Source : le blog d’Alain Gresh, « Nouvelles d’Orient », 20-09-2006.

Le régime tunisien dispose, depuis de longues années, de nombreux thuriféraires en France. Le premier est sans aucun doute le président de la République Jacques Chirac – ainsi déclarait-il au cours de sa visite officielle en Tunisie, début décembre 2003 que « le premier des droits de l’homme c’est manger, être soigné, recevoir une éducation et avoir un habitat, ajoutant que de ce point de vue, il faut bien reconnaître que la Tunisie est très en avance sur beaucoup de pays » (Lire la réaction de la Ligue des droits de l’homme à ces propos). Jacques Chirac n’a pas le monopole de cette complaisance et des responsables politiques, de gauche comme de droite, n’hésitent pas à chanter les louanges du régime de Zine Abidin Ben Ali.

C’est le cas aussi de certains « intellectuels », comme le prouve un des derniers ouvrages d’Antoine Sfeir, intitulé Tunisie, terre des paradoxes, qui vient de paraître aux éditions de l’Archipel. Le degré de flagornerie à l’égard du chef de l’Etat tunisien y est assez exceptionnel. Ben Ali est ainsi décrit comme réunissant « en sa personne toutes ces compétences. D’une part, elles lui permettent de se montrer plus efficaces, et les résultats obtenus plaident en sa faveur ; d’autre part, la réunion de ces compétences en un seul homme évite de les voir entrer en conflit. » (p. 213)

Le régime est-il policier ? Citant un rapport du département d’Etat, l’auteur affirme que la Tunisie compterait entre 450 et 1000 prisonniers, dont très peu ont été condamnés pour des actes de violence. « On peut le déplorer, certes », précise-t-il. « Mais que penser du Patriot Act ? Faudrait-il accepter que les Etats-Unis se protègent contre l’islamisme et non la Tunisie, où le danger est pourtant bien plus réel et pressant : tentatives de coup d’Etat, assassinats, attentats – dont celui de la synagogue de Djerba – et volonté affichée de renverser le régime pour y instaurer, par la force et la terreur, un Etat dépourvu de toute liberte ? » Etrange raisonnement, puisque l’auteur lui-même affirme que les prisonniers ne sont pas inculpés pour des actes de violence… D’autre part, qui approuve le Patriot Act ? (lire p. 13)

« Autre accusation, poursuit Sfeir : le régime tunisien est un régime policier. Actuellement, il ne l’est pas plus que les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, ou même la France » Il suffit de lire n’importe quel rapport d’Amnesty International, de Human Rights Watch, ou de savoir que, depuis l’arrivée de Ben Ali au pouvoir le nombre de policiers a quadruplé, pour mesurer le sérieux de cette affirmation.

L’auteur célèbre la tenue du sommet mondial sur la société de l’information, dont la seconde partie a eu lieu en novembre 2005. « Le succès de ce Sommet de Tunis, organisé de façon irréprochable, et qui a rassemblé plus de 21 000 participants (…) a été reconnu par tous. » (p. 217). Par tous ? Dans un communiqué distribué à la presse, la délégation américaine s’est déclarée «  déçue de voir que le gouvernement tunisien n’a pas tiré profit de cette importante manifestation pour démontrer son engagement en faveur de la liberté d’expression et d’association en Tunisie ». Le président de l’association Reporters sans frontières, Robert Ménard, a été refoulé par les autorités tunisiennes alors qu’il souhaitait assister au sommet. Ceux qui veulent vraiment savoir quelle est la situation de l’information dans un pays où naviguer sur l’Internet peut conduire en prison, peuvent lire un rapport de diverses organisations des droits humains sur la Tunisie et l’information.

En conclusion de son livre, Sfeir aligne une série de déclarations de responsables internationaux saluant le régime de Ben Ali, qui s’ouvre sur le président de l’Union des écrivains russes qui « adhère (…) à la politique d’ouverture et de dialogue initiée » (p. 226) par Ben Ali. « Une question, écrit Sfeir, pourquoi toutes ces déclarations positives pour la Tunisie de Ben Ali ? » Effectivement, on peut s’interroger sur les raisons qui poussent Chirac, le roi Juan Carlos, le ministre allemand de l’intérieur ou le président Bouteflika à faire l’éloge d’un tel régime. Cela demanderait effectivement une étude sérieuse, comme celle de savoir pourquoi certains intellectuels et journalistes se font les défenseurs de Ben Ali…