En signe de protestation à la répression policière dans la ville de Siliana, les habitants ont symboliquement quitté la ville en prenant la direction de Tunis. Crédit photo : AFP

[…]
Devant le siège du gouvernorat de Siliana la situation a dégénéré et les policiers ont répondu aux manifestants par des tirs de gaz lacrymogènes avant de tirer sur les manifestants avec des fusils et des munitions de chevrotine, comme s’ils étaient du gibier. Pourtant même en Italie cette façon de chasser le sanglier est interdite par la loi. La dure répression subie a suscité beaucoup d’indignation, une indignation qui n’a fait que croître du fait du maintien en poste du gouverneur. Le lendemain des affrontements les habitants de Siliana, la « martyre », abandonné symboliquement la ville à pied et se dirigeaient vers Tunis, lançant comme message au gouverneur : « Tu peux bien gouverner, mais tu gouvernera seul ». Une image très représentative de la lutte des classes du XXeme sc. et qui fait immédiatement penser au « Quatrième Etat » de Pellizza da Volpedo.

[…] 
Les douilles des munitions de chasse, trouvées par terre après les affrontements, sont produites par une société Italienne. Une information qui a largement circulé en Tunisie. Ainsi sur le “culot”, le bouchon en cuivre sur le tube en plastique qui contient les balles en plomb, on trouve l’inscription du nom de la marque “Nobel Sport”. Si bien que sur les réseaux sociaux la colère est entrain de grandir contre notre pays. On y trouve un photomontage. On y voit un garçon blessé ainsi que le nom et l’adresse de la société Nobel Sport, à laquelle de nombreuses personnes ont écrit pour les inviter à ne pas exporter de cartouches.

Nobel Sport Italie, une société multinationale qui fabrique des munitions pour l’activité sportive du « ball-trap » ( ou tir au pigeon d’argile ) et la chasse, a confirmé qu’elle vend, de manière reglementaire, des munitions à la Tunisie, mais uniquement des cartouches pour la chasse aux grives. Elle dément avoir été en contact avec la police et avoir répondu à des appels d’offre publics et explique que les douilles retrouvées au sol sont celles de Nobel Sport, mais que les blessures des manifestants ont été occasionnées par de la chevrotine utilisée dans certain cas pour la chasse au sanglier.

Nobel Sport exporte également des composants de munitions. Il est donc possible que les douilles exportées aient été chargées (c’est à dire remplies avec des balles de différentes tailles) par n’importe quelle armurerie dans n’importe quel endroit du monde, y compris en Italie. Ce seraient alors les armureries qui, après avoir tout rassemblé et donc formé la cartouche, auraient vendu ces munitions à la police tunisienne. On peut remonter à l’armurerie à partir du cliché du tube en plastique ou à partir de la boîte, en possession de la police, contenant le lot de cartouches. La société Nobel Sport s’ est fermement dissociée de l’utilisation inappropriée qui a été faite de son produit, en disant que les prochaines ventes en Tunisie feront l’objet d’une réflexion approfondie de leur part.

[…]
Tandis que la polémique enflait dans l’opinion publique, le ministre de l’Intérieur tunisien se trouvait en Italie sur les chantiers navals d’ Adria, où la ministre de l’Intérieur italienne, Anna Maria Cancellieri, offrait deux embarcations vedettes à la Tunisie ( d’une valeur de 16 millions d’euros ) afin de contrôler la côte tunisienne et de prévenir l’immigration illégale dans notre pays ( ndlr : vers l’Italie ).

Un dirigeant du parti majoritaire Ennahdha, Ameur Laârayedh, a justifié l’intervention de la police en expliquant que cette dernière était : « équipée avec des armes et des munitions achetées dans les pays démocratiques ». Il a ainsi fait preuve de sa confusion par rapport aux principes de la démocratie et de son incapacité à communiquer, ne faisant qu’attiser la colère.

Le ministre des Droits de l’Homme Samir Dilou, oubliant son rôle, a déclaré que « la perte de la vue chez les blessés n’est pas totale ». Une déclaration résumée par le dessinateur satirique Lotfi ben Sassi. Un bonhomme avec un bandeau sur l’œil, déclare : « C’est rationné ! Pas plus d’un oeil crevé par citoyen » et au dessus de sa tête on peut lire : Samir Dilou « Aucun manifestant à Siliana n’a perdu deux yeux à la fois ».

L’insensibilité de la classe politique avait déjà été démontré en septembre dernier, au moment des affrontements devant l’ambassade Américaine, lorsque le ministre des Affaires étrangères Rafik Abdesselem, avait déclaré à propos de la mort de deux manifestants abattus par la police: « Heureusement, des citoyens américains ne sont pas morts. » Suite à ces évènements plusieurs salafistes ont été arrêtés et deux d’entre eux sont décédés il y a quelques jours, des suites d’une grève de la faim qu’il avait entamé pour protester en signe d’innocence.

Traduction de l’article Tunisia, la marcia di Siliana per la dignità.
Proteste e tensioni contro il governo Ennahdha
de Sabrina Ambrogi SABINA paru dans La Reppublica, le 4 décembre.