Les bureaux de vote établis à l’étranger ont ouvert leurs portes le 4 octobre 2024. Les électeurs tunisiens se trouvant hors du pays ont ainsi pu choisir leur candidat dans une liste encore plus restreinte que les deux derniers scrutins organisés sous Ben Ali. En effet, il faut remonter à 1999 pour ne trouver que trois candidats sur la ligne de départ. Ce choix particulièrement corseté est le résultat d’une politique qui a commencé exactement un an avant l’ouverture des bureaux de vote et visant à empêcher le maximum de prétendants de candidater.
Ironie du sort, c’est une héritière du benalisme qui va être la première à faire les frais de cette politique. La présidente du Parti destourien libre (PDL), Abir Moussi, fait partie des principaux opposants à Kais Saied. Dès février 2022, elle annonce sa candidature à l’élection présidentielle de 2024. Parmi ses armes d’opposantes, l’avocate choisit la bataille judiciaire en multipliant les recours contre les décisions prises par le pouvoir en place, avec l’idée de détricoter, le temps venu, l’édifice Saiedien. Et c’est en portant l’un de ces recours que Moussi va être arrêtée. Le 3 octobre, l’avocate proteste contre la non-délivrance par le bureau d’ordre de Carthage du récépissé d’un recours grâcieux qu’elle vient de déposer, contestant le nouveau découpage territorial prévu pour les élections locales. Au terme d’une garde-à-vue dont la défense conteste la régularité[1], un mandat de dépôt est émis à son encontre. La durée maximale de ce mandat devant aller jusqu’à 14 mois, ses chances de mener campagne dans des conditions normales s’en trouvent brusquement compromises. Elle est initialement poursuivie pour plusieurs chefs d’accusations dont un relevant de l’article 72 du Code pénal[2]. Pour ce seul grief, l’avocate risque en théorie la peine capitale. Cette charge sera abandonnée par la suite, mais la présidente fera l’objet d’autres plaintes.
Liquidation judiciaire de l’opposition
Le cas de Mme Moussi va se généraliser à la plupart des candidats jugés sérieux. Dans les mois suivants, des enquêtes préliminaires vont être enclenchées, des enquêtes vont être ouvertes voire rouvertes par un pouvoir judiciaire largement mis au pas. Il faut dire que la justice a été dans le collimateur de Kais Saied dès le 25 juillet 2021. En énumérant les « mesures exceptionnelles » qu’il vient de prendre, le président de la République annonce son intention de diriger le parquet. S’il y renonce formellement, il va s’employer méthodiquement à affaiblir ce contre-pouvoir. Il commence par dissoudre le Conseil supérieur de la magistrature élu et le remplace par une structure dont il nomme directement ou indirectement les membres. Le 1er juin 2022, il s’attribue par décret-loi la faculté de révoquer n’importe quel magistrat sur la base d’un simple rapport de police, un organe qui lui est hiérarchiquement soumis. Dans la foulée, il limoge 57 juges dont 50 obtiennent une réintégration provisoire ordonnée par le Tribunal administratif. Le ministère de la Justice refuse d’obtempérer, signifiant aux magistrats leur statut de « fonctionnaires » assujettis à la volonté de l’exécutif ! Pour achever cette mue, le pouvoir « débranche » le conseil de la justice judiciaire[3]. Ce faisant, il dispose directement de la carrière des juges et peut désormais les muter par une simple note de service. Plusieurs juges n’ayant pas délibéré dans le sens attendu par l’exécutif se sont ainsi vu muter ou mis à pied par une décision de la chancellerie[4]. C’est donc cette justice qui va trancher le cas des potentiels rivaux de Kais Saied.
Le président de l’Union populaire républicaine (UPR), Lotfi M’Raihi possède un positionnement proche de Saied. Occupant un créneau conservateur populiste et mettant en avant une certaine érudition, ce médecin à la retraite a su séduire et obtenir 6,56% à l’élection présidentielle de 2019. N’ayant pas fait mystère de son intention de se représenter à l’élection de 2024, M’Raihi a multiplié les critiques à l’encontre du président sortant. En janvier, il est condamné à six mois de prison avec sursis pour offense du président de la République. Le parquet fait appel en mars et il est condamné et recherché. Il sera arrêté le 3 juillet et, fait rarissime, la photo de son interpellation est diffusée sur les réseaux sociaux. Condamné pour « achat de voix » à huit mois de réclusion et à l’inéligibilité à vie, sa peine sera ramenée à six mois en appel.
Autre candidat proche idéologiquement de Kais Saied, Safi Saïd s’est déjà présenté en 2014 et 2019, récoltant respectivement 0,8% et 7,11% des suffrages exprimés. Elu député en 2019, sa position vis-à-vis du gel du Parlement a varié. Il s’est un temps rapproché du collectif « Tunisiens contre le coup d’Etat » avant de tenter une aventure solitaire. Il a annoncé son intention de viser la magistrature suprême en promettant de revenir sur les principaux aspects autoritaires du mandat Saiedien. En juin 2024, il est condamné par contumace à 4 mois de prison pour une affaire de parrainages remontant à l’élection de 2014. En août, la police l’interpelle alors qu’il tentait de franchir la frontière algérienne. Il sera relâché mais condamné par la justice algérienne à trois mois de prison avec sursis.
Ancien ministre de la Santé entre 2012 et 2014 puis à nouveau en 2020, Abdelatif Mekki fait partie des rares dirigeants d’Ennahdha à bénéficier d’une image plutôt positive, sans doute renforcée par sa gestion de la première vague du covid-19. Faisant partie du courant opposé à Rached Ghannouchi, Mekki finit par quitter Ennahdha et fonder son propre mouvement islamo-conservateur. Le 12 juillet 2024, un juge d’instruction auditionne le dirigeant islamiste dans le cadre de l’enquête relative à la mort de Jilani Daboussi. Mekki, ministre de la Santé au moment des faits, était relativement épargné par les enquêteurs. A l’issue de son audition, le magistrat instructeur lui interdit de quitter le territoire, d’apparaître dans les médias et de se déplacer au-delà de son quartier de résidence dans la banlieue sud de Tunis. Des décisions qui l’empêchent concrètement de mener campagne.
Attaque des médias
L’année électorale va être marquée par une accélération de la mise au pas des médias. Promulgué en septembre 2022, le décret-loi 54 prévoit des peines allant jusqu’à 10 ans de détention pour « fausses informations ». Les premières poursuites et condamnations concernent des voix critiques du régime en place. A l’approche du scrutin, les choses s’accélèrent. L’audiovisuel public réduit les espaces consacrés et la politique nationale et les rares talkshows qui traitent la question penchent clairement du côté du pouvoir. Quant aux entreprises privées qui continuent à donner la parole aux opposants, elles subissent des pressions de plus en plus fortes de la part d’un pouvoir bien décidé à judiciariser son rapport avec les journalistes qui ne lui sont pas acquis.
Le cas de Mohamed Boughalleb illustre le raidissement des autorités. Ce journaliste très critique du pouvoir est dans le collimateur des autorités. Son ton particulièrement virulent lui a valu d’être écarté des principaux médias et de trouver refuge dans une radio régionale privée. Depuis 2023, il a fait l’objet de plusieurs plaintes de l’ancien ministre des Affaires religieuses sur la base du décret-loi 54. En mars, Boughalleb dénonce la composition du staff qui voyage avec le ministre à l’étranger. Il est arrêté et condamné à six mois de prison ferme pour « imputation à un fonctionnaire public ou assimilé des faits illégaux en rapport avec ses fonctions, sans en établir la véracité ». La Cour d’appel alourdit la peine en la portant à huit mois de détention, remettant la libération du journaliste pour après l’élection présidentielle.
Quelques semaines plus tard, la journaliste Khouloud Mabrouk, qui anime l’émission politique 90 minutes sur IFM est longuement interrogée par la police judiciaire pour avoir interviewé l’ancien ministre ayant fui la Tunisie, Mabrouk Kourchid. Bien qu’elle ait été maintenue en liberté, la station décidera d’arrêter son émission.
Une décision sans doute liée au tournant radical pris par le pouvoir en mai 2024. Le samedi 11 mai 2024, la police fait irruption dans la Maison de l’avocat à Tunis, et arrête Sonia Dahmani qui y était retranchée. Plus tôt dans la semaine, au cours d’une émission de télévision, l’avocate avait commenté avec ironie une théorie du complot qui voudrait que les migrants subsahariens cherchent à coloniser la Tunisie en disant : « Quel magnifique pays pour que les migrants nous le volent ! ». Pour ce trait d’humour, le ministère public entame des poursuites à son encontre sur la base du décret-loi 54 et refuse sa demande d’ajournement. L’interpellation est filmée en direct par la caméra de France 24 et remet la Tunisie sous les projecteurs de la presse internationale. Quelques minutes plus tard, d’autres policiers interpellent les journalistes Mourad Zeghidi et Borhen Bsaies, qui officient dans la même matinale radio que l’avocate. Très vite, Zeghidi et Bsaies sont condamnés à un an de prison ferme pour de vieilles interventions et publications.
La quasi-simultanéité des arrestations de Dahmani, Bsaies et Zeghidi et le contenu des dossiers d’instruction constituent un signal clair envoyé par le pouvoir qui ne souffre plus aucune contestation. Il s’agit de faire peur aux tenants d’un discours critique, fût-il pondéré. La violence et l’arbitraire de certaines accusations font craindre un glissement vers un régime totalitaire, foulant aux pieds le principe constitutionnel de la liberté de conscience.
L’ISIE, principal outil du verrouillage
En plus de la justice, l’Instance supérieure indépendante des élections va jouer à la fois le rôle de courroie de transmission du pouvoir et de contrôle strict des médias critiques. Imaginée après la révolution pour sortir l’organisation des scrutins du giron du ministère de l’Intérieur, l’Instance électorale tenait son indépendance du mode de désignation[5] et le remplacement périodique de ses membres. Mais en 2022, Saied change unilatéralement les règles et met en place une ISIE dont les sept membres sont choisis par le président de la République. Cet amendement, critiqué par la Commission de Venise, était censé être provisoire, le temps de l’organisation du référendum constitutionnel. En effet, la nouvelle Loi fondamentale prévoyait la mise en place d’une nouvelle ISIE de neuf membres dont le mode de désignation était renvoyé à la loi[6]. Ce changement de forme n’ayant jamais vu le jour, la constitutionnalité de l’ISIE « provisoire » est sujette à caution.
C’est donc la commission dirigée par le magistrat Farouk Bouasker, qui doit sa nomination au bon vouloir du candidat-président, qui va assurer le contrôle du scrutin. Rappelons qu’en 2022, l’ISIE n’a pas sanctionné la violation manifeste du silence électoral par Kais Saied le jour même du référendum constitutionnel. Bien que sa constitutionnalité pose question, l’ISIE va disposer d’un pouvoir bien plus puissant en 2024 qu’en 2022. Elle va d’abord disposer du « contrôle général » de l’opération électorale, y compris vis-à-vis des médias. Jusqu’en 2022, durant la période électorale, la loi prévoyait que l’ISIE et la HAICA[7] publient un cadre réglementaire conjoint visant à respecter l’équité entre les candidats durant la phase électorale. Le régulateur audiovisuel était outillé pour faire du monitoring. Profitant d’un désaccord intervenu au moment des législatives, l’ISIE s’empare de la prérogative de la surveillance des médias audiovisuels. Ce rôle lui sera officiellement attribué par Kais Saied pour les scrutins suivants. En février 2024, l’Etat cesse de salarier les membres de la HAICA. Une décision qui aurait pu signifier la mise à mort du régulateur de l’audiovisuel si son conseil d’administration n’avait pas décidé de continuer à travailler de manière bénévole. Ensuite, l’ISIE va avoir un recours intensif au décret-loi 54 pour poursuivre les personnalités publiques critiques de son travail. Durant la période électorale, nombre de médias privés[8] évoquent des avertissements et mises en demeures reçues de la part de l’ISIE. Pour illustrer ces pressions, Mosaïque FM publie une mise en demeure visant les chroniqueuses de l’émission Midi Show, Kaouther Zantour et Essia Latrous. La commission électorale reproche à ces deux journalistes la « violation des règles et des normes de la période électorale, notamment le devoir de neutralité, d’objectivité et d’équilibre dans la couverture de l’élection, ainsi que l’absence de voix divergentes ». Dans la missive envoyée, aucun fait tangible n’est mentionné. Ces menaces ont sans doute pesé sur les journalistes, poussant certains à l’auto-censure.
L’instance électorale est allée jusqu’à retirer l’accréditation de la journaliste Khaoula Boukrim. Le courrier électronique reçu par la fondatrice de Tumedia indique que celle-ci n’aurait pas couvert le processus électoral de manière « objective, équilibrée et neutre ». Le syndicat national des journalistes tunisiens (SNJT) a publié une série de communiqués dénonçant « les pressions de l’ISIE qui menaceraient l’indépendance des journalistes » et accusant la commission de « détériorer le processus électoral ».
En plus de son nouveau rôle de superviseur des médias, l’ISIE s’est substituée au Parlement dans la fixation de la norme électorale. En effet, la Constitution de 2022 a apporté des modifications restrictives dans les conditions requises aux candidats à la présidence de la République. Une loi aurait dû être votée par l’ARP mais Saied en a décidé autrement, estimant qu’une loi n’était pas nécessaire. Ce faisant, le président attribue à l’ISIE une sorte de pouvoir législatif qui va lui permettre d’amender la loi par voie réglementaire. Et l’instance électorale d’imposer une série de contraintes restrictives comme la production d’un extrait de casier judiciaire (B3) qui, dans les faits est attribué de manière discrétionnaire par le ministère de l’Intérieur. La commission électorale va user de son pouvoir pour refuser certains dossiers, notamment ceux des prisonniers politiques. Alors que la loi lui accorde le statut d’officier de police judiciaire, aucun membre de l’ISIE ne se déplacera pour « constater » la véracité des candidatures de Ghazi Chaouachi, Issam Chebbi et Abir Moussi, les écartant de facto de la course.
Ces pouvoirs étendus sont contrebalancés par une incapacité à fixer une date pour les élections. A la fin du processus ayant abouti à la mise en place du Conseil national des régions et districts (CNRD, deuxième chambre du Parlement), l’ISIE était censée fournir la date du scrutin. Mais elle ne le fera jamais. Il faudra attendre le 2 juillet 2024 pour que le président et futur candidat Kais Saied fixe la date du scrutin.
Le non-amendement de la loi électorale a eu un autre effet pervers. Dans le texte de 2014, le candidat à la présidentielle devait recueillir un certain nombre de parrainages pour être admis à concourir. Il fallait être parrainé soit par 10 parlementaires, soit par 40 présidents de collectivités territoriales soit par 10000 citoyens électeurs. Dans le dernier cas, le plus fréquemment utilisé par les aspirants, les parrainages doivent être répartis sur au moins dix circonscriptions électorales, à condition que leur nombre ne soit pas inférieur à 500 électeurs par circonscription. Or, depuis les élections législatives de 2022, la taille des circonscriptions a été largement réduite, passant de l’échelle d’un gouvernorat[9] à celle d’une ou plusieurs délégations. En maintenant la même règle sur des circonscriptions de plus petites tailles, le pouvoir a drastiquement réduit le nombre de candidats capables de réunir les précieux parrainages. Cette tâche a été rendue d’autant plus difficile que les délais ont été fortement réduits. En outre, les parrainages ne pouvaient se faire que sur un formulaire produit par l’ISIE, et dont n’ont pas pu disposer les prisonniers politiques.
Le résultat de toutes ces contraintes bureaucratiques s’est ressenti sur le nombre de candidats autorisés par l’instance. Ainsi, le 11 août 2024, l’ISIE n’a retenu que trois personnes : Ayachi Zammel, Kais Saied et Zouhaier Maghzaoui. Le président sortant a présenté à la fois des parrainages populaires, territoriaux et parlementaires quand Maghzaoui n’a soumis que des parrainages de députés de son groupe à l’ARP.
Alors que depuis 2011, l’observation des élections est devenue une importante garantie de la transparence des scrutins, l’ISIE a décidé de refuser l’accréditation de deux ONG tunisiennes, IWatch et Mourakiboun. Cette dernière a couvert tous les scrutins post-25 juillet et s’est distinguée par une très bonne estimation du taux de participation, enjeu-clé depuis 2021. Selon l’ISIE, ces associations reçoivent « des financements étrangers suspects ». L’Instance, qui ne dispose a priori pas des outils permettant de surveiller les finances des ONG[10], indique avoir transmis à la justice les éléments dont elle dispose. Selon le site d’investigations Al Qatiba, le nombre d’observateurs issus de la société civile est passé de 18000 en 2019 à 1707 en 2024. Un recul qui s’explique par les contraintes bureaucratiques, mais également par le climat de peur et de diabolisation des ONG, comme l’explique Bassem Maâtar, directeur de l’association ATIDE, autorisée par l’ISIE.
Rôle des « fonctions » législative et judiciaire
Le jour de l’annonce de la liste définitive des candidats, le candidat Ayachi Zammel, seul prétendant retenu par l’ISIE n’ayant présenté que des parrainages citoyens, est arrêté. Accusé de falsification de parrainages, il sera poursuivi dans de nombreuses affaires du même type dans différents tribunaux du pays. Depuis 2014, plusieurs affaires de fraudes aux parrainages ont été révélées. La difficulté dans ce genre de procédure est d’établir que le candidat était à l’initiative d’une telle fraude. En 2022, Kais Saied amende unilatéralement la loi pour y introduire des peines de prison et une inéligibilité à vie. Or, selon l’ancien magistrat administratif et ancien juge électoral, Ahmed Souab, ces dispositions s’appliquent aux élections législatives et ne concernent pas les parrainages. Cela n’empêchera pas plusieurs juges d’appliquer le texte à des prétendants au scrutin de 2024, dont Zammel. Au moment où nous écrivons ces lignes, le candidat qui a passé l’intégralité de la campagne en détention, cumule plus de 31 ans[11] de réclusion et sa directrice de campagne a écopé d’une vingtaine d’année de prison. La présidente du Tribunal de la Manouba, qui a ordonné en septembre la libération de Zammel, a été mutée au Kef. Il est à noter que des plaintes visent également la campagne de Kais Saied dans le dossier des parrainages. Par exemple, l’antenne de la Ligue tunisienne des droits de l’Homme (LTDH) à Mahdia a porté à la connaissance du public qu’une entreprise communautaire aurait usurpé les données de citoyens pour remplir des dossiers de parrainages pour le président-candidat. Au moment où nous écrivons ces lignes, aucune information publique ne fait état de poursuites de ces personnes qui ne sont pas couvertes par l’immunité présidentielle.
Trois des candidats recalés par l’ISIE, Abdelatif Mekki, Imed Daimi et Mondher Zenaïdi, obtiennent du Tribunal administratif leur réintégration. Les juges de cette haute juridiction ont estimé que les candidatures de ces personnalités politiques étaient recevables aux yeux de la loi. La commission décide de passer outre la décision judiciaire et maintient sa liste initiale. Les proches du régime se lancent dans une opération de diabolisation des magistrats. Les autorités s’en prennent aux candidats écartés. Mekki est condamné à huit mois de prison et à une inéligibilité à vie pour falsification des parrainages. Daimi est poursuivi par l’ISIE pour « fausse déclaration »[12]. Enfin, un mandat de recherche international est émis à l’encontre de Zenaïdi en vertu de la loi antiterroriste.
Plus d’une centaine de professeurs de Droit, dont des doyens, ont dénoncé, le 5 septembre le non-respect des décisions du tribunal administratif par l’ISIE. Dans ce cadre, Nawaat a interviewé le professeur en Droit public et doyen de la Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis, Wahid Ferchichi.
Tandis que le Tribunal administratif rappelle que sa décision est irrévocable, « la fonction législative »[13] décide d’intervenir. Le 20 septembre, 34 députés déposent une proposition de loi visant à unifier les juridictions chargées du contentieux électoral au profit de la seule justice judiciaire, annulant au passage les décisions du tribunal administratif. Le bureau de l’ARP interrompt les vacances parlementaires et convoque les élus pour une session extraordinaire. Malgré l’opposition d’une partie de la société civile et du Conseil supérieur provisoire de la magistrature, le texte est adopté par 116 députés avec 12 voix contre et 8 abstentions. Dans la foulée, Kais Saied promulgue un texte dont il a longtemps rejeté le principe. En effet, dans une déclaration médiatique datant de 2019, le juriste estimait que seul le référendum devait trancher les modifications majeures de la loi électorale et que le contraire équivaudrait à un « assassinat de la démocratie ».
Le jour du scrutin, la Télévision nationale propose une couverture spéciale du vote. Sur le plateau, des journalistes notoirement proches du pouvoir se relaient. Alors que l’ISIE a interdit la publication de tout sondage sorti des urnes avant l’annonce des résultats préliminaires, l’institut Sigma conseil est autorisé à déroger à la règle. Ainsi, à 20h, son président Hassen Zargouni, donne des estimations assez proches du résultat final. Malgré les dénégations des candidats malheureux, le verdict des urnes est accepté par les perdants et aucun recours ne sera formulé.
D’après les rapports des différentes instances d’observation, si quelques infractions mineures ont été relevées, elles ne sont pas de nature à altérer le résultat. Toutefois, la globale bonne tenue du scrutin et la nette victoire de Saied ne doivent en aucun cas faire oublier le verrouillage qui a marqué tout le processus. Pour la première fois depuis 2011, les critères de liberté et de transparence ont été vraiment mis à rude épreuve. Divers moyens de l’Etat ont été mis à contribution en faveur du sortant. Enfin, le sort réservé au seul challenger ayant pu obtenir les parrainages citoyens et les différentes poursuites ayant visé la plupart des candidats perçus comme sérieux réinstaurent un climat de peur que l’on croyait parti dans les bagages de Ben Ali, un certain 14 janvier 2011.
[1] Mme Moussi étant avocate, la procédure encadrant sa garde-à-vue et son interrogatoire déroge au droit commun.
[2] Est puni de mort, l’auteur de l’attentat ayant pour but de changer la forme du gouvernement, d’inciter les gens à s’armer les uns contre les autres ou à provoquer le désordre, le meurtre ou le pillage sur le territoire tunisien.
[3] Par une combinaison de non-remplacement de magistrats mutés ou partis à la retraite.
[4] Cette pratique est anticonstitutionnelle au regard de la Loi fondamentale de Kaïs Saïed qui dispose dans son article 121 « Le magistrat ne peut être muté sans son accord. Il ne peut être révoqué ni suspendu ou démis de ses fonctions ni subir une sanction que dans les cas fixés par la loi. »
[5] Ces membres étaient élus par la majorité qualifiée des deux-tiers de l’Assemblée législative (Assemblée nationale constituante puis Assemblée des représentants du peuple). Cf. Loi organique 2012-23 du 20 décembre 2012.
[6] Article 134 de la Constitution.
[7] Haute instance de communication audiovisuelle.
[8] Dans un communiqué, le SNJT évoque les cas de Mosaïque FM, Jaouhara FM, Diwan FM, Son FM
[9] A l’exception des plus peuplés – Tunis, Nabeul et Sfax – qui étaient divisés en deux circonscriptions.
[10] Compétence de la Banque Centrale et du gouvernement.
[11] Entre jugement en première instance et en appel.
[12] Au sujet de sa possession d’une autre nationalité – perdue depuis – le jour du retrait de son dossier de candidature auprès de l’ISIE.
[13] La Constitution de 2022 ne parle plus de « pouvoirs » (exécutif, législatif et judiciaire) mais de « fonctions ».
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