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Depuis sa nomination ministre de la Culture, Mohamed Zinelabedine est sujet de critiques de la part de plusieurs artistes et acteurs culturels. Son passé politique, ses compétences dans le domaine de la culture ainsi que ses alliances politiques actuelles posent problème. Une pétition « Contre les sinistres de la Culture : pour une politique culturelle qui tranche avec la propagande » a été signée par des centaines de figures de la scène culturelle et artistique.

Des trois axes de la pétition, le plus problématique est celui lié au passé politique de Mohamed Zinelabedine, professeur universitaire, détenteur de trois doctorats. Il consacre une bonne partie de ses écrits à justifier la dictature de Ben Ali. « Il a mis son savoir au service de la dictature : les colloques qu’il a organisé à l’intérieur du pays et à l’étranger, ses articles, ses études et ses livres sont éloquents » pouvons nous lire dans la pétition. Il va jusqu’à comparer le dictateur au philosophe allemand Nietzsche dans un article paru dans La Presse en expliquant que « contre cette idée de Nietzsche selon qui la vérité a moins de partisans et de défenseurs, le Président Ben Ali s’est toujours battu pour une République de justice et de vérité publiques ». Il dédie sa recherche intitulée « Le Dictionnaire critique des identités culturelles et des stratégies de développement en Tunisie » à « la Tunisie nouvelle, à la Tunisie éternelle, célébrant son vingtième anniversaire du Changement. En Hommage et Considération à son Excellence Monsieur le Président de la République Zine El Abidine Ben Ali ».

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Si le nouveau ministre de la Culture compare Ben Ali à Nietzsche, Karim Rmadi, producteur, n’hésite pas à le comparer à Joseph Goebbels, le propagandiste nazi. Il précise que l’implication de Mohamed Zinelabidine dans le régime de Ben Ali dépasse la simple complaisance. « Il était le théoricien de la dictature culturelle. Il allait jusqu’à justifier la dictature d’une façon intellectuelle. Ce que nous pouvons considérer comme une implication directe dans les crimes de l’ancien régime » affirme Rmadi avant de préciser « nous considérons sa nomination comme scandaleuse surtout qu’il ne s’est pas expliqué par rapport à ces écrits. Nous exigeons des explications publiques ».

Après la publication de la pétition, Mohamed Zinelabidine appelle ses initiateurs et reçoit Ramzi Jebabli, propriétaire du Café Théâtre du Nord à Tajerouine (Kef). Le ministre promet officieusement de s’expliquer publiquement. Il avoue aussi que le discours de Ben Ali l’a induit en erreur. « J’ai juste crée un discours sur son discours » se justifie le ministre en qualifiant ses écrits de « naïveté intellectuelle ».

Carte d’identité de la Cité de la Culture

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Etendue sur 52 hectares, situés en plein centre de la ville de Tunis, à l’emplacement de l’ancienne Foire internationale de Tunis sur l’avenue Mohammed V, la Cité de la Culture comprend un ensemble d’espaces pour spectacles vivants : Espace d’accueil général du public, 3 salles de spectacle (1800, 700 et 300 places) et 7 studios de production, Médiathèque d’actualité, Une cinémathèque composée de 2 salles de cinéma, de 150 et de 350 places, Maison des artistes, Galerie nationale d’art et d’exposition composée de 3 salles d’exposition dotées d’une réserve, Administration générale de la cité, Espace pour les activités de commerce, Elément signalétique appelé « tour de la culture », des parkings. Un musée complétera cet édifice dont le coût sera d’environ cent millions de dinars.

Après avoir dirigé pendant des années l’Institut Supérieur de Musique de Sousse puis de Tunis, Mohamed Zinelabidine est nommé en 2008 à la tête de l’unité de gestion de la Cité de la Culture. Il présente sa démission en 2011. « Considéré comme l’un des grands projets phare de l’ère Ben Ali, celui-ci n’a jamais vu le jour. Dans ce projet, les affaires de corruptions pesant sur la famille de l’ex-président ne sont un secret pour personne, et si le docteur Mohamed Zinelabidine y est étranger, il reste néanmoins complice par son silence » accuse la pétition. Le chantier de la Cité de la Culture a repris depuis quelques mois. Mohamed Zinelabidine sera, encore une fois, à sa tête. Plusieurs acteurs culturels expriment leur crainte quant à la transparence des marchés qui seront bientôt lancés pour l’acquisition des équipements techniques de la cité.

Habib Bel Hédi, producteur et gérant de l’espace Rio à Tunis, ne dissocie pas le passé et le présent de l’actuel ministre. « Je sais qu’il voulait ce poste depuis des années. Ses écrits sur Ben Ali étaient motivés par son ambition politique. Il fait partie de la famille destourienne depuis longtemps et il ne pourra jamais tourner le dos à ces anciens parrains » affirme Bel Hédi, pour qui la nomination de Zinelabidine à la tête de la direction du Festival international de Carthage cette année est une récompense de la part de l’ancien régime. Une nomination qui a préparé son introduction à la tête du ministère puisque la tendance actuelle confirme que chaque directeur de Festival de Carthage a de forte chance de devenir ministre comme ce fut le cas pour Mourad Sakli et Sonia Mbarek.

À la tête de ce festival, Zinelabidine propose une édition 2016 « clanique et farfelue », rabaissée à un « projet fourre-tout ». Selon Karim Rmadi, Mohamed Zinelabidine a distribué de l’argent sur des espaces privés dans le cadre du festival « pour préparer son entrée au ministère. Il profite de la fragilité de leur situation financière et leur besoin d’un soutien financier pour gagner leur soutien ou au moins leur silence » explique-t-il.

D’ailleurs, les 418 signataires de la pétition sont en majorité de jeunes artistes qui ne font pas partie du circuit traditionnel de la culture en Tunisie. Parmi les signataires, figurent les noms de Nidhal Chamekh, premier plasticien tunisien qui expose dans le prestigieux pavillon de l’Arsenal de la Biennale de Venise, Mohamed Ben Attia, réalisateur du film Nehebek Hédi qui a eu l’Ours d’or à Berlin, Ala Eddine Slim, réalisateur du film The Last of Us sélectionné à la Mostra de Venise et à Rotterdam, ainsi que d’autres jeunes cinéastes comme Hazem Berrabah, Intissar Belaid, Sami Tlili, Mehdi Hmili, Amine Messadi, Mehdi Ben Attia et Rafik Omrani. Parmi les chanteurs signataires, figurent les noms de Badiaa Bouhrizi, Emel Mathlouthi, Jawher Basti et Yasser Jeradi. Pour les comédiens, on y retrouve Sawssen Maalej, Anissa Daoud, Rim Hamrouni, Najoua Zouhair et Souhir Ben Amara.

Selon Habib Bel Hédi, un grand nombre d’acteurs culturels ne signent pas pour éviter les sanctions du ministère de la Culture. En effet, tous les secteurs culturels dépendent de la subvention étatique et donc du ministre en personne. « l’autocensure est une culture encore présente chez les artistes tunisiens et surtout ceux de l’ancienne génération. En plus, la situation fragile des acteurs culturels rend la contestation politique difficile à assumer » explique Karim Rmadi qui pense que son concert de la chanteuse libanaise Yasmine Hamdane a été annulé en 2014 suite à un différent avec Mourad Sakli, ministre de la Culture à l’époque.

Si à l’époque de la dictature, le combat était celui des libertés, aujourd’hui le principal défi consiste à construire un cadre culturel clair qui assure aux artistes protection de leurs droits et dignité. Karim Rmadi, Habib Bel Hédi, Fatma Chérif et d’autres travaillent depuis des mois afin d’élaborer une coordination nationale de la culture. « Il s’agit d’une structure nouvelle et indépendante capable d’avoir une force de proposition dans tous les domaines. L’objectif est de créer une dynamique en dehors du ministère à travers un réseaux de solidarité et de résistance active et constructive » explique Karim Rmadi.

Outre le projet de loi relatif au statut de l’artiste (dont le draft a été finalisé juste avant le départ de Sonia Mbarek), Habib Bel Hédi considère le chantier de la décentralisation comme primordial. « Quelque soit le ministre, il sera obligé de s’asseoir à la table des négociations si nous restons solidaires et déterminés à concrétiser nos revendications » conclut le producteur.