Ali-Larayedth

Le point presse du Premier Ministère, mardi 7 mai, tout comme les questions au gouvernement du lendemain, n’ont pas permis d’éclaircir la situation autour des djihadistes à Kasserine. Entre ce qui se passe réellement sur le terrain et la tentative de rassurer sur la situation sécuritaire, la menace terroriste en Tunisie est bien présente mais reste difficile à évaluer. 

D’un côté la condamnation, de l’autre la justification. Les questions des élus au gouvernement mercredi 8 mai à l’Assemblée Nationale Constituante n’ont pas donné lieu à des réponses précises de la part du chef du gouvernement Ali Larayedh qui a tenu un discours d’apaisement. Depuis les évènements du Mont Châambi, massif montagneux situé à quelques kilomètres de la frontière algérienne dans le gouvernorat de Kasserine, qui ont déjà fait 16 blessés, militaires et gendarmes depuis fin avril, de nombreuses personnalités comme le colonel Mokhtar Ben Nasr ou encore l’actuel ministre de l’Intérieur Lotfi Ben Jeddou, se sont exprimés sur le problème. Mais la stratégie sécuritaire reste difficile à discerner dans le flot des nombreuses informations contradictoires.

Le discours d’Ali Larrayedh, « la situation sécuritaire va s’améliorer »

« Nous avons parmi nos premiers objectifs, celui de la sécurité » a annoncé le chef du gouvernement à l’Assemblée Nationale Constituante, mercredi 8 mai. De déclarations rassurantes en justifications, le Premier Ministre a réussi sa communication sans pour autant donner d’informations. Il a assuré contrôler la situation sur le mont Châmbi qu’il a qualifié d’une situation sécuritaire « en train de s’améliorer » et que les groupes terroristes liés à Al Qaïda seraient « arrêtés au plus vite ». Face aux interpellations des différents députés sur la question de la gestion des attaques du Mont châambi, le ministre s’est montré favorable à l’établissement d’une commission mixte pour enquêter sur les évènements. Des réponses globales à un problème spécifique, Ali Larayedh n’a ainsi pas donné plus d’explications sur des questions qui restent sans réponses: le trafic illégal d’armes est l’objet d’une « guerre » selon Ali Larayedh bien qu’il dise ne pas savoir pourquoi « ces armes ont été importées » mise à part dans le but de « commettre des attentats terroristes en Tunisie. »

Du côté des élus, le discours était plutôt accusateur, certains ont dénoncé le bilan d’Ali Larayedh alors qu’il était en poste en tant que ministre de l’Intérieur, d’autres ont voulu s’éloigner des considérations politiques, comme Walid Bennani d’Ennahdha qui a également appelé les « jeunes de Kasserine à s’éloigner du terrorisme ». La suite des questions concernait la neutralité des lieux de cultes et le bilan sécuritaire en général. Pour le Premier Ministre, la bataille contre le terrorisme passe aussi par un meilleur contrôle des mosquées or la neutralité des lieux de cultes est un  problème récurent depuis la révolution et peu de mesures pour lutter contre ce phénomène ont été prises. La conclusion de M. Larayedh est que les forces de l’ordre font tous les efforts nécessaires « dans le respect des lois » ce qui marque un changement par rapport à la période pré révolutionnaire.

Lotfi Ben Jeddou « les djihadistes viennent du Mali »

C’est dans une salle attenante à celle de l’hémicycle que le débat autour des événements de Kasserine reprend. Lotfi Ben Jeddou affirme ce qui a été déjà dit la veille « les terroristes du Mont Châmbi sont encerclés » et confirme que certains éléments terroristes parmi les groupuscules viendraient du Mali et d’autres d’Algérie. Aucun lien n’a pour l’instant été établi entre ces réseaux et des réseaux salafistes en Tunisie comme le mouvement d’Ansar Al Charia. Lors de son allocution à l’Assemblée pendant l’après-midi il a renchérit sur les paroles de Ali Larrayedh déclarant que le ministère de l’Intérieur travaille en partenariat avec les forces armées algériennes afin « d’éradiquer le fléau terroriste ».

Le colonel-major Mokhtar Ben Nasr, « l’armée a la situation en main »

C’est le colonel Mokhtar Ben Nasr porte-parole officiel du Ministère de la défense qui est apparu sur le devant de la scène pour parler des évènements de Jebel Châmbi. Selon lui, « l’armée maîtrise la situation ». Il a affirmé lors du point presse du mardi 7 mai que 16 cachettes des présumés djihadistes avaient été découvertes dans les montagnes. Mais si les mines artisanales posées dans les montagnes ont fait plus de 5 blessés du côté de la garde nationale, aucun échange de tir n’a eu lieu entre les forces tunisiennes et les terroristes selon le colonel. Selon lui, ces forces ne seraient qu’à l’état de « préparation » pour prendre le contrôle de la région. Il a annoncé que ses soldats étaient également formés pour détecter les mines d’amonitrate artisanales dont quatre ont explosé dans les opérations.

La guerre des chiffres face à une situation peu claire

C’est sur les annonces des chiffres que les différents ministères donnent l’illusion de précisions sans pour autant donner plus de détails. Mardi 7 mai, le porte-parole du ministère de l’Intérieur, Mohamed Ali Laroui annonce l’arrestation de 37 éléments terroristes tout en affirmant que 20 terroristes étaient encore dans les montages parmi lesquels 11 Algériens et 9 Tunisiens. 15 autres seraient aussi à la frontière du Kef. Aujourd’hui, le Ministre de l’intérieur annonce que près de 1000 départs vers la Syrie ont été empêchés le mois dernier de Tunisiens voulant mener le Djihad. Parmi ces chiffres, on trouve pourtant peu d’explications au problème du terrorisme en Tunisie : Ces 37 personnes arrêtées plus les deux autres aujourd’hui, qui sont-ils ? Y-a-t-il réellement des cellules terroristes ou ces éléments sont importés comme tente de le dire le Ministre en parlant d’éventuels éléments provenant du Mali? Quid des départs en Syrie, qui sont ces Tunisiens qui tentent de partir ? Quels effectifs la garde nationale et l’armée tunisienne ont-elles à leur disposition pour combattre le danger terroriste en Tunisie ? Qu’en est-il également de la sécurisation des frontières et du trafic d’armes ? Un récent reportage de la chaîne France 2 sur les lieux donne la parole à un citoyen qui pose également une question cruciale : « Qui approvisionne en vivres et en matériel ces gens apparemment installés dans des tentes de fortune depuis quelques temps ? Ce que l’on sait pour le moment, les terroristes pourraient être liés aux «Milices d’Okba Ibn Nafaa» qui avaient pour but de créer une cellule d’AQMI en Tunisie. En décembre 2012, seize suspects avaient été arrêtés dans la zone de Kasserine après qu’un affrontement ait tué dix jours plus tôt un agent de la garde nationale.

Le terrorisme n’est plus une menace fantôme

Toutes ces questions restent aujourd’hui sans réponses alors que le ministre de l’Intérieur a admis en pleine Assemblée, que le mont Chambi était surveillé depuis décembre 2012. En 2011-2012, la Tunisie a connu d’autres événements de nature terroristes comme ceux de Bir Ali Ben Khalifa ou encore Rouhia. Pour Ali Larayedh, la menace terroriste existait même avant la révolution avec les attentats de Soliman en 2007 et celui de la synagogue de Djerba en 2002, « sauf que l’on en parlait moins » a-t-il déclaré.

La question reste de savoir si l’Etat est en mesure de faire face à cet enjeu sécuritaire aujourd’hui. La multiplication des communications politiques sur le sujet ces derniers jours montrent une volonté de faire front contre ce qui est désormais reconnu comme une « menace terroriste ». Seulement, ni l’ampleur de celle-ci ni le degré d’organisation ne semblent encore réellement connus.

La question de l’équipement et de la préparation des autorités sur place pose aussi question. L’un des soldats amputé d’une jambe à cause de l’explosion d’une mine est âgé de seulement 19 ans. La DST (Département de la sécurité des territoires) et ancienne ” police politique ” a été supprimée après la révolution, qu’en est-il aujourd’hui de l’infrastructure de lutte anti-terroriste au sein du Ministère? Comme le confie des syndicalistes des forces de l’ordre à la journaliste Hanène Zbiss dans l’hebdomadaire Réalités de cette semaine, le travail préventif sur le terrorisme n’est plus le même que sous l’ancien régime notamment à cause de la question des Droits de l’homme. Montassar Matri, secrétaire Général de l’Union Nationale des Syndicats de forces de sûreté tunisienne (UNSFST), y évoque aussi un mauvais équipement sur le terrain de Châmbi.

Quant aux explications et détails futurs, ils risquent d’être donnés à huit-clos comme l’a demandé à maintes reprises le ministre de l’Intérieur lors de son audition à l’ANC.