont été sollicitées pour défendre leur cause et montrer leur refus de leur incarcération. Ces jeunes voulaient tout simplement « que ce genre de pratiques arrêtent de se produire dans les postes de police ».