La crise qui oppose depuis de longs mois la Centrale syndicale et le ministre de l’Education, Neji Jalloul, semble se transformer en crise interne à l’UGTT. A l’encontre de la volonté de la direction du syndicat des enseignants, le Bureau exécutif de l’organisation syndicale vient en effet de publier un communiqué qui désavoue l’appel à la grève annoncée, sans pour autant remettre en cause les revendications avancées. Réagissant vivement sur facebook, le secrétaire général du syndicat de l’enseignement secondaire, Lasaad Yacoubi, a qualifié le communiqué du BE de « dangereux précédent ».

Cette grève est-elle opportune ? Qui a raison des deux instances de l’organisation syndicale ? La question la plus importante n’est peut-être pas là. Le problème fondamental est ailleurs, plus précisément dans le fonctionnement hiérarchique et fortement centralisé de l’UGTT qui autorise son BE à prendre des décisions en lieu et place des structures intermédiaires ou de base. On aurait pu espérer que ce mode de fonctionnement qui constitue l’un des mécanismes du pouvoir de la bureaucratie syndicale sur les salariés soit remis en cause avec la révolution. Il n’en a rien été. On aurait pu espérer plus largement encore que l’ensemble de la logique bureaucratique soit contesté et qu’à travers l’UGTT ou en dehors d’elle se forme un mouvement syndical qui consacre l’autonomie de lutte et de volonté des différents secteurs du monde du travail. Il n’en a rien été non plus.

Il serait naïf de penser que la solution allait de soi. Dans l’entremêlement des conflits et des crises propre à toute révolution, trouver la voie d’une autonomie syndicale, c’est-à-dire d’une autonomie d’organisation, de représentation à la base et de lutte des salariés, était une véritable gageure.  L’UGTT a été en effet autant un instrument de défense, au moins partielle, des acquis sociaux qu’un frein à un approfondissement du processus révolutionnaire. Elle demeure aujourd’hui un contrepoids relatif aux politiques patronales et libérales.

Sans doute de nombreux syndicalistes se sont-ils acharnés à transformer l’UGTT, à la dé-bureaucratiser, mais, passés les premiers moments de la révolution, l’objectif qui s’est imposé au sein de l’ « opposition syndicale » a été d’engager leur organisation contre la Troïka et la Constituante. Les multiples témoignages recueillis par Héla Youssfi dans son livre L’UGTT, une passion tunisienne, le montrent d’ailleurs très bien. La gauche qui a mené cette bataille s’est une fois de plus fourvoyée. J’en ai suffisamment parlé ailleurs pour y revenir. Comme l’illustre le consensus au dernier Congrès de la Centrale, elle semble désormais bien loin de se préoccuper d’une quelconque « démocratisation » de l’organisation syndicale, à supposer pour ces courants politiquement organisés qu’ils s’en soient jamais vraiment soucié.

Ce 20 mars, comme chaque année depuis soixante ans, nous fêtons la conquête de l’indépendance au terme d’un combat au sein duquel l’UGTT a joué un rôle capital. Mais nous ne devons pas oublier non plus que l’accession au pouvoir de Bourguiba, autrement dit les conditions mêmes de cette indépendance, ses limites, la forme du régime qui a été mis en place, sa permanence jusqu’à la révolution et pour une part au-delà, sont aussi dans une grande mesure le fait de l’UGTT. Qu’on le veuille ou non, quand bien même elle a été et reste un outil de contestation sociale, quand bien même elle a permis une certaine redistribution des richesses au profit des classes travailleuses, l’UGTT n’est pas extérieure à l’ancien régime.

Il serait irresponsable d’en conclure tout de go qu’il faut vite se débarrasser de l’UGTT. Mais, en tout état de cause, se laisser piéger par la dialectique du « chqaf » et de l’ « acquis national » serait désastreux. Sous une forme ou sous une autre, une refondation syndicale est nécessaire.